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Opinion publique française et guerre d'Algérie

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
Bien cher amis,


Une de mes interrogations à propos des séquelles de la guerre d'Algérie est la suivante : une part du non-dit sur cette question ne tient-il pas au fait que la très grande majorité de l'opinion publique française fut, au moins depuis l'été 1955, d'abord opposée, puis hostile à la guerre d'Algérie ? et à ce que les divers gouvernants, jusqu'à ce que le Général tranche finalement, firent peu de cas de cette opinion ?
Justement compte tenu de cette réalité, la "repentance" devrait encore moins être de mise. A moins que constatant le peu de repentance spontanée on ait entrepris de l'inculquer par la force de la répétition, la culpabilisation, les lois mémorielles, les prêches de la diversité, les silences sur les exactions du FLN algérien avec la Halde en gendarme de la cohérence et du développement de cette idéologie. Mais POURQUOI ?
Cher Jmarc, j'étais jeune à l'époque mais je crois que l'hostilité venait du Parti Communiste, un peu moins de son électorat qui commençait à migrer. En général de l'indifférence, sauf quand on avait dans sa famille des appelés sur le terrain. Beaucoup de Rapatriés se sont installés dans le Midi. Il s'est manifesté à leur égard assez d'hostilité et de rejet. Les choses sont rentrées dans l'ordre mais il reste des rancunes, sans parler des Harkis qu'on a ignorés dès le début. Toutes ces composantes engendrent des contradictions ou des ambiguïtés. Il faut dire aussi qu'en 1955 on venait d'en "finir" avec le Viet Nam.
J'étais aussi "peu vieux" que vous Florentin, et je me souviens bien de l'égoïsme des habitants de métropole face à ces Français qui refluaient chez eux. Un vague patriotisme, celui enseigné dans les mairies de bourgs et petites villes du Midi (où j'étais) épargnait encore à ces malheureux le pire des rejets, mais c'était tout juste: on leur offrait des locaux, des annexes municipales où entasser leurs gosses, lesquels respectueux, timides et bien coiffés, se montraient les plus studieux en classe en même temps que les plus rêveurs. Mais la population métropolitaine, au mieux, les avait en pitié, au pire les jalousait, projetait de leur lancer des pierres... C'est qu'en 1962-63, nous étions en plein essor de la civilisation de la quatre-chevaux et de la prospérité véritablement naissante; la petite américanisation avait débuté, avec son furieux égoïsme faisant des veaux heureux rotant dans leur mangeoire bienheureuse et dépolitisée. Le Parti communiste dites-vous. Je ne suis pas sûr que le Parti communiste dans les mairies, n'ait pas été le premier à se soucier que ces famille que je revois (des pauvres respectueux, respectables, soignés, comme on en faisait déjà plus), aient des couvertures, des lits, des tabliers et des blouses pour les enfants que l'on présentait dans les écoles, solennellement, en milieu d'année, en invitant les petits métros à s'en faire de nouveaux amis...
Je me souviens que j'étais mécontente de cette arrivée quoique j' étais bien jeune (j'étais lycéenne). A m'en souvenir c'était quelque chose qui avait à voir avec la "mentalité", cela troublait les rapports que j'entretenais avec le monde à l'époque. Je ne me souviens pas qu'il se soit agi de questions économiques, mais plutôt d'un trouble d'ordre psychologique. Je n'ai pas souvenir que dans ma famille l'arrivée des pieds noirs ait été abordée sous l' angle économique, il est vrai que nous vivions dans une petite ville des bords de Loire, loin de la Méditerranée, et donc peu touchée par ce retour. Mais ce que j'en ai entendu à Marseille est conforme à ce que décrit Francis Marche.
28 novembre 2008, 15:53   Les tomates d'Alger
En fait, il est intéressant d'inscrire la guerre d'Algérie dans la perspective des années cinquante.

En 1954, la guerre d'Indochine est perdue dans les conditions qu'on sait. Cette guerre fut incomprise, et resta marquée, dans l'opinion publique, par l'affaire du traffic des piastres et l'image de l'extraordinaire Bao-Daï.

Dans le même temps, la France était en situation délicate au Maroc et en Tunisie.

Pierre Mendès-France, homme politique honnête et de grande valeur, comprit ce qui allait se passer, et mena une politique courageuse. Son successeur, Edgar Faure, était aussi de qualité, mais il ne choisit pas, notamment au moment des évènements de l'été 55, de prolonger l'approche mendésiste.

Edgar Faure utilisa, pour la première fois depuis MacMahon, l'arme de la dissolution.

Les Français furent appelés aux urnes le 2 janvier 1956, les évènements d'Algérie jouant un rôle très important dans la campagne.

Quatre forces étaient en présence :

- une droite extrême, conduite par Pierre Poujade, totalement opposée à une quelconque négociation ;

- un centre-droit, conduit par Edgar Faure, qui n'avait pas de position précise sur la question (les Indépendants étant pour la répression, une partie des radicaux pour la conciliation) ;

- le Front Républicain (SFIO, reste des radicaux...) conduit par PMF, qui était explicitement pour la discussion avec les insurgés ;

- le parti communiste.

Les deux composantes Front Républicain / communistes obtinrent environ 55 % des suffrages. Bien que le centre-droit fut arrivé légèrement en tête, il ne parvint pas à réunir une majorité, et Guy Mollet fut investi.

Il partit en Algérie porter son message de dialogue avec les insurgés, reçut des tomates à Alger et revint, apportant la nouvelle stupéfiante aux Français qu'ils avaient voté pour le dialogue et qu'ils auraient, en fait, les rappelés.
Je fais une très nette distinction, Francis Marche, vous l'aurez compris, entre les dirigeants et les communistes de la base.
28 novembre 2008, 18:37   Pieds-noirs
Je me rappelle très bien que, dans les années soixante, les pieds-noirs étaient fort mal vus dans le Tarn : image de matamores, de gens hâbleurs (on dirait, actuellement, des "que de la gueule").

Il y a sans doute cette question des mentalités mais aussi, je me répête, cette impopularité de la guerre d'Algérie qui avait fait passer sous les drapeaux trois ans à plusieurs classes.

Un des problèmes était que les métropolitains ne voyaient aucun intérêt à l'Algérie française (dans le Tarn, en 1960, la présence musulmane était anecdotique) et bien des défauts à la guerre d'Algérie.

Pour les Harkis, j'ai le souvenir d'une vision qui correspondait, probalement, à celle du Général : ces gens n'ont rien à faire en France, ils ne sont pas assimilables, ils se sont engagés pour de l'argent, il faut les cantonner dans des camps.
Dans les Pyrénées-Orientales, ce fut encore pire : on accusa les pieds-noirs, de par leur nombre, de destabiliser la société. De plus, avec le système de primes pour certains colons, et aussi leur savoir-faire, il y eut des remises en valeur d'exploitations que les gens du crû avaient abandonnées. D'où rancoeurs.
Je me rappelle très bien que, dans les années soixante, les pieds-noirs étaient fort mal vus dans le Tarn : image de matamores, de gens hâbleurs (on dirait, actuellement, des "que de la gueule").

Je crois qu'avec le recul nécessaire, cette image de matamores était celle que donnait à tout provincial sédentaire, jamais sorti de son département si ce n'est pour le service militaire, tout personnage venu de loin, qui, en se contentant de raconter ce qu'il mangeait à midi là-bas, déjà, faisait impression, passait pour un hâbleur.

Il y a une chanson de Gilles Vigneault (le Canadien) sur ce sujet, qui dit cela très bien: le voyageur, par ses récits les plus ordinaires, fascine les belles et enrage le villageois.
Cher Francis ce que vous dites des Pieds-noirs me va droit au coeur.
J'avais un oncle communiste très remonté contre eux jusqu'à ce qu'il les vît débarquer à Marseille en 62. Devant le spectacle de ces gens, de ces femmes, de ces enfants, de ces vieillards si visiblement de milieu modeste épuisés, démunis de tout, débarquant sur cette terre inconnue , l'émotion et la compassion ont pris, chez lui, le dessus. Comme quoi, il y a, heureusement, des hommes et des femmes qui ne réduisent pas leur humanité à leurs opinions politiques.
Utilisateur anonyme
29 novembre 2008, 22:39   Re : Opinion publique française et guerre d'Algérie
D'après ce que je me suis laissé dire, la compassion des dockers CGT de Marseille fut, elle, des plus limitées. A moins de considérer le fait de laisser choir dans l'eau, exprès, des bagages et des cadres de déménagement comme un geste de solidarité et d'humanité.
Quelque chose me semble manquer dans les évocations des uns et des autres: la peur que les pieds-noirs, censés être tous de l'OAS, n'apportassent le "fascisme" en métropole.
30 novembre 2008, 21:20   Fascisme
Bien cher Pascal,

J'ai entendu dire beaucoup de mal des pieds-noirs, mais je n'avais pas perçu le terme "fasciste". Je ne pense pas qu'on leur ait reproché cela (d'ailleurs, en 1962, fasciste n'était pas employé dans le sens qu'il aura quelques années plus tard).
Désolé de vous contredire, cher Jmarc, mais en 1962 les jeunes communistes traitaient tout le monde de fasciste. Les Pieds Noirs en priorité. Et quand "fasciste" a commencé à se banaliser on a sorti "raciste". C'est l'usure de "raciste" qui rend débiles les imprécateurs à court d'insultes.
30 novembre 2008, 22:15   Jeunes communistes
Sur ce point, bien cher Florentin, vous avez sûrement raison. Les personnages style "UEC à la Krivine" étaient sortis de mon esprit. Peu de temps après, ils sortirent d'ailleurs du parti communiste.

Il me semble (mais je peux me tromper) que les communistes plus âgés faisaient très bien la distinction entre fascistes (nommé plutôt "hitlériens") et gens de droite (avec deux variétés : vendus aux impérialistes du type "Rigdway-la-peste", ou bien "vichystes", ce qui ne signifiait pas "fasciste" au sens actuel).
30 novembre 2008, 22:18   Z
Je ne sais si vous vous souvenez de Z, le film emblématique de la gauche pacifiste (il fur en plus tourné à Alger).

On y parle peut-être de fascistes, on y parle surtout d'impérialistes ( alors que le groupuscule dénommé CROC (Combattants Royalistes de l'Occident Chrétien, dans la réalité le GRCH (Garants du Roi Constitutionnel des Héllènes)) était authentiquement fasciste).
Effectivement, les Communistes plus âgés étaient plus nuancés; c'est la raison pour laquelle j'ai parlé de jeunes Communistes.
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