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Du Principe d'Identité à la Crise du même nom

Envoyé par Florentin 
Peut-être cela vous intéressera-t-il, chers amis, de chercher, en confrontant différentes approches, à cerner cette notion d'identité, précise et consistante en certains cas, floue et légère, voire vide, en certains autres cas. Du sentiment d'appartenance aux racines séculaires (ce qui est mon cas) jusqu'au doute, ou pire, à la certitude de l'indétermination, je cherche à savoir ce qui achoppe tant dans ce siècle de communication. La richesse de notre patrimoine crève les yeux et, pourtant, il est des grandes gueules affublées de micros qui parlent de notre pays, de notre civilisation, comme d'un terrain vague.
L'identité c'est quand le world trade center s'écroule, c'est quand on vous fait comprendre par tous ses propos une sorte d'"ôte-toi de là que je m'y mette", quand on voit se promener tranquillement des femmes dontseuls les yeux sont à l'air libre, quand elles parlent en criant dans l'autobus dans un langage incompréhensible, c'est quand le voisin normal et sympathique un beau matin s'affuble d'une jellaba lui descendant jusqu'aux pieds et qu'on se demande si par hasard il ne serait pas en robe de chambre, mais non ! L'identité pour moi est implicite et tant qu'elle ne se sent pas offusquée, elle reste bien tranquille en assimilant tout ce qui lui plaît.
Utilisateur anonyme
22 février 2009, 22:01   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
"L'identité c'est quand le world trade center s'écroule, c'est quand on vous fait comprendre par tous ses propos une sorte d'"ôte-toi de là que je m'y mette", (...)"

Chère Ostinato, je ne saisis pas le sens de cette phrase, en particulier je ne sais pas à quel propriétaire renvoie le possessif "ses".
Le possessif renvoie à "on". Je vise les promoteurs de la discrimination positive. Et l'écroulement du Worl Trade Center a été pour moi la première fois que j'ai pris conscience concrètement de la fragilité de la civilisation qui fonde l'identité et de sa disparition possible de mon vivant même.
Utilisateur anonyme
22 février 2009, 22:20   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
Chère Madame, je trouve votre définition de l'identité savoureuse autant qu'évocatrice. J'ai l'impression que tout est dit d'une notion qui n'en n'est pas une, que tout est dit d'un sentiment simple et fondamental qui est déjà perdu quand on éprouve le besoin d'en dire plus. En tout cas, c'est comme ça qu'il faut me parler !
Utilisateur anonyme
22 février 2009, 22:36   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
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L’identité, c’est bon pour les autres
Le 20/02/09, par Laurent Dandrieu, Rédacteur en chef adjoint Culture | Valeurs actuelles.

On ne se lasse pas de s’émerveiller de la façon dont les mots changent de sens, ou de coefficient de moralité, suivant le contexte ou celui qui les emploie. Prenez “identité”, par exemple. Menée par des peuples européens, une lutte identitaire n’est forcément qu’une “dérive populiste” qui ne saurait manquer de rappeller les “zheures-les-plus-sombres-de-notre-histoire”, au mieux une résistance absurde à “l’inéluctable uniformisation européenne”. Menée par un peuple d’Asie ou d’Afrique, elle devient aussitôt une défense légitime de ses us et coutumes face à l’“impérialisme occidental” et à une mondialisation abusivement nivellisatrice. Le dalaï-lama se verra régulièrement saluer pour sa défense courageuse de son identité culturelle et spirituelle, tandis que Benoît XVI, à chaque fois qu’il tente d’écoper la barque de l’Eglise catholique, se voit stigmatisé pour cause de “repli identitaire”. En France, l’annonce par le candidat Sarkozy de la création d’un ministère de l’Identité nationale fut perçue comme une telle provocation à l’égard du magistère médiatique qu’aussitôt nommés, ses titulaires successifs s’empressèrent de préciser que l’identité “républicaine”, c’était bien évidemment “l’accueil de l’autre” et la France comme terre indiscutable d’immigration. Mais lorsqu’il s’agit de Guadeloupe, comme par miracle, la “lutte identitaire” des partisans d’Elie Domota est relatée par les médias parisiens comme la légitime rébellion des “descendants d’esclaves” contre un “système colonialiste”. Où l’on voit une fois de plus qu’à Paris, la phobie anti-identitaire est d’abord et surtout une haine de soi.
On peut certes détruire en quelques heures ce que les siècles ont patiemment construit. Ce que j'ai pu observer, en traversant, il y a deux ans, la Normandie que je ne connaissais pas, c'est l'acharnement à relever les ruines pour effacer les traces de la destruction. Cette force existe chez certains d'entre nous et si je comprends parfaitement ce que ressent Ostinato je me refuse à céder au désespoir, au découragement.
Je n'avais pas lu W. Zendji avant de répondre, à la même minute. Nous avons déjà évoqué cet état de fait et nous sommes d'accord sur les constats; j'aurais aimé pousser un peu plus la réflexion.
Il me semble aussi que l'identité a à voir avec la membrane. Je lis dans wikipédia : En premier lieu, les membranes biologiques constituent une barrière sélective entre l'intérieur et l'extérieur d'une cellule ou d'un compartiment cellulaire (organite). Elles présentent donc la propriété de perméabilité sélective, qui permet de contrôler l'entrée et la sortie des différentes molécules et ions entre le milieu extérieur et celui intérieur. Cela permet à chaque organite cellulaire, mais également à la cellule tout entière d'avoir une composition propre différant de celle extérieure.
Mais je ne sombre nullement dans le désespoir ou le découragement, enfin je ne crois pas.
Utilisateur anonyme
22 février 2009, 23:37   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
Il me semble aussi que l'identité a à voir avec la membrane

Ce rapprochement me paraît très pertinent ! - en tout cas, cela me parle.
Rappelons-nous que la recherche d'identité est le moteur du Choc des civilisations, après la fin de la guerre froide... (Huntington.)
J'ai conscience de rejoindre, cher Bernard, votre proposition de l'autre jour à partir de ce texte. Je ne l'ai pas encore lu mais cela ne saurait tarder.
J'avais noté, lors de mon service militaire, le fossé qui pouvait séparer les citadins, intellectuels ou non, et les gens de la terre, dont un ou deux analphabètes. Beaucoup de disparité sous l'uniforme mais manoeuvres et défilés se passaient plutôt bien. Chacun sa raison de marcher, se battre le cas échéant; chacun quelque chose à défendre mais ces questions ne se posaient pas nettement.
23 février 2009, 12:03   Membrane contre membrane
Qu’on me permette d’exprimer un léger désaccord sur la définition purement négative de l’identité qu’a proposé Ostinato. Souvenons-nous de Gide, qui disait que certains Français, parce qu’ils tenaient à rappeler, par chacun de leurs gestes ou de leurs paroles, qu’ils étaient français jusqu’au bout des ongles, perdaient toute grâce à l’être ; je sais bien qu’on ne peut plus raisonner en ces termes, et la France ‘‘charnelle’’ où vivait Gide, dans l’esprit de beaucoup d’entre nous, n’est pas loin de représenter par excellence cette source à laquelle les Français ont fini de s’abreuver pour embrasser un certain nombre de valeurs morales qui leur tienne lieu de vision du monde. Si je me sens Français, j’aime que cela ne soit pas le simple effet d’une réaction épidermique à une attitude hostile et à un mode de vie que je sens bien qui n’ont rien de commun avec ce que j’ai de plus cher. Le monde tel qu’il va a fait de nous de petits cabotins. De patriotes, certains sont devenus chauvins. Si quelques Français deviennent grotesques ou pontifiants au moment où une hostilité ouverte se déclare à leur encontre, ce n’est pas un inconvénient fâcheux, mais une conséquence fatale de la triste loi du désir mimétique (j’ai évidemment à l’esprit l’œuvre de René Girard : Mensonge romantique et Vérité romanesque) : il suffit que ce mépris se manifeste chez l’Autre pour qu’il engendre chez nous le désir d’assumer ou de revendiquer ce que notre rival a désigné en nous comme étant haïssable. Toutefois c’est laisser à l’ennemi le soin de choisir pour nous ce que signifie être français, ce que je n’accepte en aucune manière.

Cependant, je comprends bien, en faisant ce raisonnement, ce que peut avoir de potentiellement pernicieux ou hasardeux pour la communauté nationale en son entier une attitude individuelle aussi ‘‘noble’’ et insouciante : en effet, c’est la France qui, contre son gré, est aujourd’hui désignée comme une ennemie, ainsi que le rappelle Pascal Bruckner dans son livre sur la tyrannie de la repentance. Si nous ne pouvons pas, en ces moments difficiles, nous contenter de préserver notre prétendu quant-à-soi sans nous soucier du regard de l’Autre, il faut garder à l’esprit ce qu’une telle attitude réactive nous fait perdre de cette identité qu’au travers de nos paroles quelquefois outrées et grandiloquentes nous prétendons défendre. En sorte que la conscience de la radicalisation de mes propres opinions au cours du temps a souvent pour corollaire le regret que l’injonction pressante de sauver ce qui peut l’être de la France face à un ennemi insaisissable s’accompagne, presque toujours, d’un sentiment d’ineffable bêtise, explicable, je pense, par la naissance forcée du sentiment de ce devoir dans le regard de l’Autre (ou dans l’Autre tel que j’imagine qu’il me voit).

Pour répondre à Ostinato, je dirai que je ne me sens pas Français par le 11 septembre, ni par les femmes en djellaba (du moins pas en premier lieu). Je suis d’abord Français par Joachim du Bellay, les librairies anciennes, les parcs, le vin de Bourgogne, et tout ce qu’on voudra. On dira avec raison que cela ne saurait suffire, et qu’on ne fonde pas là-dessus une politique. Toutefois la colère ne sied pas toujours à un beau visage.

Mais chacun de nous sent bien qu’il ne saurait, dans la vie courante, se satisfaire de cette réponse ; aussi dois-je reconnaître que je me situe exactement sur le même plan qu’Ostinato. Seulement, j’ai ici jugé préférable, animé par un souci ‘‘bathmologique’’, de retracer le chemin de pensée par lequel j’en suis venu à adopter une telle position qui comprenne, au sens hégélien, les positions antérieures : tout à mon désir d’affirmer, en face de l’Autre, l’identité qui est la mienne et que je sens compromise, je garde à l’esprit la formule de Gide, et comprends que toute noblesse est morte qui fonde un parti pour se défendre. Qu’au moins, au cœur de l’adversité la plus agressive, chacun de nous ait une pensée pour le Français qu’il eût été sans presque y penser, avant que le regard de l’Autre ne se soit posé sur lui en lui donnant l’occasion non de réaffirmer son identité perdue, mais bien souvent de s’affaiblir en se caricaturant lui-même. Un Français qui se connaît des ennemis sent bien renaître sa force, mais celle-ci est entièrement au pouvoir de ceux qu’il entend combattre : las d’être contraint de devenir le reflet inversé de ces derniers (on l’a vu à propos de l’affaire du voile, où des esprits perspicaces avaient déjà compris que les musulmans étaient les véritables arbitres du jeu), il tient d’eux, sans le savoir, le contenu de sa propre définition. C’est un grand malheur pour certains d’entre nous de ne plus pouvoir, dans le monde qui est le nôtre, être Français sans orgueil.
Utilisateur anonyme
23 février 2009, 12:50   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
L'identité pour moi est implicite et tant qu'elle ne se sent pas offusquée
dit Ostinato. Je lis S. Bily et je me dis que l'implicite c'est Joachim du Bellay, les librairies anciennes, les parcs, le vin de Bourgogne et que l'offuscation [j'ai vérifié...], c'est le 11 septembre et les femmes en djellaba. Vous dites bien la même chose, n'est-ce pas?
Je ne sais pas, Basho, car j'ai beaucoup de mal à comprendre cette phrase :

"L'identité pour moi est implicite et tant qu'elle ne se sent pas offusquée, elle reste bien tranquille en assimilant tout ce qui lui plaît."
Certains seraient prêts à s'emparer de cette idée d'identité-membrane pour clamer que l'identité, c'est la peau ! (Et donc sa couleur, ses affinités, etc. avec les conséquences que je vous laisse deviner).

L'identité, c'est le contraire de la membrane extérieure: c'est le noyau cellulaire, ou le noyau du fruit, voire sa graine, qui peut demeurer en dormance des années et parfois hélas toute une vie, ou l'espace de plusieurs générations, pour éclore dans le futur.
Non car l'identité doit être poreuse sinon à se figer pour finalement mourir, mais dans une certaine mesure seulement sinon à se dissoudre et mourir d'une d'une autre façon.
L'intervention d'Ostinato me fait penser (malheureusement j'ai égaré mes notes) au cours de Levy Strauss, vers 1974, qui traitait des rapports de l'individu au groupe à propos d'endogamie et d'exogamie. Il doit bien y avoir une trace quelque part.
Je crois que Francis Marche oppose l'apparence au principe, actif ou en sommeil. Je ne suis pas sûr de bien comprendre sa remarque.
Une chose à mettre en avant est la capacité d'assimilation de notre culture de telle sorte que les apports actuels de populations étrangères ne nous apprennent rien ou presque. Les romanciers du Moyen Âge sont fous d'exotisme, les voyageurs, les négociants n'ont de cesse de satisfaire ces rêves de denrées lointaines. Les explorateurs ne manquent pas de mécènes et les amis de George Sand vantent son fameux cous-cous...
Seule la curiosité formidable des Japonais me laisse admiratif.
Vous voulez parler de Claude Lévi-Strauss, cher Florentin ?
Toujours selon Huntington, le principe d'identité le plus profond (c'est le terme de la traduction française) est, en fin de compte... la religion. C'est ainsi qu'il y a des civilisations identifiées par le christianisme (catholiques et protestants), l'orthodoxie (Russie, Grèce, Serbie...), l'islam (Bosnie...), le bouddhisme, l'hindouisme, le confusianisme... Cela paraît simple, mais le livre est si brillant, si fouillé, généreusement documenté, que cela devient une évidence. La guère de Yougoslavie, par exemple, trouve dans ce cadre une analyse détaillée et lumineuse (la Grèce aidant la Serbie, au risque d'indisposer le reste de l'Europe... Le silence des médias occidentaux sur la purification ethnique faite par les musulmans, pour ne parler que de celle pratiquée par les Serbes... Le « deux poids, deux mesures » permanent pratiqué par l'Occident...)
J'ai cru répondre à Francmoineau mais je n'ai pas appuyé sur le bon bouton. Oui, je voulais dire Claude Levi-Strauss, pardon pour l'orthographe.
J'ai acheté ce matin le livre de Samuel Huntington et j'ai commencé de le lire: il était temps. Il vient de sortir en collection de poche chez le même éditeur; cela devrait faciliter sa diffusion.
Utilisateur anonyme
24 février 2009, 01:25   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
Et puisqu'il est question d'identité, il me semble que l'identité française telle qu'elle s'observait, mettons, entre les deux guerres et au sortir de la dernière, était la moins préparée à se laisser approcher par les coutumes verbales des vulgarisateurs de la psychologie en toutes ses obédiences.

Ce type d'approche du monde m'a toujours semblé ne devoir pas convenir à la tournure d'esprit française, telle qu'on peut s'en faire une idée en lisant ou relisant des auteurs de l'entre-deux guerre et de la Libération, passés ou non à la postérité.

Cependant, comme la psychologie et ses dérivés semblaient livrés avec l'électro-ménager, certains Français ont fait un effort vers l'esprit de sérieux qui, précisément, se pose un peu là, comme marqueur identitaire des problématiques psychologiques. Maîtres et vulgarisateurs ont peu à peu convaincu du bien-fondé de leurs façons de procéder ceux qui en étaient encore à faire les intéressants ; ils ont glissé en douce dans les conversations leurs petits mots à moitié savants, si impropres à toute verve. Che noia ! Et revoici la femme de ménage en souffrance qui m'ôte toute envie de participer à son mal aux reins à cause des mots qu'elle choisit pour l'exprimer. Ce qui serait drôle serait d'apprendre que la consommation d'anxiolytiques est recherchée pour s'évader un peu du train des conversations.

Le discours psychologique et apparenté ne prédispose pas à la pirouette, à l'éclat d'un trait, à la mise en boîte et c'est bien fâcheux pour les Français qui croyaient s'en être fait une spécialité, depuis la phrase proustienne jusqu'au bagout du zinc. Les fameux "outils" du discours psychologique ne peuvent ciseler de quoi essayer de mettre les rieurs de son côté, sauf entre initiés peut-être.

Il est regrettable - et très spécialement pour l'identité française - que ces sciences spéculatives n'aient pas été savourées en petits comités soucieux de ne pas ébruiter leurs recherches. Il aurait mieux valu, par exemple, que l'ambition d'être "soi-même" reste un thème de réflexion confidentiel au lieu de s'insinuer dans les moindres magazines, suivie d'autres conceptions des rapports humains, pleines de choses à faire et à ne pas faire, comme pour supplanter les religions sur le terrain du mode d'emploi. Il n'est pas certain que tous les commandements de la psychologie aient été bien compris. Cela n'a pas empêché ses idées et son vocabulaire de devenir une des marques de fabrique de l'époque, et des mieux imprimés et ça ça a brouté certaines identités.
Utilisateur anonyme
24 février 2009, 08:21   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
Merci pour cette intervention fort intéressante, cher orimont. J'avais bien mesuré l'envahissement de l'univers mental par la logorrhée psychologique vulgarisée mais je voyais surtout comment celle-ci avait évacué et supplanté les grandes questions philosophiques et existentielles. Je ne l'avais pas mise en rapport avec l'identité et la tournure d'esprit françaises.
"Le discours psychologique et apparenté ne prédispose pas à la pirouette, à l'éclat d'un trait, à la mise en boîte et c'est bien fâcheux pour les Français qui croyaient s'en être fait une spécialité, depuis la phrase proustienne jusqu'au bagout du zinc. Les fameux "outils" du discours psychologique ne peuvent ciseler de quoi essayer de mettre les rieurs de son côté, sauf entre initiés peut-être. "
Orimont, je suis une fois de plus absolument d'accord avec vous ! Nous sommes en train de perdre, à tous points de vue, ce qui faisait notre sel.

Il faudrait ajouter le discours antiraciste, droit-de-l'hommiste, et son insupportable esprit de sérieux.
Un exemple : "Faire entrer le plus d'étrangers possibles dans notre pays afin qu'ils payent les retraites des Français" aurait pu être une proposition d'humoriste du genre : "Mettons les villes à la campagne". Le jour, en effet, où il y aura suffisamment d'étrangers au travail pour payer la retraite des Français, il n'y aura plus de Français, pas plus qu'il ne resterait de campagne si on y mettait les villes. Alors à quoi bon ? Hier, quand Marius mettait en boîte le lyonnais monsieur Brun, qui finissait par prendre son ironique revanche au moment où les moqueurs marseillais s'y attendaient le moins, ça faisait rigoler tout le monde. Aujourd'hui monsieur Brun ou ses équivalents africains saisiraient la Halde, le Mrap ou SOS racisme.
24 février 2009, 10:16   Fausse origine
Au fait, savez-vous, chère Cassandre que Robert Vattier était originaire de Rennes ? il a toujours joué des rôles de "tatillon", au cours de sa longue carrière.

Pierre Fresnay était parisien...

C'est amusant, quant on sait que les deux personnages étaient très typés "lyonnais" et "marseillais".
Cher Orimont,

Je viens d'achever la lecture de l'Huile sur le feu d'Hervé Bazin (et en suis assez bouleversé) qui fut écrit d'octobre 1953 à février 1954 - sa lecture par moi achevée le jour anniversaire de la clôture de sa rédaction, comme il le faut d'un bon bouquin qui vous parle. J'aurais des volumes à vous écrire sur un certain talent psychologique français. Ce roman est un manifeste freudien (en même temps qu'une lointaine illustration de certains thème bachelardiens) éclatant de réussite, qui démontre l'insuffisance de "la psychologie de l'entre-deux-guerres" à rendre compte d'un certain mal, et de l'éclatement du mal, dans la famille française après la seconde guerre mondiale.

Le freudisme a connu le succès qui fut le sien par deux facteurs: celui des grands traumatismes collectifs du XXe siècle d'une part; d'autre part la force qui était encore celle des institutions morales et civiles (et civilisationnelle) des société occidentales au sortir de cette guerre: l'institution du mariage, la respectabilité sociale et l'image de soi dans la collectivité ("la communauté" comme il faut dire aujourd'hui), la réputation d'honnêteté, le rite social et religieux (qui avait de longue date remplacé la piété), et la très forte pression cohésive qu'exerçait cette force sur les êtres, les citoyens. Ces deux facteurs, celui-ci ne suffisant pas à soigner et à guérir de celui-là, l'Ordre a éclaté. Ce roman de Bazin vous montre comment.

Il apparaît que Bazin, que je n'avais à mon grand dam jamais pris la peine de lire sérieusement, est un des grands auteurs français très injustement délaissés, négligés par la "critique savante" (intellectuelle) du dernier quart de siècle. Je ne saurais trop recommander la lecture de ce roman pour mieux interpréter d'où nous venons.
Tout à fait d'accord. Cependant il me semble que Vipère au poing a eu un immense succès. La dictature de la productivité chasse de bons livres jusque dans les mémoires.
Citation
La dictature de la productivité chasse de bons livres jusque dans les mémoires.

Non c'est la mainmise idéologique du progressisme dans l'enseignement, l'édition, les médias, etc... qui s'est appliquée à occulter resp. éliminer toute une production littéraire de haute facture dont le contenu "vrai" lui déplaisait.

La liste des grands auteurs aujourd'hui oubliés est d'une longueur affolante.
Jules Barbey d'Aurevilly, qui rendait compte de l'actualité théatrale pour différents journaux, commence un de ses articles par ces mots (je cite de mémoire): "Comme il ne se passe rien au théâtre en ce moment, je vous emmène au cirque". Vous voyez ça aujourd'hui ?
Mais ce que vous dites, cher Rogemi, est parfaitement exact. La Vérité fait mal, la Beauté fait peur.
Je crois que la littérature cristallise bien le débat sur l'identité.
Bazin était un angry young man à la française. Ce roman est une fable, une parabole sur les origines du désastre qui a commencé à frapper la bourgeoisie française en mai 40 et qui montre, en un sens, en un sens parmi de nombreux autres, comment la petite bourgeoise ne pouvait pas, n'eut pas la force morale, de tenir dans les carcans d'obligation qui faisaient le revers de la médaille de la vie bourgeoise. Mai 40, Dien Biem Phu, les Accords d'Evian, et en trois décennies s'en était fait d'un monde qui n'avait plus qu'à périr dans les flambées de rue de mai 68.

Je dis qu'il était un angry young man parce que la thématique, la violence, la richesse et l'exactitude du verbe acquis au manoir angevin chez Bazin me rappellent certains textes et certaines thématiques de John Osborne, et ce livre plus particulièrement la pièce de théâtre Look Back in Anger d'Osborne, notamment par le traitement shakespearien, baroque de la scène de ménage. S'il est vrai que Osborne et Bazin n'appartenaient pas exactement à la même génération (Bazin se révéla tardivement, ayant été une sorte d'enfant perdu, de fils de famille devenu zazou pendant une quinzaine d'année) leur production littéraire est typique des Trente Glorieuses, de la 4CV reine et de son petit frère le fer à repasser Calormatic qui commençaient à bouleverser l'ordre séculaire des campagnes.

Du reste, ils sont morts je crois tous les deux la même année: 1996, ayant conservé, à un âge avancé l'un et l'autre le même mors aux dents.

Bazin avait été "compagnon de route" (un peu distant mais quand même), du Parti communiste; je ne peux aller vérifier si ce fut le cas d'Osborne, mais cela ne m'étonnerait pas.
Utilisateur anonyme
24 février 2009, 19:18   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
"Bazin avait été "compagnon de route"".

Le plus difficile c'est de comptabiliser ceux qui ne furent pas "compagnons de route", au sortir de la claque qu'avaient pris les nazis.
Mon propos initial au sujet de Bazin, et que j'ai un peu perdu de vue en route, avait trait au freudisme, qui se veut une intelligence des mécaniques, et donc des forces qui régissent la psychologie. L'interprétation freudienne de la psyché suppose donc des forces instituées par la société et n'a strictement aucun sens si ces forces s'estompent, s'affaiblissent jusqu'à se fondre dans le néant. La lecture de ce roman m'a fait sentir ceci: le freudisme avait tout son sens dans une société où l'individu se trouvait encore pris dans des dilemmes moraux, sociaux, identifiables et qui déterminaient le cours de son existence, ses choix de vie. On choisissait sa vie authentiquement, soit hors de toute nécessité qui ne fût morale et de convention. Le règne du besoin, en régime bourgeois, n'était pas absolu. L'interprétation freudienne des conflits psychologiques se justifiait, la mécanique allait loin; elle accomplissait son cours, son programme mu par des forces qui ne faiblissaient pas, des forces sur lesquelles on pouvait compter à la vie et à la mort – la peine de mort existait pour les incendiaires; on pouvait, on avait le droit de tuer l'intrus nocturne sans craindre la justice, etc. – ; les actes motivés par un conflit psychologique ou moral s’accomplissaient dans les arcanes du devoir et de la contrainte jusqu'à leurs conséquences ultimes.

L'explosion de ce régime bourgeois a défait le freudisme du même coup; elle a instauré un relativisme dans le droit comme en psychologie, fait naître le lacanisme, le doltoïsme. Encore une fois mai 68 apparaît dans cette évolution comme un véritable jalon historique, avec l'instauration de la dictature de la petite bourgeoisie relativiste et dont le régime est fondé sur la nécessité matérielle brute et immédiate, brutale et sans détours inutile, certes, mais aussi incomplète en tout, inachevée en tout, sans processus interprétatif complet et abouti des motivations et des actes des personnes ; la parole n’est pas tenue jusqu’au bout, l’imprévu, le contretemps, sont prioritaires, les gens sont introuvables, insaisissables, indéfinis, changeants, déterritorialisés ; fuyant comme des anguilles, ils ont toujours mieux à faire qu’à parfaire ; le nomade est modèle ; le mode de l’inaccompli et le temps du présent absolu règnent sans partage ; les actes sont au coup par coup ; la « réactivité » est valorisée – régime épuisant, et qui impose à son adepte des « retraites », des replis dans le New-age, les philosophies orientales, le ressourcement régressif, de multiples faux nouveaux départs, retours à la case zéro, coucounage chez les parents à 40 ans passés, et la multiplication des solutions de continuité que les générations passées voyaient d’un si mauvais œil et qui auraient plongé Freud dans la perplexité.
Utilisateur anonyme
24 février 2009, 20:29   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
Mon propos initial au sujet de Bazin, et que j'ai un peu perdu de vue en route, avait trait au freudisme
J’avais bien senti que le sujet —qui m’intéressait— avait été perdu en route, cher Monsieur Francis Marche ! Mais, sur votre lancée, je m’étais risqué à combler le blanc restant et je ne m’étais pas trompé sur le sens de votre réflexion. Manquait pourtant votre magnifique sens du développement. Quand je vous lis, j’apprécie souvent et toujours je souris.
Cher Francis, Freud n'a pas seulement raison dans son époque. Ce que vous dites n'est que partiellement exact : pour la part anecdotique de ses analyses, incarnées, en effet, dans une époque bourgeoise (ce qui a aussi, si l'on veut bien, son charme, dans un monde de refoulement et de sublimation, mais aussi de beauté et de politesse). Le principe de castration et l'éveil de l'esprit au symbolique est toujours bien là, sans quoi, point d'humanité... Quant à Lacan, il ne produit évidemment pas un freudisme dégradé et soixante-huitardisé (*), mais au contraire une théorisation très épurée des concepts freudiens, et une restauration de ces concepts dans un monde où, comme on le suggérait ici récemment à juste titre, le « complexe d'Œdipe » ne veut plus rien dire... Bien entendu, il y faut une lecture attentive et patiente, car le lacanisme se cache derrière Lacan. Quand à Freud, n'oublions pas qu'il est aussi un grand écrivain...

(*) Souvenez-vous de ce qu'on a appelé l'intermède de Vincennes, où Lacan s'est fait chahuter, justement, par des soixante-huitards. « Vous voulez un maître, s'est écrié Lacan, vous l'aurez ! »
Je vous laisse bien volontiers Lacan, n'ayant pas sous la main les moyens d'argumenter avec vous.

Si j'osais, je ramasserais le propos (les contraintes d'une connexion Internet erratique et insuffisante ont cette vertu) en vous posant cette chararade : qu'est-ce qui, symbole d'une époque née récemment, est commun à la zapette (l'incomplétude des programmes télévisuels mais aussi celle des promesses et des programmes humains) et à l'abolition de la peine de mort ?

Réponse: la perte petite-bourgeoise du risque du tragique.

La brutalité et l'immédiateté petite-bourgeoises ont brouillé tous les programmes; elles ont rendu leur aboutissement ou leur dénouement (guérison ou fin tragique) compliqués et incertains, pendants, stagnants.
Merci M. Basho. Ravi à mon tour d'apprendre que ce que j'écris puisse faire naître le sourire complice du lecteur. Le sourire immotivé du plaisir.
Vous savez, Francis, j'ai fait la réponse que l'on attendait de moi... À part ça, je vous suis volontiers, en particulier quand vous parlez du tragique...
"la perte petite-bourgeoise du risque du tragique. "
Pour perdre quelque chose il faut déjà l'avoir...

Je propose, sans vous contredire, Francis, une autre perspective que je qualifierais de technique. Est-ce la trop forte tentation (pesanteur) de la facilité , est-ce le plafonnement de certaines facultés humaines, toujours est-il que la création, la recherche, l'invention, se sont isolées de la masse des humains. Musicien de formation, je constate que depuis plus de cinquante ans la création n'intéresse plus le public; dans les concerts de musique contemporaine on ne rencontre plus que des musiciens professionnels. Il en va de même, malgré les apparences (parce qu'on peut tricher), dans les autres disciplines. La simple expression "Bande dessinée pour adultes" trahit le triomphe de la facilité. 68 a sonné le glas de la perfection et pressé le déclic de la régression. Adieu la retenue, la maîtrise de soi, adieu la tradition (transmission) du savoir et, dans bien des cas, du savoir faire. Plus on a exalté les métiers d'art, plus on les a étranglés.
Citation
La simple expression "Bande dessinée pour adultes" trahit le triomphe de la facilité

C'est trop vrai.
On m'offre régulièrement des "Bandes dessinés pour adultes" accompagnées de recommandations dithyrambiques.

Le succès de cette sous-sous-littérature m'est incompréhensible car ces albums sont presque tous d'une indigence affligeante. Je suis incapable de les lire.
Réjouissez-vous, mes frères : de tout cela, il ne restera rien.
Il ne restera rien non plus, physiquement, de la plupart de nos livres. La première fois que j'ai ouvert le Traité de la ponctuation de Drillon (Tel, Gallimard), quatre pages de la table des matières se sont détachées ! Mais enfin, je l'aurai consommé.
C'est en effet une douleur cruciale que vous évoquez là. Que faire de ces livres qui, comme des arbres à l'automne, perdent leurs feuilles ? Je ne saurais quant à moi me résigner à les jeter au feu. Cependant ils demeurent là, inutiles, illisibles, parmi les rayonnages...
La qualité de fabrication des livres français est un scandale. Il est, me semble-t-il, le signe du profond mépris dans lequel on tient désormais les lettres, les humanités, les lecteurs, en France. Remarquez qu'en Allemagne et dans les pays anglo-saxons, on fabrique des livres de bonne qualité : même les livres de poche tiennent bien. Quant aux ouvrages rliés en "dur", beaucoup plus répandus que chez nous, ils sont robustes, bien reliés et bien imprimés sur du papier de qualité.
J'ajoute que ce contraste se double du même sur le plan de la langue. L'anglais résiste beaucoup mieux que le français. Observez, à la télévision, les séquences doublées en "voice-over" : très souvent, la version française est beaucoup plus relâchée, vulgaire, fautive, que ce que l'on entend à l'arrière-plan dans la langue originale.
25 février 2009, 12:24   Même la mort a disparu
L'art étant une discipline, une maîtrise, une patience, un déroulement et un lent accomplissement, il n'est rien de bien étonnant à ce qu'il s'efface lui aussi. Le "jouir sans entraves" (le "I want it and I want it now" des féministes américaines petites-bourgeoises des années 60) est antagonique à l'art, au goût cultivé (cultivé au sens laborieux, presque paysan du terme).

Nous n'avons plus rien à craindre à le dire puisque tout ça est du passé lointain, historique: le temps humain de la contrainte pouvait donner un sens tragique à une mort, à une vie. La mort signait la vie, accomplissait son sens. Elle résolvait une suite de choix contradictoires, l'arcane des contraintes assumées - "si le divorce te fais peur, dit la mère à sa fille de 16 ans dans ce roman de Bazin, je demanderai la séparation de corps et de bien". C'était encore ainsi avant l'invention de la pillule et de l'avortement pardonné par la loi civile: les femmes hésitaient des années avant de décider s'il convenait ou non de "demander la séparation de corps et de bien" pour éviter le divorce. Un enfant de divorcé en 1960, dans les campagnes, était comme un enfant qui à l'école, en 1985, aurait déclaré à sa maîtresse j'ai le sida et maman aussi. Il fallait tenir son rang, ne pas céder à la facilité, au désir pulsionnel d'en finir du conjoint; dans cette résistance, s'échaffaudait le sens ultime d'une vie. Les Trente glorieuses (années 60 en particulier) furent les décennies des scènes de ménage, du divorce à l'italienne. La petite bourgeoise ruait dans les brancards pour sa libération, celle des années 70.

A l'époque de l'art (ou l'art existait comme tel) les contraintes forçaient les vies à se choisir un sens, et les morts itou.

La dictature de la petite bourgeoisie a aboli la peine de mort parce qu'elle a aboli la Mort.

La petite bourgeoisie appelle désormais la mort fin de vie. La fuite des uns et des autres dans le présent que j'évoquais hier donne à certains (à la plupart) l'illusion que la mort, dans ces dédales, ne les trouvera pas, qu'ils auront une fin de vie, c'est à dire une mort dépourvue de toute sorte de tragique, de leçon, de message au ciel et aux hommes. Une fin de vie: le petit bout non abouti de la vie qui ne présente qu'un défaut majeur, celui d'être le dernier.

Que voulez-vous que l'art devienne dans ce jeu de simulacres, sinon de la petite branlette jouée en interne ?
J'ai pris l'exemple du Drillon à dessein. Voilà un livre de référence, neuf, qui part en morceaux à la première ouverture. Et qui porte la signature de Gallimard !
Cher Bernard, consolons-nous, ou lamentons-nous ensemble : mon exemplaire de ce livre est cassé net en deux à la page 184, celle-là qui cite d'ailleurs cette contrepèterie (involontaire ?) : Des livres ou courts ou longs.
Pas des livres au long cours, en tout cas...
Utilisateur anonyme
25 février 2009, 17:02   Re : Du Principe d'Identité à la Crise du même nom
Quand je vous lis, j’apprécie souvent et toujours je souris.

M.Marche, entièrement d'accord avec M.Basho. Votre dernier message est particulièrement frappant de lucidité, de clarté et de bon sens.

Une fin de vie: le petit bout non abouti de la vie qui ne présente qu'un défaut majeur, celui d'être le dernier.

Magnifique.
Et « la petite branlette jouée en interne » ? D'autant plus que cette définition appliquée à l'art peut l'être aussi à la mort : C.Q.F.D.
25 février 2009, 17:41   Du grand Francis
Ma visite au temple par vous recommandé (ainsi d'ailleurs qu'à Sha Tin où j'ai eu une overdose de Bouddhas) a peut-être eu un effet : on a vraiment du grand Francis !


Connaissez-vous à Hong Kong ou à Singapour un temple dédié à l'humour ? je suis prêt à me livrer à tout un ensemble de kow tow et de reptations, car le site du parti me paraît en manquer quelque peu, ces temps-ci.
25 février 2009, 17:49   Pierre Bergé
Je glisse ici que l'attitude de Pierre Bergé a été jugée insultante par les Chinois de ma connaissance (ou plutôt les collègues Chinois que je visitai ce jour). Le sujet vint directement sur la table, et je déviais la question en parlant d'Yves Saint-Laurent et de leur relation.

Les Chinois furent rassurés, un homme pareil pouvant en effet avoir des idées étranges. La chose se passant dans un karaoké bien imbié, je qualifiai M. Bergé de "yi mou" dans sa relation avec Saint-Laurent, ce qui provoqua, après explication, de longs éclats de rire !
imbié ou imbibé ?
Utilisateur anonyme
26 février 2009, 00:15   Une page du folk-lore breton
Du côté de Quimper, circa 1840 :

"Je dois dire ici quelque chose de cette fille et de quelques autres qui venaient chez elle en même temps que les gamins et les gamines ; car cela entre dans les mœurs bretonnes que je me propose de montrer sous tous leurs aspects. Cette fille nous apprenait les prières et le catéchisme - à lire elle ne parvint à l'apprendre qu'à moi seul, mais après les premières leçons, édifiantes sans doute, avec le concours des autres filles qui venaient là, elle nous en donnait d'autres toutes aussi édifiantes sur l'histoire naturelle de l'homme et de la femme voire même des leçons pratiques. Il y avait dans ce grand village un pauvre idiot qui, quoique n'étant pas muet, ne disait jamais mot, il ne savait pousser que des grognements de douleur ou de satisfaction, il était le jouet de tous les enfants du village ; souvent il suivait ceux-ci quand ils venaient au catéchisme chez notre bonne fille ; là, le catéchisme et les prières finis, cette fille avec ses grandes camarades allaient aussi jouer avec l'idiot qui se laissait toujours faire sans mot dire, elles lui retiraient ses grandes culottes en le couchant par terre, puis elles allaient à tour de rôle pratiquer sur lui ce que Onan pratiquait lui-même à côté de sa belle-sœur Thamar et que l'Eternel fit mourir à cause de cela. Quand l'idiot ne venait pas, ces filles s'amusaient avec les enfants, dont quelque-uns du reste étaient déjà bien âgés. Tout cela sans gêne et sans aucun scrupule, comme les enfants de la nature. Et cette fille, notre institutrice, était considérée comme une sainte femme, elle allait très souvent communier. Je ne sais pas si dans ses confessions elle racontait au curé toutes les leçons qu'elle nous donnait en dehors des leçons de catéchisme, et si le curé approuvait sa manière de faire, peut-être bien. Nos curés bretons ne voient pas grand mal dans ces petites choses naturelles, pas plus qu'ils n'en voient dans l'ivrognerie ; ils en voient beaucoup plus dans l'éducation morales et scientifiques données par des laïques."

Jean-Marie Déguignet - Mémoires d'un paysan bas-breton (édition établie par Bernez Rouz)
J'observe que la culture bretonne est, aujourd'hui, la plus vivante des cultures françaises.
Utilisateur anonyme
26 février 2009, 19:43   Re : Une page du folk-lore breton ou Impressions de Basse-Bretagne
Je ne croyais pas si bien dire avec le titre de ce message, emprunté à Raymond Roussel. Voici un instrument de musique qui ne dépareillerait pas sur le Théâtre des Incomparables :

"On annonçait la fête par des coups de fusil, puis de grands coups frappés sur de grandes bassines en cuivre et on sonnait du corn boud [corne à son grave]. Et on y jouait une musique que je n'ai jamais vu jouer nulle part ailleurs. On posait une bassine sur un trépied, puis un individu prenait deux joncs de pré très longs et résistants et les posait en travers sur la bassine au fond de laquelle on mettait de l'eau ; alors, une femme qui avait l'habitude de traire les vaches prenait ces joncs que le premier tenait appuyés sur le bord de la bassine, se mettait à tirer sur ces joncs en faisant glisser ses doigts tout le long, absolument comme si elle eût tiré sur les trayons d'une vache. Alors, comme chez les spirites et mieux sans doute, la bassine se mettait à trembler et à danser sur le trépied puis deux ou trois autres femmes ou enfants tenant des clefs suspendues à des fils les mettaient en contact avec l'intérieur de la bassine. Ces clefs de différente grosseur faisaient des notes différentes par leur trépidation sur le bord de la bassine en mouvement. Tout cela faisait une musique extraordinaire, qui s'entendait d'un bout de la commune à l'autre, surtout quand, dans les grands villages, on employait plusieurs bassines de grandeur et d'épaisseur différentes.
Non, je n'ai vu nulle part, quoique j'aie vu bien des musiques, une semblable à celle-là."

Jean-Marie Déguignet - Op. Cit.
La lecture du livre de Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations, me laisse perplexe. Certes ce livre est bien documenté mais cette certitude que le salut de la civilisation passe par les Etats Unis me paraît dangereux. Si, sur le plan géopolitique, l'auteur maîtrise l'histoire moderne, l'aspect culturel et religieux lui échappent en grande partie. Les propositions sont un peu courtes. Si les USA proposent un certain mode de vie, leur culture est des plus faiblardes. Il suffit de voir la merde qui passe en ce moment sur la 3, Lancelot, un florilège de contresens et d'anachronismes. Grotesque.
Ma conviction est que nous parlons la langue littéraire par excellence. La barre est assez haut mais il n'est pas possible d'ignorer son histoire car tout son génie, son efficacité sont là. La génération spontanée n'existe pas et il est bon de rappeler aux jeunes gens d'aujourd'hui que Rimbaud était lauréat du Concours Général. [Je ne veux tout de même pas dire que les intellectuels sont des artistes, loin de là].
Du travail en perspective et, sûrement, de l'espoir au bout.
» cette certitude que le salut de la civilisation passe par les États-Unis me paraît dangereux

Je crois, cher Florentin (pardonnez-moi), que votre réaction est prématurée, et que vous n'avez pas encore lu le livre en entier, car ce n'est pas du tout le sentiment que m'a donné Huntington, bien au contraire ! L'auteur fait preuve d'un grand relativisme, très respectueux des autres "civilisations" – et très critique à la fois (en particulier quant à l'islam, mais aussi quant à l'Amérique). Mais il dit que si l'« Occident », à moyenne ou longue échéance, veut survivre en tant que civilisation, il faudrait que l'Amérique du nord et l'Europe unissent leurs forces...

Quand aux superproduction cinématographiques américaines, je suis mille fois d'accord avec vous, mais il faut garder à l'esprit que chez eux, il s'agit seulement d'« entertainment » et de business. (Huntington, vous m'y faites penser, ne parle absolument pas du cinéma américain – sauf erreur de ma part – et c'est un peu étonnant...)
Il y a un article (11 pages) de la revue La Nef qui est un débat au sujet de la thèse d'Huntington, avec Rémi Brague, Chantal Delsol, Marcel Gauchet, Paul Marie Coûteaux.

[gauchet.blogspot.com]

Je ne suis pas sûre qu'on y trouve des idées percutantes. Je ne l'ai que parcouru car pour le lire correctement il faudrait l'imprimer. Je note qu'un des participants à la discussion (Rémi Brague) avoue qu'il n'a pas lu le livre....
Cher Bernard, j'ai lu le livre en entier et je parle d'une impression générale. D'accord pour le respect des autres mais quand il dit-- et je ne fais pas de procès d'intention-- que l'Europe et l'Amérique du Nord doivent s'unir, il dit aussi que la culture découle de la puissance économique et sous-entend qu'en matière de culture l'Amérique est en droit de revendiquer le leadership. Dans l'ensemble c'est un bon livre qui pose des bonnes questions et, en particulier, l'irréductible opposition entre christianisme et islam.

Comme dit Ostinato, on ne trouve pas d'idée percutante. Maintenant c'est à nous de les penser. Le système permet-il de les exprimer publiquement ?
Je crois, cher Florentin, que le livre n'aurait pas été l'objet d'une telle controverse s'il avait été si insipide. Je l'ai trouvé, moi, très percutant et lumineux. Il s'agit non moins que d'une nouvelle grille de lecture pour l'histoire, et le livre dénonce la naïveté américaine de ne l'avoir pas mise en pratique, en particulier sous Clinton.

À propos des États-Unis, il ne dit pas, sauf erreur ou omission, que le leadership doit leur revenir. Il dit (je cite de mémoire) que, dans telle et telle situation, le leadership leur revenait, ce qui était certainement exact. Pour le futur, je crois que s'il disait ce que vous dites, cela m'aurait fait bondir...

(Ostinato, si je lis bien, dit qu'il n'y a pas d'idée percutante dans le débat dont elle donne le lien...)

Je dois dire que toutes les "controverses" auxquelles j'ai assisté ont été menées par des gens qui n'avaient pas lu le livre, ou l'avaient lu en diagonale, et qui étaient, bien entendu, sous l'influence des médias (à tendance pro-arabe). J'irai voir le débat renseigné par Ostinato.
C'est bien du débat dont je parlais.
Je me cite:
"sous-entend qu'en matière de culture l'Amérique est en droit de revendiquer le leadership"
Je veux bien me tromper et, dans ce cas, vous me rassurez. Cependant je maintiens que sur les plans culturels et religieux, il y a beaucoup à clarifier.
» je maintiens que sur les plans culturels et religieux, il y a beaucoup à clarifier.

Ce serait un autre livre. Le propos n'est pas de parler de religion, mais de montrer que les "civilisations" se définissent par ce qu'elles ont de plus profond, qui est finalement la religion. Ce n'est pas une question de foi, mais de culture. (De nombreux athées, par exemple, sont de culture chrétienne, bien entendu.) Il s'agit d'une question d'identité, non de théologie, laquelle reste inanalysée, sauf dans quelques traits de caractères pertinents pour la démonstration (intolérance, etc.) La thèse du livre, analysant des dizaines de conflits de par le monde, est de montrer qu'ils se placent le long des lignes de faille entre "civilisations" (les Grecs aidant les Serbes, par exemple, et les médias "occidentaux" passant sous silence l'épuration ethnique autre que celle pratiquée par les Serbes...)
Mais j'ai bien compris la thèse du livre et, dans l'ensemble je suis d'accord. Je reste sur ma faim, si vous voulez.
Eh bien, cher Florentin, on peut dire que vous avez de l'estomac...
C'est bien possible; en tout cas rien ne nous empêche d'approfondir et d'imaginer des issues intéressantes.
Je l'ai déjà dit, on ne peut vraiment avancer si on méconnaît les oeuvres du passé. Les connaissons-nous vraiment ? Le travail de chaque génération est d'affiner la lecture des oeuvres; eh! bien depuis un siècle, pour certains auteurs, on ressasse les mêmes notices. Cette espèce de sclérose n'est pas une fatalité.
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