Ce ne sont pas des stéréotypes, c'est la base de la vie, du moins dans l'univers des êtres qui pratiquent ce que les biologistes appellent la reproduction sexuée.
Bien entendu, et il n'est pas nécessaire d'en rediscuter, nous le savons tous, les êtres réels ont en eux, à des degrés divers qui peuvent aller jusqu'à une dominante, les hormones, les traits de caractères, les désirs caractéristiques de l'autre sexe ; et l'être humain peut même, par inclination mais surtout par un travail sur soi, se détacher complètement de tout trait de caractère sexué (a ce propos, le fameux slogan, fondateur du féminisme (rarement un mouvement aura été si mal nommé puisqu'il refuse précisément l'identification des femmes à ce qu'il est convenu d'appeler la féminité), lancé par Beauvoir —
On ne naît pas femme, on le devient — est aussi un contresens : on pourrait, avec au moins autant de bonnes raisons, dire au contraire que l'on naît femme mais qu'on peut devenir autre chose).
Bien entendu, faut-il le préciser — mais c'est plus prudent, au cas, très improbable mais sait-on jamais, où Cocodingo, je veux dire Jérôme Leroy, viendrait ici pour m'accuser d'être aussi machiste que raciste — ce différentialisme que je défends n'implique nullement, nullement j'insiste, une quelconque forme de différence de droits, d'autorité ou de soumission.
L'expression "dichotomie créatrice" me plaît davantage. J'utilise plutôt "dualité structurante" qui me paraît mieux rendre compte de cette réalité, qui dépasse de beaucoup la seule différence sexuée. La pensée chinoise a quant à elle tranché la question depuis l’antiquité en ordonnant le monde en fonction du couple formé par le principe du passif, le yin, et le principe de l’actif, le yang . Si je peux me permettre de le rappeler, le premier est identifié au féminin et à l’ombre, le second à tout ce qui est masculin ou solaire. Ces deux catégories ne sont pas des forces, des principes ou des substances, mais plutôt des emblèmes, et elles ne sont pas, en soi, hiérarchisées. Elles sont irréductibles l’une à l’autre mais pas antagonistes, ce sont des opposés complémentaires, et le tao (le chemin, la voie) résulte de leur juxtaposition et de leur alternance. « Un temps de yin, un temps de yang (ou un lieu yin, un lieu yang), voilà le tao. » Il n’y a jamais fusion mais juxtaposition et/ou alternance rythmique : la vallée est faite de la juxtaposition de l’adret et de l’ubac, le temps s’écoule selon l’alternance rythmique du jour et de la nuit, de l’été et de l’hiver. Le bien, et aussi le beau et le vrai, car la pensée chinoise ne sépare pas l’éthique, l’esthétique et la connaissance, sont identifiés à cette voie qui est donc par nature un principe d’harmonie. Le mal, le laid et le faux (et aussi la maladie, y compris la crise, maladie sociale) manifestent un déséquilibre, une rupture de l’harmonie. Cette pensée s’est cristallisée en deux grandes tendances apparemment rivales, le confucianisme et le taoïsme. Etiemble a écrit que les Chinois ont été confucéens le jour et taoïstes la nuit . C’est, en somme, une façon chinoise de penser la pensée chinoise : les taoïstes, avec la primauté qu’ils accordent au principe féminin originel et leur façon de vanter l’inaction, la non-intervention naturiste, seraient à ranger sous l’emblème du yin tandis que les confucéens, porteurs d’un humanisme tourné vers l’action sociale et le bien public, représenteraient le yang. Ainsi la boucle est bouclée et la « voie chinoise » apparaît constituée de l’alternance rythmique entre le temps du yin et celui du yang.
Nous souffrons quant à nous de nous donner presqu'exclusivement au yang.
On peut s'amuser à (mais c'est peut-être davantage qu'un simple jeu) appliquer ce principe du tout l'un
et tout l'autre, de l'alternance ou de la juxtaposition dynamiques plutôt que la recherche d'un impossible compromis, d'un juste milieu entre des principes antagonistes et non réductibles les uns aux autres, à toutes les dualités structurantes : le matériel et le spirituel, l’ordre et le chaos, l’uniformité et la diversité, le plaisir et la douleur, l’ascèse et l’hédonisme, le hasard et la nécessité, le juste et l’injuste, le fond et la forme, la gauche et la droite, la règle et la liberté, la coopération et la compétition, la protection et la prise de risque, etc.