Le site du parti de l'In-nocence

Peut-on encore lire Balzac sans notes ?

Envoyé par Henri Rebeyrol 
Quand, à la fin du XIXe siècle ou au tout début du XXe siècle, Gustave Lanson a publié les oeuvres complètes de Racine, il a cru bon d'expliquer les mots "difficiles" employés par Racine, ceux qui avaient changé de sens ou ceux dont le sens s'était affaibli. Il a justifié cela en arguant que d'importants changements avaient affecté la langue française en deux siècles environ, au point que la langue de Racine pouvait sembler en partie étrangère à un lecteur, même cultivé, de la fin du XIXe siècle.

Il y a une quarantaine d'années, les romans de Balzac publiés au Livre de Poche ou dans des volumes reliés (oeuvres complètes de la fin du XIXe siècle) n'étaient pas annotés : les éditeurs jugeaient que les quelques mots devenus désuets se comprenaient aisément par le contexte. L'édition des oeuvres complètes, publiée il y a deux ans (Classiques Garnier et le journal Le Monde, un peu plus de 9 euros le volume avec une couverture en carton dans un emboitage), comporte presque à chaque page une note, parfois deux, dans laquelle sont expliqués les mots, que les éditeurs, deux ou trois universitaires, qui connaissent sans doute les lacunes de leurs étudiants en matière de vocabulaire et de langue, ont jugés "difficiles" (ou dont ils ont pensé qui seraient obscurs pour leurs étudiants), mais que le contexte éclaire bien, les mots qui ont changé de sens ou les néologismes de Balzac ou encore les nombreux "solécismes" (par exemple les formes défectueuses du verbe "poindre", que Balzac, en apparence, conjugue fautivement).

La langue de Balzac, qui, il y a quarante ans encore, semblait limpide ou transparente, est devenue opaque et trouble aux lecteurs actuels. Elle a besoin d'être expliquée pour être entendue. Il faut un dictionnaire pour y accéder. Il semble, si l'on se fonde sur ces notes et si l'on tient compte du soin pédagogique avec lequel elles ont été établies, que Balzac soit désormais aux lecteurs du début XXIe s. ce que Racine était aux lecteurs de la fin du XIXe siècle : quelqu'un qui écrit une langue étrange ou en partie étrangère et qui demande à être commentée ou expliquée pour être comprise. Autrement dit, il faut ajouter au texte un glossaire, comme on le fait pour Montaigne, Rabelais et Racine. Le glossaire de Lanson a inspiré à François Taillandier l'essai intitulé "Une autre langue". La langue que nous parlons et écrivons n'a (presque) plus rien en commun avec celle de Racine, évidemment, mais même avec celle de Balzac, dont la nôtre est en train de s'éloigner à grande vitesse.
22 avril 2009, 21:49   Quels exemples ?
Bien cher JGL,

Pourriez-vous nous communiquer quelques exemples de ces notes, que nous puissions nous faire une opinion ?
Vous parlez de Montaigne, Cher JGL : aujourd'hui, ce n'est plus un attirail d'annotations qui est nécessaire à sa lecture, c'est une traduction.
A propos de Balzac et des niveau-montistes, je signale à l'assemblée la méditation à la fois dense et limpide de Jean-Michel Salanskis, dans "La Gauche et l'égalité", au sujet des effets des réformes scolaires des trente dernières années, formulées au nom d'un égalitarisme "anti-épistémique" et anti-héritiers. Très belles pages notamment sur l'importance du maître d'études comme "foncteur" d'égalité (inspirées de la dialectique hégélienne, mais aussi de Levinas, sur lequel Salanskis a également écrit). Pages également indispensables pour comprendre la gauche réactive aujourd'hui (anti-capitalisme, antilibéralime, anti-x ou y) sur l'étayage heideggérien (critique de l'aliénation, de l'inauthenticité comme effet de l'arraisonnement ou Gestell ou encore raison instrumentale). Selon Salanskis, la critique de l'aliénation (qu'il s'agisse du marxisme ou de Heidegger en passant par le Situationnisme) serait l'une des causes majeures de l'impasse où se trouve la gauche française aujourd'hui.
22 avril 2009, 22:40   Montaigne
Bien cher Olivier,

Pour ce qui est de Montaigne, je crois bien que l'usage est de présenter son oeuvre avec une orthographe modernisée.

Laisser le texte initial n'apporte pas grand chose, et risque même de troubler une lecture attentive.


Voici par exemple le début des Essais (il se peut d'ailleurs que les curiosités orthographiques soient le fait de l'imprimeur) :

Au Lecteur

C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ay voué à la commodité particuliere de mes parens et amis: à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me presanterois en une marche estudiée. Je veus qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice: car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse esté entre ces nations qu'on dict vivre encore sous la douce liberté des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, et tout nud. Ainsi, lecteur, je suis moy-mesmes la matiere de mon livre: ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq, de Montaigne, ce premier de Mars mille cinq cens quatre vingts.
Je voudrais tempérer ce que dit JGL. Du temps de Racine, peu de gens lisaient vraiment; du temps de Balzac, guère plus. Vers la fin du XIXème siècle et au cours du XXème l'école et l'université font progresser le niveau général. Depuis 68 c'est la grande régression qui commence et, avec l'immigration massive, c'est l'analphabétisme qui triomphe.
Il me semble aussi que certains éditeurs, pour justifier leur idée de publier du Balzac de nos jours, en rajoutent. Si Montaigne est moins accessible et Rabelais encore moins, Racine et Balzac sont très modernes et ceux qui ne peuvent les lire qu'avec notes à l'appui ne peuvent lire non plus Michel Tournier ou Renaud Camus. Il faut malheureusement se faire à l'idée qu'on a largué les masses et qu'elles ne reviendront plus.
Je partage l'avis de Florentin, c'est pourquoi je souhaiterais avoir une idée de ces notes...
22 avril 2009, 23:09   Re : Montaigne
Je n'ai rien personnellement contre la modernisation de l'orthographe du texte de Montaigne, Cher Jmarc - quoique je la ressente comme une première altération de sa langue -, je pensais à une tentative récente de traduction, au sens strict, des Essais, en français contemporain "lisible". Sans faire preuve d'un purisme excessif, je crois que cette manie de tirer le haut vers le bas ne doit pas être encouragée.
Bien cher Olivier,

Connaissez-vous ce très intéressant site, qui nous montre les évolutions de l'écriture de ce texte ?

[artfl.uchicago.edu]

Pour ma part, je ne crois pas que Montaigne accordait une trop grande importance à l'orthographe (on la voit erratique), à une époque où elle était mal fixée.
Ce qui s'observe pour Balzac s'observe-t-il pour Baudelaire ? Je n'en suis pas certain. Balzac ne m'a jamais paru d'une langue exemplaire ni d'un style très clair. Le terme "balzacien" évoque pour moi un regard, un génie romanesque pour montrer la "comédie humaine", bien plus qu'un style.

Cependant, on ne peut qu'être de l'avis de JGL : le XIXème siècle, à l'exception de deux ou trois noms (dont Baudelaire, précisémént), s'enfonce inexorablement dans l'inintelligible. C'est regrettable mais on ne voit pas comment il pourrait en être autrement, baisse de niveau ou pas.

Plus étonnant peut-être, sur ce même thème de l'inintelligibilité et de l'obsolescence des oeuvres, le cas du cinéma. Il n'est pas certain qu'une bonne partie de la population juvénile soit encore en mesure de suivre sans effort, mettons, l'intrigue de Drôle de drame ou celle de L'assassin habite au 21, films à peine vieux d'une soixantaine d'années. (J'ai déjà raconté cette anecdote d'un jeune homme qui m'avouait apprécier ce genre de films à cause des dialogues en "vieux français".)
Au cinéma cependant, pas de notes en bas d'écran. Le seul remède, c'est le remake.
22 avril 2009, 23:40   Maupassant
Voici un autre auteur au style "intemporel"...

Par ailleurs, bien des auteurs du XXème siècle ont un style "vieilli"...
Balzac est tout style. Peu importe (ou presque) ce qu'il raconte, ce qui importe est pour moi sa phrase, la grande et transparente présence des êtres et des noeuds entre les êtres qu'elle amène, met en scène et en suspens. Balzac pourrait nous raconter le Bottin - et d'ailleurs, c'est bien ce qu'il fait, il nous raconte le Bottin ! - que toute cette oeuvre nous en serait encore essentielle pour vivre et comprendre notre époque, du moins notre époque la plus récente, celle qui vient de mourir ou meurt encore, précieuse et indispensable que cette oeuvre demeure par la structuration du regard qu'elle impose. Sans Balzac point de modernité narrative, point de réel où l'on serait acteur, enjeu. Point de fabuleux réel ordinaire, aveuglant.

Ceux qui ont besoin de notes pour lire Balzac ont mêmement besoin de notes pour lire le Nouvel Observateur, le Point, Michel Tournier ou Danielle Sallenave - la seule différence avec Balzac est que les éditeurs de ces hebdomadaires et de ces auteurs n'ont pas les moyens (explication balzacienne) d'ajouter des codicilles à l'intention des cancres et des analphabètes au bas des pages ou au fond des chapitres.
Cher francis,

Si vous me permettez cette familiarité, je ne suis pas étonné que vous aimiez Balzac comme l'aiment ceux qui l'aiment et ce ne peut être que comme cela. Je ne le comprends qu'en théorie et pendant longtemps j'ai eu honte d'avouer que la lecture de Balzac, à cause de la tournure de ses phrases, ne me procurait pas le plaisir que j'en attendais, c'est-à-dire l'espoir de partager l'enthousiasme très particulier (et très enviable) des balzaciens dont Proust a donné une parfaite illustration avec Charlus et Truffaut avec le jeune héros des 400 coups.
J'ai partagé un peu du mythe balzacien, par procuration, en vivant auprès de certains de ses lecteurs qui m'ont rendu familiers et précieux les noms des personnages de la Comédie humaine.
Exemples de notes, Tome 1, "L'Interdiction".
Notes historiques, notes sur les rues de Paris, sur des grands hommes, de vocabulaire, entre autres : "trouver la pie au nid", "poindant", "boniface", "parties casuelles", "grimacer", "refrogné" (pour renfrogné), "calus", "compatissance", "drûment", "gueux" (chaufferette), "gamin", le "baquet" de Mesmer, "incomptus", "partner", "l'interrogant bailli" de Voltaire, "oreille-d'ours" (primevère), "noli me tangere", "bureau à la Tronchin", "des partem leonis".

Tome 1, "La messe de l'athée", 21 pages, 22 notes.

Note 1 : identité de Borget, peintre, à qui est dédiée la nouvelle; 2 Sur l'emploi transitif et non pronominal du verbe "suicider" ("l'égoïsme suicide sa gloire" (la gloire de Desplein); 3, 4, 5 notes sur des événements historiques (1804 : invasion manquée de l'Angleterre), sur Crébillon père, qui avait la réputation d'être "superbement vêtu", sur le "cordon noir" (ordre de St Michel); 6 Explication de "faire volontiers un tronçon de chière lie"; 7 sur l'antonomase "un Séide"; 8 sur un chirurgien célèbre; 9 sur une rue de Paris; 10 sur "cabaniste", disciple de Cabanis; 11 sur "présence réelle" (en théologie); 12 sur Le Citateur; 13 sur le pillage de l'Archevêché en 1831; 14 sur "poindaient" au lieu de "poignaient"; 15 sur Soult; 16 sur "chaussure" employé au singulier; 17 sur une erreur de calcul du narrateur; 18 sur Zoppi; 19 sur gobeloter; 20 sur le "qu'ils mangent de la brioche" (Marie Antoinette); 21sur une rue de Paris débaptisée; 22 sur monneron (pièce de monnaie)
On assiste au même phénomène dans le monde anglophone, où lorsque les oeuvres de Joseph Conrad sont rééditées en Penguin, surgit un appareil de notes consternant. Conrad, que certains considèrent avec raison comme le plus grand écrivain de langue anglaise de son temps, était un auteur populaire, comme peut l'être aujourd'hui un Michael Connelly, publié sans notes et que l'on donnait à lire aux jeunes collégiens de l'époque; or Conrad, a écrit jusqu'à sa mort en 1924, soit plus de 70 ans après celle de Balzac.

Et que dire alors de Kipling, que tout le monde vénère aujourd'hui et qui se trouve être devenu à peu près illisible aux contemporains !
Le hasard fait que je suis en train de relire "Les illusions perdues" et que j'en suis éblouie.
Utilisateur anonyme
23 avril 2009, 09:39   Re : Peut-on encore lire Balzac sans notes ?
"Quand je lisais Balzac, dans ma jeunesse, je considérais ces pages comme de la "littérature" ; j'étais séduit par elles parce qu'elles réussissaient à m'obséder - mais je ne croyais pas à la réalité de ces personnages. Mais quelle vue profonde et juste de la société du XIXe siècle, société malade de cupidité, dominée par la soif du pouvoir, par l'ambition, par le désir de parvenir sur le plan social et politique. L'enfer d'où montaient sans trêve les nouvelles promotions de la bourgeoisie."


Mircea Eliade, Fragments d'un journal I, p.76, éd. Gallimard.
Les notes que vous donnez en exemple, cher JGL, justifient votre intervention. Je voulais simplement ajouter que notre professeur de français, dès la sixième, nous conseillait d'avoir un petit carnet sur lequel nous devions noter, avec leur définition succinte, les mots nouveaux rencontrés au cours de nos lectures. Cela voulait dire qu'il nous fallait chercher dans le dictionnaire et ne pas attendre qu'on le fasse pour nous.
Le Père Goriot, Le Livre de poche, 1961, préface de Béatrix Beck : aucune note.
Le Père Goriot, même texte, 2008, Classiques Garnier Le Monde, 270 pages (environ), 174 notes.
Utilisateur anonyme
23 avril 2009, 10:09   Re : Peut-on encore lire Balzac sans notes ?
Je voulais simplement ajouter que notre professeur de français, dès la sixième, nous conseillait d'avoir un petit carnet sur lequel nous devions noter, avec leur définition succinte, les mots nouveaux rencontrés au cours de nos lectures

Le bégaudisme n'avait pas encore frappé ...
Il me semble que le cas des grands classiques étrangers est intéressant. On procède beaucoup à des retraductions, en général au prétexte de les améliorer, en fait pour les traduire dans une langue plus compréhensible par le lecteur moyen actuel. On aboutit alors à cette situation paradoxale qui fait qu'il est, pour un lycéen actuel, plus facile de lire Jane Eyre ou Sense and sensibility que Les Illusions perdues pourvu qu'il dispose d'une traduction récente.
23 avril 2009, 10:28   En vrac
A propos de notes, l'évolution de celles-ci dans la collection de "Mémoires" "Le temps retrouvé" est très parlante.

(Certains contemporains sont peut-être publiés d'entrée avec des notes ?)

L'ignorance du public ne me semble pas seule en cause dans cette abondance de notes qui fait aussi partie, je crois, du maternage généralisé.

L'apparition au dos des livres des fameux textes dits de "quatrième de couverture" marque à mon avis une étape très importante dans ce domaine. Il y a la culture d'avant et d'après la "quatrième de couverture".

___

Léon Bloy, Le mendiant ingrat, à propos de Balzac : "Forme toujours nulle et pensée trop souvent débile. Mais il a le don de la vie et il parait bien que cela suffit."
J'ai redécouvert Balzac à Hong Kong dans les années 80, dans une société très équivalente, dans son stade de développement, à ce qu'était Paris au XIXeme. C'est dans ce cadre que Balzac prit tout son sens, notamment Les Illusions perdues, quand je voyais débarquer des Rastignac de Paris ou de Londres comme jadis Paris ou Londres en voyait débarquer de province. Lire La Rabouilleuse à Macao restitue tout son relief au roman; et les Paysans en Chine. De manière générale le monde chinois connut en vingt ans quarante années d'histoire du XIXeme siècle français.
Utilisateur anonyme
23 avril 2009, 11:40   Re : Peut-on encore lire Balzac sans notes ?
Je suis jeune et, si j'ai dû lire un ou deux Balzac au lycée, je ne l'ai véritablement découvert que quelques années plus tard. Je suis alors entré dans la Comédie humaine par sa pierre angulaire, les Illusions perdues. Depuis, j'ai lu une quinzaine d'oeuvres, toutes en folio. Je ne les ai pas sous la main, mais il me semble que dans l'ensemble l'appareil de notes n'est pas trop important.

Je pense que ce n'est pas le vocabulaire de Balzac qui nécessite d'être éclairci, mais plutôt les personnages et les événements dont il s'est inspiré ou auxquels il fait souvent allusion et qui sont à peu près oubliés aujourd'hui . Les notes me semblent plus utiles pour des auteurs comme Barbey ou même Hugo qui emploient des mots rares et peu connus, parfois même pour leur époque. Mais alors on croule sous les notes : dans l'édition Livre de poche des Diaboliques, de nombreuses pages contiennent autant de notes que de texte : notes sur le vocabulaire mais aussi beaucoup de notes - et là je rejoins Orimont sur l'idée de "maternage généralisé" - relevant de la pure explication de texte scolaire. Ce type d'édition se veut accessible à tous et emploient un ton très scolaire alors que, après tout, elles ne sont lues que par un public averti et qui se passerait volontiers de ces lourdeurs.
M'est avis qu'il faut un Balzac avec notes pour apprendre à lire Balzac sans notes. Même chose pour Montaigne : il y a cinquante mots à connaître, le reste se laisse deviner... (Quoique dans ce cas, il me semble nécessaire de placer en note la traduction des citations, puisque l'on n'apprend plus guère le latin ni le grec...)

Le tout est de savoir si l'on veut apprendre à lire même si l'on n'a pas d'examen de français à passer pour avoir "ses papiers"...
J'ai lu "mon" Balzac, et continue de le faire, dans l'édition du Club français du livre, et je ne voudrais pour rien au monde retourner au livre de poche.
Nulle "note" pour venir interrompre le tête-à-tête, mais un appareil critique à la fin de chaque volume (il y en a seize), qui précise plutôt le contexte de l'oeuvre d'une façon assez générale, et des illustrations de Daumier, Gavarni, Doré, etc. Et le vrai plaisir, comme dans la plupart des ouvrages édités par cette maison, d'une belle mise en page, d'une typographie choisie avec amour, d'un véritable souci de l'objet, qui me font acheter presque systématiquement, chaque fois que j'en trouve dans les librairies d'occasion, les livres qu'elle diffusait il y a une cinquantaine d'années.
Tout à fait d'accord. J'ai, moi aussi, l'édition en 16 volumes du Club Français du Livre (1951 sq). Outre les illustrations, les préfaces qui ont compté dans l'histoire littéraire, des index très pratiques. Pas besoin de s'agripper, le livre reste ouvert tout seul.
Ces éditions "Club français du livre", généralement méprisés des bibliophiles comme des intellectuels pour répondre trop bien bien à toutes les prétentions "culturelles" des intérieurs petits bourgeois des années soixante, avec leurs pseudo dorures, leurs reliures en sylvertex imitation ancien qui leur donnaient un air de livres factices, de livres de décoration achetés au mètre pour justifier l'installation d'une bibliothèque, elle-même signe extérieur de statut social, ces livres qui n'étaient jamais ouverts, ou si peu, qui ne se patinaient pas (ce qui permet, aujourd'hui, de les trouver en bon état de conservation, généralement bradés, n'ayant jamais atteint à la dignité tarifée de la bibliophilie) ces livres, vu de l'intérieur, se révèlent en définitive, et très souvent, de bonnes éditions et offrent un réel plaisir de lecture.
Je trouve surtout que ces notes "pédagogisent" les textes et gênent la fluidité de la lecture. La lecture devrait être une expérience "synesthésique", telle que Proust en parle dans "De la lecture", justement (est-ce bien le titre). Peu importe qu'on ne comprenne pas précisément, à la première lecture, tel mot, telle allusion, telle référence : il importe de se laisser porter par le récit, par la phrase, et ouvrir ensuite les dictionnaires.
La langue de la Renaissance française m'a causé quelques surprises quand je m'y suis attelé, après les années de lycée passées à lire Montaigne et Rabelais en extraits. Je découvrais la lune, bien entendu, mais avec plaisir et étonnement : la prose de La Noue, de Sébastien Castellion, de Jean de Léry, de Michel de l'Hospital, se lit toute seule, sans autre apparat de notes que ce qui est nécessaire pour éclaircir certains points historiques. Il faut tenir compte du projet stylistique de chaque auteur, et ne pas incriminer systématiquement l'époque ni l'état de la langue. Bien des contemporains de Montaigne lui faisaient reproche (ou au contraire lui faisaient l'éloge) de son obcurité et voyaient en lui un nouveau Sénèque au style serré. Je viens de terminer une biographie de William Tyndale, premier traducteur anglais de la Bible à partir de l'hébreu et du grec : on trouve parfois dans son Nouveau Testament de 1534, et dans les livres de l'Ancien qu'il a traduits, un anglais plus simple, plus limpide, que celui de la Version Autorisée parue un siècle après. Quant à Balzac, j'avoue que la première fois que j'ai acheté un volume de la Pléiade de son oeuvre, je n'ai lu que les notes, tant elles étaient précises, pittoresques et amusantes. Mais c'est de la perversion.
23 avril 2009, 20:05   Messe de l'athée
Bien cher JGL,

Je viens de relire "la Messe de l'athée", texte que je pensais bien connaître (comme vous l'aurez compris, son sujet m'intéresse, et tout lecteur de Balzac est aussi intéressé par Bianchon !).

J'ai découvert, à ma grande confusion, que ces notes ne m'étaient pas inutiles et m'évitaient des contre-sens.

Par exemple, le "cordon noir" : je pensais qu'il s'agissait d'une décoration obtenue par faveur du clergé, noir ayant le sens qu'il a dans "le Rouge et le Noir". J'ignorais que l'ordre de Saint-Michel ait porté ce nom, je le croyais une sorte de Toison d'Or.

En ce qui concerne le café Zoppi, j'ai ignoré pendant des années ce que c'était, avant de découvrir au détour d'une lecture qu'il s'agissait du Procope...

Je pense que bien des lecteurs sont dans mon cas.
23 avril 2009, 20:22   Re : Messe de l'athée
Ce ne sont que des notes d'histoire, et ce que vous dites me semble évident. Je pense que JGL visait surtout l'évolution de la langue elle-même, ou l'apprentissage actuel de la simple lecture...
23 avril 2009, 20:24   Notes
A vrai dire, je ne sais pas... il s'agit des notes que JGL cite lui-même...
C'est valable pour tous. Surtout pour Paris, le Paris du XIXème siècle. Qui veut comprendre Le plus bel amour de Don Juan de Barbey d'Aurevilly doit absolument savoir qu'entre le début et la fin de la nouvelle la paroisse St Germain des Prés s'est dédoublée avec la création de Ste Clotilde. Je vous le dis parce qu'aucune note n'en fait mention.
23 avril 2009, 22:45   Le drame de la littérature
A lire vos commentaires passionnants, le huron que je suis s'est compulsivement senti obligé de feuilleter le premier Balzac qui me tomberait sous la main : c'est un Folio de 1971, distingué par l'usure, aux pages jaunies déjà et écornées, sentant caractéristiquement le vieux papier de mauvaise qualité.

« En quelque discrédit que soit tombé le mot drame par la manière abusive et tortionnaire dont il a été prodigué dans ces temps de douloureuse littérature, il est nécessaire de l'employer ici : non que cette histoire soit dramatique dans le vrai sens du mot ; mais, l'œuvre accomplie, peut-être aura-t-on versé quelques larmes intra muros et extra.
Sera-t-elle comprise au-delà de Paris ? le doute est permis. »
» J'ai lu "mon" Balzac, et continue de le faire, dans l'édition du Club français du livre, et je ne voudrais pour rien au monde retourner au livre de poche.

J'ai fait l'expérience, il y a deux ans, de commencer à relire Proust en livre de poche. J'ai calé sur une phrase incompréhensible. Je suis allé chez mon libraire, vérifier le texte dans plusieurs éditions : la version du livre de poche, pourtant signée Gallimard, manifestement, a été retapée au kilomètre, avec beaucoup d'erreurs. La version de la Pléïade, me semble-t-il, était la seule édition de qualité. Finalement, tenez-vous bien, j'ai opté pour une version "free", prise sur un site canadien, version revue par un professeur de français, qui est excellente, et que j'ai relue en ordinateur de poche ! Oui, toute la Recherche ! J'ai été le premier étonné, au début, du confort de lecture de ces petits appareils. Et l'on peut lire la nuit sans réveiller son concubin (sur ce site, je puis utiliser le générique étymologique masculin, qui sert pour les deux sexes, n'est-ce pas ?) Mais la version "cheap", du livre de poche, du moins pour Proust, est à éviter à tout prix... Morale : mieux vaut free que cheap !
À ce propos, permettez-moi de vous faire part d'une récente découverte, profitable aux possesseurs d'ordinateurs de poche de tout label. Le petit logiciel "Plucker" (voir signalement sur le fameux site Gutenberg) remplace avantageusement les différentes visionneuses que l'on peut trouver (dont, bien entendu, le "Microsoft Reader"). Un petit logiciel complémentaire (Sunrise), à installer sur votre ordinateur de bureau, vous permet, en deux clics, de transformer n'importe quelle page Web (avec profondeur de liens réglable !) en un fichier au format "Plucker", à lire ensuite sur votre ordinateur de poche. Tout ça en "free". Vous pouvez avoir ainsi tout Montaigne en poche en deux minutes... (Râleurs, s'abstenir, je connais leurs arguments.)
« Qui veut comprendre Le plus bel amour de Don Juan de Barbey d'Aurevilly doit absolument savoir qu'entre le début et la fin de la nouvelle la paroisse St Germain des Prés s'est dédoublée avec la création de Ste Clotilde. Je vous le dis parce qu'aucune note n'en fait mention. »

Ne s'agit-il pas plutôt de la paroisse Saint-Thomas d'Aquin ?
Barbey, dès les premières lignes de la nouvelle, mentionne Ste Clotilde et, insensiblement va nous entrainer à St Germain des Prés. Ste Clotilde fut construite entre 1846 et 1856. La composition des Diaboliques va de 1850 à 1874, année de leur parution. Barbey habitait rue Rousselet.
24 avril 2009, 11:57   Notes de notes
rue Rousselet*

Cette rue, appelée chemin des Vaches en 1676, a reçu, en 1721 son nom actuel, dû à un propriétaire d'alors, Ambroise Rousselet, procureur général à la Chambre des requêtes.

Venant de la rue Oudinot, Barbey d'Aurevilly s'installa au n°25 à partir de 1859, après un court séjour au n°29. Il y vécut jusqu'à sa mort.

A u début de sa vie littéraire, Léon Bloy habita au n° 22 de cette même rue et, en 1906, Paul Léautaud demeurait au n°17.
24 avril 2009, 13:42   Lien intéressants
Bien cher amis,


Je me permets de vous signaler ce lien, qui se réfère à des "balades" :

[www.terresdecrivains.com]-

Au-delà du caractère "politiquement correct" du titre et de la présentation, on y trouve des choses fort instructives.

Barbey d'Aurevilly et Balzac y figurent en bonne place.
Il y a quelques mois, j'avais exprimé mon étonnement à lire "Art" de Reza accompagné d'un appareil de notes. Cela m'inquiète encore davantage qu'une oeuvre de Balzac, car Reza, c'est à peu près la langue qu'on parle à la télé... Même cette langue-là ne semble plus intelligible à la lecture.
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