Vous savez, cher Eric, il ne faut pas croire qu'on ne pense à rien, in utero, ainsi que l'atteste l'invention du nombril, dès longtemps révélée ici même mais qu'il me semble utile de rappeler :
Ce n'est qu'à partir du néolithique que le nombril de l'homme est devenu ce qu'il est.
Totalement ignorée des paléontologues, cette ultime évolution de l'homo sapiens n'en a pas moins entraîné la formidable expansion démographique de l’espèce.
Entre le quatrième et troisième millénaire, la population passe en effet de quinze à cent cinquante millions d'individus. Comment expliquer un tel phénomène ? D'une seule voix, les savants l’attribuent à la découverte de l'agriculture qui, selon eux, aurait stabilisé l'espèce humaine et facilité sa prolifération. Rêverie commode.
Mes propres recherches dans ce domaine m'ont conduit à la certitude que nos lointains et distingués ancêtres ne coupaient ni ne ligaturaient le cordon ombilical. Celui-ci se détachait de lui-même quelques jours après la naissance, laissant paraître, en lieu et place de l'opaque repli de chair nommé nombril, une membrane translucide qui durcissait peu à peu jusqu'à présenter l'aspect d'une lentille de verre, espèce de troisième œil élégamment niché au beau milieu des abdomens antédiluviens et renvoyant la lumière du jour au travers d'une riche pilosité.
Mais pour la partie femelle de l'humanité d'alors, cette ombilicale lentille n'était autre qu'un étonnant judas, œil-de-bœuf à l'usage très exclusif des fœtus de ce temps-là, assez favorisés pour se permettre, avant de naître, de jeter un regard curieux sur le monde extérieur. Or, il s'avère que d’une telle observation résultait fort peu souvent le goût d'aventurer une naissance et quantité de futurs nouveau-nés préféraient s'en tenir là. La plupart d’entre eux s'éteignaient ainsi dans le ventre maternel, sans souffrance, bien au chaud, avec des rictus d'opiomanes, méditatifs jusqu'à l’évaporation, spectateurs absents d'un monde auquel ils ne voulaient pas se mêler.
La stagnation démographique semblait alors irrémédiable. C'était sans compter avec la détermination des
hommes-nés-quand-même, redoutables aventuriers dont l'énergie, depuis, ne s'est d'ailleurs pas démentie. Et ils firent si bien qu'ils inventèrent le nombril, ligaturèrent le cordon avant la formation de la divulgatrice autant que dissuasive membrane, plongeant le fœtus dans une obscurité propice à l'envie d'en sortir.
C'est à ces individus déterminés à faire nombre qu'il faut attribuer la croissance de l'humanité, et à rien d'autre.
Alors, quand on vient me parler d'agriculture...