Voici l'article promis:
« À bout portant » :
Vincent de Coorebyter,directeur général du Crisp (Centre de recherches d’informations socio-politiques)
(
Propos recueillis par Dominique Berns)
On avait annoncé un raz-de-marée vert, une poussée du MR et une défaite terrible pour le PS. Au final, si Écolo progresse fortement et s’affiche comme l’incontestable vainqueur en Wallonie et à Bruxelles, le PS limite la casse et le MR se tasse. Échouant à devenir le premier parti wallon, le parti de Didier Reynders se console de rester le premier parti bruxellois. Mais l’on a d’ores et déjà l’impression qu’il pourrait bien se retrouver dans l’opposition aussi bien en Wallonie et à Bruxelles, qu’à la Communauté française. Comment le politologue analyse-t-il ce scrutin ?
Je suis persuadé que le fait majeur de la campagne se produit dix jours avant le scrutin, quand Elio Di Rupo annonce qu’il ne formera pas de coalition avec le MR. À ce moment, les sondages sont inquiétants pour le PS. La démission d’Anne-Marie Lizin, le voyage des parlementaires wallons en Californie, crânement défendu par Happart et Van Cauwenberghe, et l’affaire Donfut : c’est la répétition de 2007, au cube. Mais cette fois, au lieu de subir les événements, Elio Di Rupo prend tout le monde de court. C’est une prise de risque maximale, mais qui a, pour le PS, un quadruple avantage. Un, en focalisant les dix derniers jours de campagne sur le clivage gauche/droite, Elio Di Rupo affirme que le scrutin ne porte pas sur l’éthique, les « affaires », la gouvernance, mais sur les fondamentaux de la vie socio-économique, sur la « casse sociale » engendrée par la crise. Deux, il se donne les moyens de remobiliser son électorat traditionnel – et cette frange qui hésite alors à voter PS. Trois, il élargit à la Sécurité sociale, aux pensions, au pouvoir d’achat… – des problématiques fédérales – une campagne jusque-là menée sur les thèmes régionaux et communautaires qui n’étaient pas toujours favorables au PS, notamment le dossier Enseignement. Enfin, il met au défi Écolo et le CDH de se dévoiler, en sachant qu’ils ne le feront pas car ils n’y ont pas intérêt. Même si les verts et les humanistes avaient admis l’idée de reconduire l’Olivier à Bruxelles, ils ne veulent pas choisir entre PS et MR ; et le PS apparaît comme le seul parti indiscutablement de gauche face à la droite. C’est le tournant de la campagne.
À ce moment, Elio Di Rupo sauve son parti et sa tête…
Incontestablement. Si le PS est en recul, à Bruxelles et en Wallonie, par rapport à 2004, il a enregistré, ce dimanche, une remontée sensible par rapport à 2007 et reste le premier parti en Wallonie et en Communauté française. Conséquence : même si Écolo est le plus décisif pour le jeu des coalitions parce qu’il a tant progressé qu’on ne peut pas imaginer de négocier sans lui, le rapport de force rend le PS sinon arithmétiquement incontournable, tout au moins tout à fait légitime. Ce n’était pas gagné avant le scrutin.
Les sondages ont donc été démentis non pas parce qu’ils étaient faux, mais parce qu’Elio Di Rupo les a pris très au sérieux et y a réagi. Et peut-être aussi parce que Didier Reynders a eu le tort de croire que les jeux étaient faits ?
En comparaison des précédents scrutins régionaux, les scores du MR sont tout à fait honorables. Mais il ne réédite pas sa victoire historique de 2007. Or, il a utilisé la même stratégie, menée par le même homme, Didier Reynders : une campagne très offensive, ciblant le PS mais aussi le CDH, et prônant une alternative de centre droit. Il n’a ménagé qu’Écolo, qui, au terme du scrutin, n’est pas aussi puissant que les réformateurs l’avaient espéré. Du coup, le MR se retrouve isolé. D’une part, quand on analyse les programmes, on voit bien que ceux des trois partis d’un potentiel Olivier – PS, Écolo et CDH – peuvent converger ; d’autre part, s’il est exact que la clef des négociations est, dans un premier temps, chez les écolos, les programmes d’Écolo et du MR sont, globalement, les plus difficiles à accorder. Et chez Écolo, c’est un critère qui compte parce que les assemblées générales de participation ne sont pas des formalités. Même s’il est trop tôt pour annoncer l’Olivier en Région wallonne, à Bruxelles et en Communauté française, c’est la pente la plus naturelle dans la situation immédiate. Le MR n’a pas son destin en main. S’il est le premier parti à Bruxelles, l’Olivier y détient deux sièges sur trois et une légitimité démocratique incontestable. Le MR a donc perdu son pari politique.
En théorie, on peut imaginer des coalitions différentes à Namur et à Bruxelles.
On a multiplié, avant les élections, des déclarations qui ne sont pas toutes compatibles entre elles : d’une part, PS et MR ont affirmé qu’ils ne gouverneraient pas ensemble ; d’autre part, pour simplifier les institutions francophones et maximiser les synergies entre elles, on a dit qu’il fallait composer le gouvernement de la Communauté française de ministres wallons et de ministres bruxellois francophones. Imaginons qu’il y ait des ministres socialistes à Namur et des ministres réformateurs à Bruxelles ; ils se retrouveraient au sein de l’exécutif communautaire. C’est contraire aux déclarations d’exclusive mutuelles du PS et du MR. Et c’est peu praticable : l’enseignement est par excellence le dossier sur lequel socialistes et réformateurs se sont le plus affrontés au cours de la législature sortante, en particulier sur les décrets « Inscriptions » successifs.
Mathématiquement, on ne peut cependant exclure des coalitions MR-CDH-Écolo à Bruxelles et à Namur.
On ne peut exclure ce qu’on appelle improprement la « Jamaïquaine ». Mais c’est une coalition qui tenait surtout la corde dans l’hypothèse d’une très lourde défaite du PS, qui aurait donné un certain sens à son renvoi dans l’opposition.
La grande faute de Didier Reynders, c’est peut-être d’avoir négligé le fait que le cœur de la Wallonie bat plutôt à gauche – ce que Louis Michel avait compris en lançant le « libéralisme social ». Faut-il s’attendre à une semaine des longs couteaux au MR ?
Louis Michel a réalisé un très bon score personnel, mais la liste européenne du MR est en recul. Rien à voir avec la situation de Guy Verhofstadt au sein de l’Open VLD. N’allons donc pas trop vite en besogne dans un scénario du type : Didier Reynders est forcément fragilisé, voire disqualifié au profit de Louis Michel. Cela dit, vous avez raison : en situation de crise économique et sociale, Didier Reynders n’a pas su tenir le discours qui aurait peut-être permis de faire glisser une partie de l’électorat PS vers d’autres partis, voire vers le MR. On ne l’a entendu mettre en avant la protection sociale à apporter aux victimes de la crise. Du coup, le discours d’Elio Di Rupo, dénonçant le risque qu’il y avait à voter MR, a paru d’autant plus crédible. Non pas que le MR veuille mettre la Sécurité sociale au placard – à la différence de l’Open VLD, le MR accepte le maintien sans limite dans le temps des allocations de chômage, par exemple – mais il n’a pas les accents sociaux qui auraient été nécessaires dans la période que nous vivons.
En Flandre, il y a deux vainqueurs : le CD&V et la N-VA, les ex-associés d’un cartel qui a explosé au cours de la longue crise politique fédérale ayant suivi les élections de 2007.
Si le CD&V sort intact de la rupture du cartel, le parti de Bart De Wever en sort grand gagnant. Avec 13,6 % des suffrages, la N-VA fait beaucoup plus que son score de 5 % en 2003 ; et plus que ne l’a jamais fait la Volksunie. La N-VA est en position de remplacer, le cas échéant, un des deux alliés du CD&V au gouvernement flamand. Si le SP.A ou le VLD, sur la base d’un score qui dans les deux cas est mauvais, décidait de choisir l’opposition, la N-VA suffirait pour constituer une majorité. Mais ce cas de figure pose des tas de questions parce que, du côté flamand, c’est le gouvernement qui négocie la réforme institutionnelle. Et la majorité sortante – CD&V, SP.A et Open VLD – peut être reconduite avec une marge suffisante.
Le CD&V peut-il cependant écarter le grand vainqueur ?
Quelle analyse va-on faire dans les différents partis flamands des chances d’une négociation institutionnelle à laquelle la N-VA serait à nouveau partie prenante ? Qu’en pense-t-on au CD&V ? Et qu’en pense la N-VA ? C’est à voir. Bart De Wever tient, pour le moment, un discours de rupture. Il continue à dire qu’il ne croit plus à une négociation institutionnelle avec les francophones ; et les conditions qu’ils posent risquent de ne jamais être remplies, parce qu’il semble vouloir que les francophones acceptent l’essentiel des demandes flamandes avant même de négocier. Donc, s’il y a une logique à élargir la coalition flamande à la N-VA ou à la faire rentrer à la place d’un des deux battus, c’est très risqué par rapport à la négociation institutionnelle.
Pour le cas où nos amis français auraient la patience de lire ce texte jusqu'au bout:
CD&V : parti démocrate chrétien
Open VLD : parti libéral
SPA: parti socialiste
N-VA : parti nationaliste