Cher Bruno, j'avais bien sûr en l'esprit les mêmes cas historiques de violence, disons, culturée, lorsque je mentionnais "le vingtième siècle" dans mon premier message.
Mais je continue de penser que l'imputation de la violence non-préméditée, explosive, incontrôlée, etc. à une "impuissance langagière/linguistique" de l'individu violent reste une fausse bonne idée. Sans aller jusqu'à puiser dans Girard, et pour rester empirique, disons que toute société moderne, et à fortiori toute société ancienne, compte une très forte minorité d'adultes, souvent même une majorité, qui n'a jamais pu lire un livre de leur vie, dans le discours desquels l'interjection occupe une place prépondérante, où la performance syntaxique, quand elle existe, se limite à l'articulation simple du sujet, du verbe et de son complément, et qui n'en sont pas moins, disons "de braves gens", qui, conscients de leurs limites, se tournent vers des hommes de loi, des médiateurs, des "plus savants qu'eux" lorsqu'ils se sentent frappés d'une injustice, d'une incompréhension qui leur est préjudiciable. C'est qu'il existe dans ces sociétés-là des mécanismes complexes de
recours à l'autre comme médiateur, justement, dont la fonction est d'éviter que le rustaud ne se précipite absurdement dans l'amok quand son verbe ne passe pas. Parmi ces mécanismes figure celui du respect du verbe supérieur, que, par exemple, l'avocat, le maire du village, le médiateur (le
sage dans les brousses africaines), l'écrivain public autrefois, inspiraient chez l'analphabète, le coincé de la litote, personnages qui bénéficiaient de sa confiance et dont la fonction de juge de paix ad hoc, ou d'assesseur au juge de paix autant que d'intercesseur-communiquant, aidait à désamorcer le ressentiment du l
inguistically challenged.
Encore une fois, et pour demeurer bassement empirique: si tous les rustauds, les incultes qui ont peuplé la France pendant des générations s'étaient, de par leur incompétence linguistique, précipités dans l'amok à défaut de se faire entendre, il n'y aurait plus de France, ni de civilisation occidentale depuis longtemps.
Un mot sur Dominici et Giono. Le procès Dominici eut lieu en Provence à une époque où la majorité des hommes et femmes de la génération de Gaston Dominici, et une forte minorité de celle de ses fils,
n'avaient plus de langue! Le provençal reculait, ne se pouvait plus employer dans les bourgs importants, cependant que le français ne pénétrait que difficilement au village où employer la langue de Vincent Auriol vous classait comme un "monsieur". Il n'y a aucune exagération à dire que la situation linguistique de ces gens était en tout point comparable à celle des beurs de banlieue d'aujourd'hui, qui n'ont ni arabe, ni français pour se faire entendre. Or, la Provence fut-elle mise à feu et à sang par ces gens dans les années 50 ? Non, elle ne le fut pas. Pourquoi ? Et bien tout simplement grâce au respect qu'inspiraient auprès de ces déshérités linguistiques les "Messieurs", qui s'exprimaient au village et au bourg dans le parler ministériel de Vincent Auriol, celui, pour y revenir, de la République Française, très largement, et très intimement respectée en Provence.