Je suis en train de relire
Le Silence de la mer - Dieu quelle sobre, et belle et simple écriture ! - écrit dans "les années noires", 1942 pour être exact. Ce texte fut le premier des "Editions de Minuit". A cette époque, le papier étant compté, on n'écrivait pas pour ne rien dire, autant dire que l'on écrivait pour dire l'essentiel en peu de mots, le vieil essentiel, pas seulement l'essentiel contemporain.
Le discours de l'officier, qu'il répète tous les soirs à ses hôtes muets, sur lequel, en musicien de formation, il joue des variantes, à partir duquel il invente des rhapsodies, tient en peu de mots, tient en quatre mots:
J'aime la France!, ce qui a pour effet de frapper de mutisme ses hôtes qui éprouvent, parce qu'ils sont Français, pour la France les mêmes sentiments. Le dominant, ainsi, parlant trop bien, vole la parole de ses dominés qui, s'ils l'ouvraient, n'auraient d'autre discours à tenir que celui du même amour. Le conquérant allemand, alors, prend sur lui le gros et brave boulot du discours d'amour auquel il se devait en tant que conquérant convoitant, désirant et en plein travail de valorisation de sa victime; ce conquérant se projetait, n'empruntait
qu'à son père (cas du personnage du Silence de la mer) le discours d'amour sur la terre à conquérir et maintenant, grâce au fils, conquise.
Les saloperies de CPF, ceci dit en passant, n'empruntent rien du discours d'amour, du discours obligé du nouvel arrivant sur la terre d'accueil que leurs pères leur avaient pourtant enseigné. Ce discours d'amour de la France était très disputé au milieu du siècle dernier: on s'était déchiré, Arabes compris, sur cette terre parce qu'on l'aimait, parce que l'on tenait à son sujet un discours d'amour et d'appropriation mêlés.
Le nouveau conquérant, parce qu'il est indigne de ce rôle, a aujourd'hui besoin du collabo disert, éclairé, pour lui éclairer le chemin de la domination. Cela est remarquable, cela fait une différence historique signifiante: l'Allemand discourait en envahissant; ses dominés se taisaient, étaient
ravis, privés de parole et de discours; tandis que l'actuel envahisseur indigne éructe, bafouille, baragouine le discours que son dominé doit lui articuler à l'oreille complaisamment, en dominé disert : l'antiracisme, le "vivre ensemble", le "respect des différences", etc. La Halde, par exemple est bien cela: une petite famille de Desouches mobilisée, droite dans ses petites bottes, pour parler, discourir à la place des nouveaux installés sur le territoire... plaidoyer abondamment, bavasser l'argument du conquérant en lieu et place du conquérant.