Sociologie de la bien-pensance

Le Monde a publié le 23 septembre un « témoignage » d'un de ses journalistes, sous le titre « Moi, Mustapha Kessous, journaliste au Monde et victime du racisme ordinaire », « papier » qui consiste en une avalanche d'anecdotes (par définition invérifiables), du style : « A plusieurs reprises, arrivant pour suivre un procès pour le journal, je me suis vu demander : "Vous êtes le prévenu ?" par l'huissier ou le gendarme en faction devant la porte du tribunal. »

Comme ce papier a suscité, sur la Toile, un grand nombre de réactions d'abonnés (on en est à 449 au moment où j'écris ceci, le 26 à 19h19), lemonde.fr y est allé, aussitôt après, d'un appel à témoignages, mis en ligne le 24, sous le titre « J'hésite à donner à mon enfant un prénom typé, j'ai peur qu'il n'en souffre », d'après le témoignage de Lylia K., témoignage qui s'achève ainsi : « Après deux ans passés dans la même entreprise, certains collègues continuent d'écorcher mon prénom et m'appellent Leila. A croire que j'ai plus une tête à m'appeler Leila que Lylia. Aujourd'hui, j'attends mon premier enfant et j'hésite à lui donner un prénom typé. J'ai peur qu'il n'en souffre. »

Je me suis amusé à faire une analyse quantitative des 104 réactions (recension arrêtée le 26 à 17h21) à ce deuxième papier, celui des témoignages.

Je rappelle que seuls les abonnés du Monde sont habilités à poster, ce qui nous donne donc un (tout petit) échantillon des lecteurs de l'officiel de la bien-pensance.

Cela se distribue ainsi (mes intitulés entre guillemets ne sont pas des citations, mais des paraphrases) :

• 38 réactions confirmatoires des témoignages donnés (« Oui, les Français sont racistes »), parfois quérulentes (« Et pourquoi on devrait s'assimiler », etc.).
• 29 réactions de la veine « Demandez-vous pourquoi ? (« Demandez-vous pourquoi la communauté arabo-musulmane a si mauvaise réputation ») et/ou disqualifiantes (« On ne vous oblige pas à rester », « Les minoritaires, aujourd'hui, c'est nous les desouche », etc.)
• 23 réactions de la veine « Et nous, alors, on s'est bien intégrés ». On évoque l'ancêtre centre-européen, on excipe de sa qualité de couple mixte. On cite beaucoup l'intégration sans histoire des asiatiques (noms chrétiens systématiquement donnés aux enfants, etc.).
• 14 réactions non exploitables (propos incompréhensibles, propos généraux, réactions à des posts précédents mais qui ne prennent pas clairement position dans le débat).

Cela fait, si je compte bien, 29 + 23 = 52 réactions, sur 104, soit exactement 50 % récusant, parfois véhémentement, les témoignages de discrimination. Ceci chez des abonnés du Monde — et alors que des récits personnels de discriminations inspirent par définition la sympathie.

Sur un plan qualitatif, les réactions de la veine « Demandez-vous pourquoi » sont souvent assez joliment tournées, ce qui incline à penser qu'elles sont écrites par des personnes qui ont réfléchi un peu. Inversement, les réactions dénonçant le racisme ambiant sont parfois, nonobstant leur outrance, à la limite de l'incompréhensible, ce qui peut faire présumer qu'elles émanent de têtes folles ou tout simplement de très jeunes abonnés, perméables à l'idéologie de l'époque et animés d'un zèle inconsidéré.

Il y a aussi, naturellement, dans ces réactions confirmatoires, beaucoup de posts signés Kamel ou Lamine, qui me posent, personnellement, un problème, parce que j'ai l'impression que quelqu'un (pas moi) a fait des promesses à Kamel ou à Lamine, promesses que personne n'est en mesure de tenir. Un abonné qui s'identifie comme Yb écrit ainsi : « Le nombre de commentaires racistes ou très limites fait froid dans le dos... Cela montre à quel point il est devenu banal de dire des choses de ce type, sans que personne ne se scandalise! Un peu de politiquement correct ne nous ferait pas de mal! »

Si monsieur Yb trouve *raciste* qu'on remette en cause, pour ainsi dire, son droit à ne *pas* s'intégrer, c'est, à mon humble avis, qu'il y a problème...

Désolé d'être si long ! Pour résumer, on trouve chez les lecteurs du Monde 50 % de sceptiques du multiculturalisme, qui ne me paraissent pas être les plus idiots de la bande.

Le phénomène que dénonce ce journaliste est ancien et tout à fait normal, regardez la réaction de Raimu, découvrant soudainement que la diversité est arrivée au sein de son foyer sous la forme d'un nouveau-né :


ICI. C'était franc et direct au moins, le Schweitzer de l'époque n'y trouvait rien à redire et se rendait utile à Lambaréné, pas comme son millionnaire de petit-neveu d'aujourd'hui, qui ne songe rien qu'à donner mauvaise conscience aux braves gens.

Il faut, M. Agrippa, faire la différence entre la réaction spontanée et la réaction que j'ai envie d'appeler officielle. Spontanément, une différence de + ou - 15 % par rapport à une norme quelconque (chromatique, de taille, de poids, etc.) est interprétée comme atypique. Officiellement, les personnes renient aussitôt leur réaction spontanée, et se déclarent ouvertes à  toutes les variations. Cela donne ce type de réaction (je cite un abonné du Monde qui se trouve être "culturaliste") :

« Je suis daltonien et fier de l'être. La couleur de peau n'a aucune importance et je ne la vois pas. En revanche, je me reconnais dans la culture française, sa langue, son histoire et "Mustapha" ne fait pas partie de ma tradition culturelle. Appeler son fils Mohamed, c'est marquer une différence culturelle. Ne demandez pas en plus que je m'y identifie, parce qu'alors je perds ma propre identité culturelle. Et je n'ai nulle part où aller pour chérir la culture française, sinon en France. »

Ce que je veux dire, c'est que ce monsieur n'est probablement pas si color blind que cela.

Houria Bouteldja, la Djamila Bouhired du très très pauvre, après avoir lu l'article de Kessous, écrit à Amine :

Je viens de lire le témoignage de Moustapha Kessous, journaliste au Monde. J’ai mal pour lui comme j’ai eu mal pour toi lorsque Hortefeux t’as humilié. Permets que je te tutoie, parce que tu es mon frère et que le vouvoiement n’existe pas chez nous, les Arabes. Et Arabe, tu le resteras aux yeux du Ministre de l’Intérieur quoi qu’il arrive. Sans doute n’as-tu pas suffisamment médité l’expérience des harkis. Tu le sais, de gré ou de force, ils ont pris le parti de la France. Beaucoup sont morts pour elle, d’autres par elle. Français leurs descendants ? Comme toi, comme moi, comme Moustapha, ils restent indigènes. Nous n’appartenons pas à la race des seigneurs. ...

Pour autant, je ne remets pas en cause tes ambitions : elles sont légitimes. Quel bougnoule, quel nègre, n’a jamais ressenti de lassitude à porter le fardeau indigène ? Mais persistant dans la défense de ceux qui t’insultent, tu te voiles la face, Amine. Au final, ton seul succès sera d’être passé pour un traître aux yeux des tiens et un khoroto domestiqué aux yeux des autres : perdant, perdant.

Naïf ou arriviste, tu veux jouer au plus malin, te distinguer de la masse indigène mais ni la bière, ni le jambon ne te mettront à l’abri du mépris raciste ou de la condescendance amicale de tes « camarades » de l’UMP. Au contraire, ils prendront toujours un soin particulier à te rappeler que tu n’es pas des leurs - ou alors un produit dérivé, soldé et re-soldé, à l’instar de Fadela Amara ou d’Azouz Begag.

A ce stade, cher Amine, tu ne mérites pas notre mépris. Tu as deux excuses : ta jeunesse et ta volonté désespérée d’échapper à ta condition d’indigène. Une bonne treha, voilà ce qu’il te faut. En espérant qu’elle te soit salutaire car la prochaine fois, tu nous perdras.

Mon salam,

Houria Bouteldja

Whaqt on earth is a treha ?

And what is whaqt ?

treha : volée de coups
khoroto : un nul, un naze

whaqt : dessert belge à base de pruneaux (région de Bouillon).

Cher Renaud,
Permets que je te tutoie, parce que tu es mon frère et que le vouvoiement n’existe pas chez nous, les Auvergnats. Surtout que, grâce à Orimont, nous savons que, nous, les Auvergnats, nous sommes un peu kabyles aussi. Et auvergnat, donc kabyle, tu le resteras aux yeux de Madame Aline, à laquelle tu donnes des gages en essayant de faire passer ce plat typiquement auvergnat et kabyle pour un dessert blanc et belge.
Pour autant, je ne remets pas en cause tes ambitions : elles sont légitimes. Quel bougnat n’a jamais ressenti de lassitude à porter son fardeau de charbon ? Mais persistant dans la défense de ceux qui t’insultent, tu te voiles la face, Renaud.
Naïf ou arriviste, tu veux te distinguer de la masse bougnatisée mais ni la Blanche, ni le waterzooi, ni les chicons au gratin ne te mettront à l’abri du mépris raciste ou de la condescendance amicale de tes « camarades » d'Outre-Quiévrain.

A ce stade, cher Renaud, tu ne mérites pas notre mépris. Tu as une excuse : ta volonté désespérée d’échapper à ta condition d’indigène. Une bonne bourrée, voilà ce qu’il te faut. En espérant qu’elle te soit salutaire car la prochaine fois, tu nous perdras.

Mon cantal,

M. Petit-Détour-Gens-D'armes,
délégué des indigènes des monts d'Auvergne

Drôle !

Mon frère, voici plutôt le temps venu d’aller prier pour son salut. Garde ton vin et ton gratin, ce soir le bougnat va boire son chagrin. Mais mes amis ne le laissez pas ! Dites-lui, dites-lui qu'il ne faut pas, - crachez dedans s’il le faut - goûter à la bouillonnaise spécialité qu’on sert là-bas comme ailleurs,
à onze heures.

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Pour jouer la chanson, cliquer sur le triangle de gauche.

Tof!

Bravo!

Chapeau!