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Sartre et l'acte de naissance du soi-mêmisme

Envoyé par Bruno Chaouat 
Je soumets aux In-nocents cette hypothèse, que l'origine du soi-mêmisme pourrait remonter à 1943 et aux analyses de Sartre sur la mauvaise foi et l'inauthenticité, et à la phénoménologie critique du garçon de café :

« Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client (…) . Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café." 

Ne peut-on se demander si l'existentialisme sartrien n'aura pas eu comme but de débarrasser le "comme-si" de la vie en société, afin que l'homme soit enfin "lui-même", que le "je" soit sans "jeu" ?
Hypothèse qui recouperait la constatation qui s'impose à propos du soi-mêmisme le plus actuel: dans ses formes et manifestations les plus affirmées, il a correspondu à la disparition de l'uniforme, soit la signalétique de la fonction et historiquement on remarquera que son paroxysme doxique a coïncidé avec l'abolition du service militaire par J. Chirac. Le signe vestimentaire du recul et de l'effacement de soi par excellence était l'uniforme qui permettait à chacun, en retrait de son drap, d'être lui-même non exposé, de tenir son soi-même rentré. L'effacement de la tenue de garçon de café rend désormais le garçon de café "copain" du client, tout lui, tout nu, assommant, à fuir.
Bien cher Bruno,


Je pense cette naissance ultérieure. Quand vous prenez l'image du public d'un stade de football un dimanche en 1960, vous voyez que quasiment tous les hommes portent la cravate. Regardez maintenant cette image de la manifestation communiste de Charonne en février 1962 : là encore, cravates...

[menilmontant.numeriblog.fr]
Evidemment, cher Jean Marc, je pensais à une naissance métaphysique, pas du tout empirique !
20 octobre 2009, 21:36   Acte de naissance
Alors je mettrais cette naissance dans les années qui précédèrent immédiatement la Grande Guerre.
Pouvez-vous vous en expliquer ?
20 octobre 2009, 21:50   Explication
Je considère ces années circa 1910 comme celles de la rupture intellectuelle majeure, avec l'expressionnisme par exemple, années durant lesquelles l'art se définit par son opposition à la société. Prenez quelques années après les tableaux de Georg Grosz et regardez-les : ils sont entièrement bâtis sur le rejet du passé. Prenez un peu plus tard la filiation de Dada, avec la fameuse citation de Breton :

"Loti, Barrès, France, marquons tout de même d'un beau signe blanc l'année qui coucha ces trois sinistres bonshommes : l'idiot, le traitre et le policier. Avec France, c'est un peu de la servilité humaine qui s'en va. Que soit fête le jour où l'on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme et le manque de cœur !"
On pourrait trouver de grandes déclarations rebelles et anti-bourgeoises au dix-neuvième, non ?
20 octobre 2009, 22:18   Mouvement constitué
A mon sens, pas sous la forme de mouvements aussi constitués et aussi puissants. Regardez : ce n'est pas uniquement le côté bourgeois qui est en cause, c'est aussi tout le côté formel.

Cela dit, je me borne à donner une impression : il est évident que tout n'a pas basculé d'un coup, mais cette période, disons 1910 / 1925, avec le formidable cataclysme de la Grande Guerre, la révolution russe dans sa première phase, tous ces mouvements vomissant les valeurs anciennes fut celle où les germes du soi-mêmisme furent semés. Je pense par ailleurs qu'on n'insiste pas assez sur le stalinisme, première réaction à ces dérives.
20 octobre 2009, 22:23   Stalinisme
Cela nous éloigne, mais si vous êtes intéressé par le stalinisme, je vous conseille "L'Ivrogne et la marchande de fleurs, autopsie d'un meurtre de masse" de Nicolas Werth, qui éclaire cette période d'un jour nouveau.
20 octobre 2009, 22:53   Re : Stalinisme
Et la Révolution française, cher jmarc, avec son cortège de ci-devants, de citoyens, son tutoiement officiel et obligatoire, est-ce qu'elle ne serait pas une petite pépinière du soi-mêmisme, aussi bien ? (Avec cet intéressant paradoxe que ses principaux protagonistes, le verbe un peu trop vif, l'exaltation un peu trop appuyée, etc., jouaient à être des révolutionnaires...)

En tout cas, une bien intéressante question, cher bruno chaouat...
20 octobre 2009, 22:57   Revolution française
Bien cher Fancmoineau,


A mon avis, absolument pas : voyez la gauche montagnarde fermant les églises, guillotinant les prêtres... et créant le culte de l'Etre suprême, avec Robespierre en Grand Pontife le 20 prairial an II.
Du cinéma avant la lettre...à vrai dire, tout ce qui n'est pas mouvement réflexe, comme se gratter vigoureusement, relève de la théâtralité.
D'un autre côté, l'existentialisme sartrien ne dénie-t-il pas à l'homme, garçon de café ou pas, toute possibilité réelle de se recouper ou de se (re)trouver, précisément, par sa caractérisation de la condition humaine en général comme "pour-soi", qui réalise un départ et une distance irréconciliable de soi à soi, du fait de la conscience, au contraire de l' "en-soi" objectal, modèle inatteignable de la parfaite coïncidence soi-mêmiste ? ...

Dans ces conditions ce qui est épinglé par Sartre est justement le mime d'un "je" propre, le jeu du "je", et même la postulation forcément erronée qu'il y en ait un, dont la comédie sonnera toujours faux, et non le maintien de la distance et de l'étrangèreté intime, qui sont de toute façon posées comme un destin.
Très belle réponse dialectique, cher Alain ! Vous avez tout à fait raison... je me demandais juste...
Utilisateur anonyme
21 octobre 2009, 01:44   Re : Stalinisme
jmarc écrivait:
-------------------------------------------------------
> Cela nous éloigne, mais si vous êtes intéressé par
> le stalinisme, je vous conseille "L'Ivrogne et la
> marchande de fleurs, autopsie d'un meurtre de
> masse" de Nicolas Werth, qui éclaire cette période
> d'un jour nouveau.

C'est un très bon et beau livre : précis et bouleversant. Vous faites très bien de le conseiller aux membres de ce forum.
21 octobre 2009, 01:50   Re : Explication
Si vous étiez en Angleterre vous direz depuis la fin de l'Empire, au Japon, depuis la bombe. Mais la France, mais Paris, qui ne reçut aucun bombardement qui pût faire date, césure historique, barbote dans l'indissoluble continuité: Paris sera toujours Paris et l'on ne sait pas quand commença notre mort.

La question "Qu'est-ce qui s'est passé au XXe siècle ?", articulée en Français, est devenue d'ordre métaphysique. Elle égale et outrepasse "Qu'est-ce qui va se passer ?"

En mai 68, bon nombre de manifestants portaient cravate, au sortir des cours ou retour des cours annulés. Enfin, oui, il restera cette date aux Français: mai 68, comme millésime quasi-officiel du soi-mêmisme qui, dépouillé de tout uniforme, révèle la foncière identité et la lourde unformité des cores à nu.
21 octobre 2009, 01:59   Re : Explication
et non le maintien de la distance et de l'étrangèreté intime, qui sont de toute façon posées comme un destin.

Dès lors que l'on va habillé d'un tel destin, savoir l'étrangèreté, le soi-mêmisme est une vêture justifiée, une carapace naturelle, un exosquelette.

Dans les années 60, on qualifiait (la presse, Paris Match) de "jeunesse existentialiste" celle qui, dans certains quartiers, se dévergondait, s'habillait zazou, etc..

Imposer à tous que l'on soit "pris comme on est" formait, en effet, un exo-squelette existentiel ("Mon coeur à nu" chantait à cette époque le jeune Charles Aznavour) -- habillé d'un jeu immatériel d'ombres et de lumière qui fait l'étrangèreté.

Quelqu'un se souvient-il d'un spectacle de danse très réussi: "Nu et Bleu" où les artistes évoluaient sur scène entièrement nus mais littéralement, immatériellement vêtus de jeux de lumières tels que cette nudité en était invisible ?
Merci cher Bruno.
Oh mais, on n'en est pas moins fondé de grimper aux rideaux, à l'écoute de certaines déclarations de Sartre...
» Dès lors que l'on va habillé d'un tel destin, savoir l'étrangèreté, le soi-mêmisme est une vêture justifiée, une carapace naturelle, un exosquelette.

Si vous voulez, mais c'est quand même ériger le "même" dont on se réclame en un "autre" obligé, ce qui complique singulièrement une donne de toute façon inexistante.
De ce point de vue je trouve que le sartrisme s'en sort plutôt bien : si une quelconque définition de soi est toujours postposée, et ce de façon non nécessaire, si vivre est une perpétuelle reconduction, une fuite en avant, un projet, un jet de soi en avant, etc., alors on se demande tout de même ce qu' "être soi-même" peut bien vouloir signifier...
Il est fort, cet Étant...
Utilisateur anonyme
21 octobre 2009, 10:26   Re : Sartre et l'acte de naissance du soi-mêmisme
"Je suis le produit de mon histoire. Mais ce produit ne me satisfait guère. Je sais que je mérite mieux et je n'ai aucune intention de renoncer à mes droits. Ma valeur, je la fonde sur le fait de n'être pas satisfait de mon moi comme produit historique(c'est moi qui souligne). Mon histoire devient donc l'histoire de ma déformation et je me retourne contre elle. Je suis donc libre envers l'histoire."


W. Gombrowicz, Journal 1957-1960, p. 29.
Un étang qui parle de fuite est forcément un peu inquiet sur son sort. [ Ne m'en veuillez pas, cher Alain, je vous lis avec la plus grande application ]
Utilisateur anonyme
21 octobre 2009, 10:40   Re : Sartre et l'acte de naissance du soi-mêmisme
Le soi-mêmisme me paraît prendre sa source dans les effets conjugués du suffrage universel (surtout le direct) et de l'enrichissement formidable de la majorité des populations d'Occident depuis un siècle. Pas de soi-mêmisme en Chine tant qu'il n'y aura pas la démocratie.

Jean-Paul Sartre a souhaité toute sa vie et de toute ses forces freiner ce mouvement en appelant de ses voeux le triomphe d'un régime politique qui n'a apporté que pauvreté et dictature.
D'autant, cher Renaud Camus, que c'est précisément le sens en hébreu d'"Eytan", voyez comme ça tombe bien...
Ne m'en veuillez pas, cher Alain

Certainement pas, cher Éric, ce n'est jamais qu'un peu d'accent...
21 octobre 2009, 13:07   "Je" exulte
D'autant qu'en hydrologie, un étang qui parle de fuite nous parle de son exutoire, ne l'oubliez pas...
Il est tout de même amusant de voir un acte de naissance du « soi-mêmisme » et une tentative de « débarrasser du "comme-si" de la vie en société » dans la description d'un garçon de café qui justement fait « comme si »...
Cher Bernard,
Nous sommes-nous compris ? Le garçon de café de Sartre fait "comme si". C'est pour cela que Sartre cherche à le "libérer" de son aliénation...
(Erreur de bouton...)
Oui, dans votre hypothèse où l'analyse de la "mauvaise foi" a un but moral, ce que je ne crois pas. (Auriez-vous la page sous la main ? C'est dans L'Être et le Néant, n'est-ce pas ?) J'ai beaucoup admiré ces analyses, dans le temps...
L'existentialisme sartrien étant humaniste, la frontière entre la phénoménologie et la morale n'est pas claire. Voir les applications éthico-politiques de la psychanalyse existentielle dans la lutte anticoloniale...
Le relativisme et l'égalitarisme. banalisés par mai 68, ne pouvaient que déboucher sur le soi-mêmisme. Si tout se vaut nul besoin de se brider, de se dépasser ou de se tenir à distance . Il suffit d'être soi telle que la nature vous a fait. Le soi se suffit à lui même. Avant on appelait cela, justement de la suffisance . Ce qui m'étonne c'est que cette suffisance individuelle qui implique l'absence de toute autocritique, cette bonne conscience du soi, aille de paire avec une permanente autocritique collective, une si mauvaise conscience du nous.
Le soi-mêmisme est aussi un avatar de la publicité envahissante. Les slogans de mai 68 : tout de suite, ici et maintenant, jouir sans entraves, prenez vos désirs pour des réalités, témoignaient d'une philosophie de publicitaires -comme "la diversité" est un slogan d'épicier. Ce n'est pas un hasard si beaucoup de fils de mao-mai ont choisi cette profession.
L'autre philosophie héritée de cette période se réduit, me semble-t-il, dans tous les domaines, au "Pourquoi pas" ? Ce "pourquoi pas ?" n'attend pas de réponse. Il se suffit aussi à lui-même.
Ah, géniale, la définition de la suffisance ! J'achète, si c'est dans mes moyens.
Belle définition en effet. Cette suffisance soi-mêmiste va de pair non seulement avec le relativisme mais aussi avec l'hyper-égalitarisme : chaque ego se suffisant, se valant, aucune distinction, aucune hiérarchie ne se justifient, y compris en résultats.
Cher maître, pour vous ce sera gratuit.
Par un biais inattendu, la "suffisance" entendue dans le sens indiqué par Cassandre (nombre d'auteurs classiques l'utilisèrent comme synonyme d' "intelligence", de "capacité intellectuelle"), est également l'un des attributs de la perfection : est parfait ce qui n'a beoin de rien d'autre que soi, ce qui est "auto-suffisant", ce qui recèle en soi les principes, les motifs et les modalités de son être, bref ce qui de ce fait ne peut être rattaché à autre que soi.
Or ce qui prend racine et ne germe qu'en dedans, l'involuté, figurant en apparence un "relativisme" absolu, réalise en fait son contraire : un absolu tout court, un monde en soi, un an sich nouménal qui ne peut non plus être doué d'aucun sens, puisque le sens est la faculté d'établir un lien avec une altérité.
Ainsi l'unité monadique du suffisant vise en fait très haut, car elle ne reconnaît pas ses limites — un "soi" peut en fait être médiocre, insuffisant, banal — tout en se déclarant d'emblée indépassable.
C'est l'héritage de l'ambition la plus folle compromise avec l'arasement imposé de l'égalitarisme moderne.
23 octobre 2009, 11:29   Bibliographie accessoire
Justement, je lisais hier le Supplément du petit almanach de nos grands hommes (1788) de Rivarol. On y trouve cette entrée :

"Carracioli (M. le Marquis de) : un des doyens de la littérature moderne. Sa fécondité fait autant d'honneur à la nature qu'à l'esprit humain. M. de Carracioli a prouvé dans La jouissance de soi-même, qu'il était le plus fort grand-homme, le plus vif et le mieux portant de toute la littérature. M. Daubenton a retenu M. de Carracioli pour le Cabinet d'Histoire naturelle, au jardin du Roi."

Malheureusement, en dépit de toute la curiosité qu'on peut en éprouver, cette Jouissance de soi-même du marquis de Carracioli est un peu difficile à trouver.
Utilisateur anonyme
23 octobre 2009, 11:54   Re : Bibliographie accessoire
<iframe frameborder="0" scrolling="no" style="border:0px" src="[books.google.fr]; width=500 height=500></iframe>

Ou lien ICI
Merci beaucoup, cher Agrippa, pour cette numérisation googlienne. Une requête, cependant. Est-il possible, à partir de ce document, d'obtenir (facilement...) une version "texte" et non pas "image", de sorte à pouvoir "sélectionner" tel ou tel passage ?
Utilisateur anonyme
23 octobre 2009, 14:48   Re : Bibliographie accessoire
Le même livre en "texte brut" : ICI

Mais c'est du page par page.

Sinon, vous pouvez avoir tout le livre d'un seul coup au format pdf, mais il s'agit d'une photo donc pas de copier/coller possible : ICI
23 octobre 2009, 14:49   Re : Bibliographie accessoire
Google le propose : il suffit de sélectionner "texte brut", ce qui donne ceci.

Cependant, à cause de l'inintelligibilité, pour les logiciels de conversion, de la typographie ancienne, cela donne des choses comme « Donc la Jouifîance de foi-mhiie ftç doit préfenter à l'efprit que le bonheur de pofTéder notre âme & d'en profiter, conformément à ces paroles du Sauveur : In patientiâ veftrâ pojjïdebitis animas veftras. Vous pôflederez vos âmes dans la patience. »
... Et dire que certaines universités françaises ont un contrat avec Google !
À quand les diplômes dans les « liens commerciaux » ?
23 octobre 2009, 15:22   foimhiisme
"Donc la Jouifîance de foi-mhiie ftç doit préfenter à l'efprit que le bonheur de pofTéder notre âme & d'en profiter, conformément à ces paroles du Sauveur : In patientiâ veftrâ pojjïdebitis animas veftras. Vous pôflederez vos âmes dans la patience."

A lire à haute voix : succès garanti.
(Merfi à touhie deût pour vootre aide.)
Utilisateur anonyme
24 octobre 2009, 09:11   Re : Sartre et l'acte de naissance du soi-mêmisme
Permettez-moi de vous remercier pour cette discussion. Il se trouve que je termine laborieusement un cours avec mes élèves de terminale intitulé : "être ou ne pas être soi-même". Il est piquant d'ailleurs, de remarquer que les élèves (abreuvés sans le savoir de rousseauisme) fustigent spontanément l'aliénation sociale dans le paraître et trouvent que d'une manière générale les gens ne sont pas encore assez "eux-mêmes." Quoi qu'il en soit, ce cours va nous mener à Sartre chez qui on peut tout de même trouver l'idée que l'humanité n'est jamais faite mais toujours à accomplir. S'il y a un soi-mêmisme chez Sartre, il est tout de même d'une autre trempe que celui de nos contemporains loftstorysés.
24 octobre 2009, 12:58   se ipse
Alain Eytan écrivait:
-------------------------------------------------------
> Par un biais inattendu, la "suffisance" entendue
> dans le sens indiqué par Cassandre (nombre
> d'auteurs classiques l'utilisèrent comme synonyme
> d' "intelligence", de "capacité intellectuelle"),
> est également l'un des attributs de la perfection
> : est parfait ce qui n'a beoin de rien d'autre que
> soi, ce qui est "auto-suffisant", ce qui recèle en
> soi les principes, les motifs et les modalités de
> son être, bref ce qui de ce fait ne peut être
> rattaché à autre que soi.
> Or ce qui prend racine et ne germe qu'en dedans,
> l'involuté, figurant en apparence un
> "relativisme" absolu, réalise en fait son
> contraire : un absolu tout court, un monde en soi,
> un an sich nouménal qui ne peut non plus être doué
> d'aucun sens, puisque le sens est la faculté
> d'établir un lien avec une altérité.
> Ainsi l'unité monadique du suffisant vise en fait
> très haut, car elle ne reconnaît pas ses limites —
> un "soi" peut en fait être médiocre, insuffisant,
> banal — tout en se déclarant d'emblée
> indépassable.
> C'est l'héritage de l'ambition la plus folle
> compromise avec l'arasement imposé de
> l'égalitarisme moderne.

Marcel Meyer écrivait:
-------------------------------------------------------
> Belle définition en effet. Cette suffisance
> soi-mêmiste va de pair non seulement avec le
> relativisme mais aussi avec l'hyper-égalitarisme :
> chaque ego se suffisant, se valant, aucune
> distinction, aucune hiérarchie ne se justifient, y
ÿ compris en résultats.


(fin des citations)

Monsieur Alain Eytan vient de faire en quelques mots une remarque proche de ce que j'avais commencé d'écrire plus laborieusement sur le coup, puis remisé. Finalement je soumets quand même ce qui suit.

Il est certes tentant de rapprocher les deux concepts (beaucoup de signes y invitent) mais je pense que le soi-mêmisme doit être distingué de la suffisance, dont les deux acceptions historiques successives… suffisaient.

Cette acception ne recouvrirait pas celle à laquelle les temps modernes nous ont habitués, où suffisant équivaut presque à hautain (et je ne pense pas que celle-ci contienne systématiquement la première). Elle n'a bien sûr rien à voir avec le sens ancien, que nous rappelle Littré, qualifiant élogieusement l'individu qui honorait sa fonction ou son statut.

Comme la réalité nous le montre et comme le résume Marcel Meyer l'actuel contentement apparent de soi-même, qui répond à l'impératif ambiant de s'accomplir selon son nombril ou au moins de faire semblant (selon une gamme qui va du furieux au très vague), ne s'accompagne que rarement du comportement de la suffisance au sens moderne. Quand c'est apparemment le cas ce n'est souvent qu'une méprise de l'observateur.
Il semble que l'individu actuel ne puisse plus se payer le luxe de paraître hautain ou suffisant, attitude bien trop accrochée à la panoplie de l'ancien monde (Littré cite un exemple concernant un parvenu, mais on ne s'est pas privé d'attribuer ce ridicule à la noblesse). Le soi-mêmiste naît et vit dans un monde qui lui souffle de s'aimer tel qu'il est, mais qui d'autre part clame partout les terribles contre-parties du relativisme et de l'égalitarisme, à savoir tout ce qui dévalorise d'avance tout sentiment de soi. Ainsi le pauvre soi-même n'est plus pourvu que de pauvres mandibules guère plus adroites que celles du voisin, et chacun doit tenter d'imposer sa maigre complexion d'exigences que rien ne magnifiera jamais, les plus hargneux de naissance ayant le penchant et l'énergie de se répandre dans l'être au détriment des autres.

Même les faibles, les doux et les timorés sont donc soi-mêmistes, mais un peu à contre-emploi, et puisqu'ils se conforment à ce mode-là par la force du nombre. Eux tâchent de l'être, se demandant s'ils font bien tout ce qu'il faut, tandis que les éternels "battants" qui les piétinent leur servent de modèles en un de marché de dupes, ces derniers se sachant eux-mêmes faiblement rétribués par une "réussite" tellement distribuée.

Dans beaucoup de cas, si l'on met hors concours ceux qui étaient prédisposés au soi-mêmisme, et qui se retrouvent du coup (croient-ils) un peu au pays de merveilles, nous avons affaire à des gens qui s'appliquent laborieusement à des comportements qui ne leur sont même pas naturels. Comme si un catéchisme leur avait insufflé cette nouvelle bonne conduite un peu bizarre. Ils ne sont même pas persuadés que les soucis parallèles de l'écologie et de la fraternité universelle sont bien compatibles avec l'individualisme offensif, comme il serait souhaitable, non, ils appliquent le tout, ou se persuadent d'y parvenir, comme un grand Bien très composite et un peu difficile à ranger dans une vie.

Bien sûr, au bout du compte et l'éducation aidant, la conformité s'établit, les comportements s'unifient, les nouvelles générations bétonnent, et tout apparaît homogène, mais il faudrait un autre mot que la suffisance pour exprimer ce fait que tant de ceux qui se montrent ainsi se suffire n'en ont au fond que très peu le sentiment, ce monde ne leur demandant ni ne leur offrant pas assez sur le point central de l'accomplissement, et leur coûtant trop, au bout du compte, par le renoncement profond qu'implique le nivellement. De là la frénésie des compétitions, la mode du démarquage esthétique spectaculaire, ou certains comportements distinctifs suicidaires où trouver à marche forcée de dérisoires gratifications, la vie devenant un jeu de rôles pour gens douloureusement déguisés en piètres archétypes.

On se doute bien que le soi-mêmiste est l'insuffisant par excellence, à l'image du monde qui le porte, et que son détestable comportement n'est au fond qu'un rôle, un "mime du je" peut-être, si je ne tire pas trop l'expression d'Alain Eytan à propos de Sartre, et donc un impossible, quelque chose de pathétique, que nous ne pouvons pas prendre au mot ni au sérieux, malgré l'horreur que ça nous inspire et certainement l'horreur que ce doit être à vivre, à la longue, dans beaucoup de cas. Chacun de nous aura constaté que le soi-mêmisme peut gagner des gens assez âgés pour être nés sous d'autres codes… Chacun de nous connaît aussi de ces êtres assez jeunes qui tournoient comme des toupies autour de leurs quatre certitudes contradictoires, s'astreignant aux apparences requises de la positivité sur fond de malaise et d'angoisse: on ne voit chez eux ni la moindre suffisance ni même le simple contentement. Ils sont conviés à un faux banquet et font sagement semblant. Enfin chacun de nous a pu voir en lui-même où et quand le guettait le soi-mêmisme.

La suffisance ou quelque chose d'approchant se rencontre pourtant au même moment, mais selon d'autres modalités, chez certaines des populations fraîchement implantées dans les pays occidentaux, relevant d'autres aires culturelles, plus vraiment enracinées dans leur être collectif d'origine mais pas pour autant assimilées ni assimilables au soi-mêmisme (qui est un aboutissement, une effet pervers spécifique à l'Occident devenu individualiste). Il en est dont l'assurance, et de plus en plus la suffisance, révèleraient plutôt une disposition que l'on dirait caractérielle chez un individu, un tropisme de l'imposition de soi (mais un soi qui est avant tout un nous) sans complexe, sans réserve, sans risque non plus de baroquisme, puisque dans ce cas l'individu n'est jamais tout seul, qu'il est et se veut l'émanation d'un corps collectif à rétribution chaude et continue. Finies les angoisses, bien que et parce que subsiste une paranoïa fondamentale mais sous jacente, qui ne réside qu'en l'âme collective, et rendue de ce fait individuellement très peu sensible par le fait d'une sorte l'inconscience inculquée en tant qu'économie existentielle, et très bien prévue par un sacré terriblement prévoyant. La paranoïa transformée devient un carburant et nourrit la cohésion. Le mécanisme de base est le rejet de l'angoisse sur l'autre, que nous trouverons au principe actif de toute société communautaire, et dont on connaît la part sombre. L'Occident a pu un certain temps jouer une autre partition, mais c'était risqué et chanceux, et sur leur lancée les atomes sont partis trop loin, trop seuls. Du coup ils peuvent bien aller habiter Mars.

La culpabilité, c'est de la paranoïa tournée sur soi-même, autant que la paranoïa victorieuse et instituée rejette entièrement la culpabilité sur les autres. Érigé en règle de vie, et sous conditions favorables, ce dernier principe est un aimant surpuissant. C'est ce qui explique la force d'attraction de très médiocres attitudes, productions et apparences exotiques sur la multitude des toupies creuses occidentales. Les pauvres et très anodins "soi-même" sont aimantés par ces accomplis, ces investis, ces habités (ou qui leur paraissent tels), ces corps qui font (bien réellement) un grand corps immédiatement mobilisable, survolté de certitude, attractif jusque qu'en son mépris si naturel des premiers.

En conjuguant les solipsismes du Romantisme et des Lumières nous avons fait déchoir ces deux esprits en un égalitarisme de petit rois imbéciles qui se cognent aux vitres en cherchant une substance. Peut-il vraiment subsister de la suffisance, même d'affectation, dans ces conditions ? Je précise que pour moi rien de ce qui précède ne peut tenir lieu de circonstances atténuantes, et que chacun est responsable de ses illusions et de ses compromissions.

Petit amusement littéraire: André Suarès signait aussi André de Seipse.

(Corrigé: réécrit mon troisième alinéa, sans rien changer au sens mais en plus clair.)
Cassandre écrivait:
-------------------------------------------------------
> Le relativisme et l'égalitarisme. banalisés par
> mai 68, ne pouvaient que déboucher sur le
> soi-mêmisme. Si tout se vaut nul besoin de se
> brider, de se dépasser ou de se tenir à distance
> . Il suffit d'être soi telle que la nature vous a
> fait. Le soi se suffit à lui même. Avant on
> appelait cela, justement de la suffisance . Ce
> qui m'étonne c'est que cette suffisance
> individuelle qui implique l'absence de toute
> autocritique, cette bonne conscience du soi,
> aille de paire avec une permanente autocritique
> collective, une si mauvaise conscience du nous.
> (...)

Chère Cassandre,

Dans mon message précédent j'ai omis de vous citer en préambule, alors que mon motif venait de vous. J'en suis désolé, d'autant que dans ma réponse je cherchais un peu à creuser l'étonnement que vous manifestiez ci-dessus.

Une part de ce que nous nommerions soi-mêmisme n'est pas tant une positivité, quelque chose que quelqu'un manifeste, que le résultat d'un appel d'air créé par le retrait des injonctions communes. C'est ce vide qui suscite en les happant ces excroissances désordonnées des êtres. De même, on voit des gens "bien sous tous rapports" et plus tout jeunes qui au fur et à mesure qu'ils admettent l'ambiance et leur habilité toute neuve à s'y mouvoir (leur habilitation à pratiquer, en quelque sorte), vont cesser de s'abstenir, cesser de se contraindre ou de se contrôler. C'est dire que leur conduite précédente ne leur était pas si naturelle...

Une autre part est plus idéologique et même militante, c'est celle que l'on enseigne (qui a dit à l'école ? ).
» En conjuguant les solipsismes du Romantisme et des Lumières nous avons fait déchoir ces deux esprits en un égalitarisme de petit rois imbéciles qui se cognent aux vitres en cherchant une substance

Et qui affectent de croire que les bosses ainsi récoltées sont la substance elle-même (tiens, cela rappelle Wittgenstein).

Merci pour votre beau texte, cher Mélophile.
Alain Eytan écrivait:
-------------------------------------------------------
> » En conjuguant les solipsismes du Romantisme et
> des Lumières nous avons fait déchoir ces deux
> esprits en un égalitarisme de petit rois imbéciles
> qui se cognent aux vitres en cherchant une
> substance
>
> Et qui affectent de croire que les bosses ainsi
> récoltées sont la substance elle-même (tiens, cela
> rappelle Wittgenstein).
(...)

Cher Alain Eytan,

Je me demande parfois si passé le bas de la page visible à l'écran il n'y aurait pas quelques discussions perpétuées dans la pénombre. Le sujet du soi-mêmisme remontera bien un jour à la surface.

Vous semblez avoir - passez-moi l'expression, mais je crois qu'elle a eu sa carrière - la tête plus philosophe (ou philosophique) que moi. J'ai bien quelques Wittgenstein mais mes tentatives ( ! ) de lecture sont un peu anciennes, et si vous aviez un passage à me conseiller - ou, le concernant, le choix d'un "pan" de son oeuvre - qui puisse me faire retrouver le thème abordé ici... Je vous en remercie.
Cher Melophile, c'est à moi de m'excuser de ne pas avoir pris connaissance de votre texte plus tôt. C'est parce qu'il m'avait paru très intéressant que j'avais remis à plus tard afin de le lire à tête reposée, et puis j'ai fini par l'oublier.
Je viens de réparer mon oubli.
J'ai particulièrement apprécié ce passage avec lequel je suis d'accord : " Une part de ce que nous nommerions soi-mêmisme n'est pas tant une positivité, quelque chose que quelqu'un manifeste, que le résultat d'un appel d'air créé par le retrait des injonctions communes. C'est ce vide qui suscite en les happant ces excroissances désordonnées des êtres. De même, on voit des gens "bien sous tous rapports" et plus tout jeunes qui au fur et à mesure qu'ils admettent l'ambiance et leur habilité toute neuve à s'y mouvoir (leur habilitation à pratiquer, en quelque sorte), vont cesser de s'abstenir, cesser de se contraindre ou de se contrôler. "
Bien sûr j'ai un peu joué sur les mots : est suffisant, au sens strict, celui qui estime se suffire à lui-même, qui n'éprouve nul besoin de s'élever au dessus de son donné naturel , d'apprendre quoi que ce soit des autres, de faire un quelconque examen critique de ses comportements. Je ne l'ai pas utilisé dans le sens de hautain ou d'arrogant. Je connais des soi-mêmistes fort joviaux et bons enfants mais qui ne démordent pas d'eux-mêmes pour autant. C'est cette incapacité à s'examiner qui, d'ailleurs, entre autres, favorise l'extraordinaire conformisme des soi-mêmistes, lesquels suivent l'opinion dominante sans s'en rendre compte. C'est particulièrement flagrant à l'âge où le soi-mêmisme est à son apogée, c'est-à-dire à l'adolescence. C'est en suivant le plus l'air du temps que les adolescents forcément "rebelles" sont le plus persuadés d'être eux-mêmes, d'où l'expression, qui me ravit, de PH. Muray : les mutins de Panurge.
Il s'agit, en fait d'un soi-misme collectif qui s'ignore.
C'est pour cela que, au fond, si individualiste qu'il paraisse, il n'est pas si éloigné du soi-mêmisme communautaire de certaines populations de culture non occidentale où l'individu ne pense jamais par lui-même mais est pensé, pourrait-on dire, par sa communauté qui s'exprime à travers lui. La seule différence est que l'air du temps dans la "communauté " occidentale pousse au sentiment de culpabilité alors que la communauté musulmane est, au contraire, fondamentalement et éternellement culpabilisante.
Cassandre écrivait:
-------------------------------------------------------
> (...)
> C'est cette incapacité à s'examiner qui,
> d'ailleurs, entre autres, favorise
> l'extraordinaire conformisme des soi-mêmistes,
> lesquels suivent l'opinion dominante sans s'en
> rendre compte. C'est particulièrement flagrant à
> l'âge où le soi-mêmisme est à son apogée,
> c'est-à-dire à l'adolescence. (...)

Chère Cassandre,

Je vous remercie d'avoir tenu le choc sous ces strophes empilées, et bien sûr de votre réponse.

Quand à votre phrase ci-dessus, on peut toutefois dire que le soi-mêmisme de l'adolescence va de soi, sans jeu de mots, et qu'il est aussi banal que bénin. Plus endurci et redoutable est celui que se construisent les adultes actuels, et ce serait aller un peu vite d'y voir seulement une adolescence prolongée, même si c'est bien sûr un peu le cas. Il y entre un peu de cet état d'esprit du consommateur qui ne veut pas se "faire avoir", et qui entend choisir librement les domaines et les modalités de l'affirmation de sa "personnalité".

Tout est devenu affaire de construction et par conséquent d'auto-construction, et par un retournement assez triste cet esprit gagne en sens inverse non seulement l'adolescence mais sans doute aussi l'enfance, car à la faveur de l'élaboration incessante de l'offre technologique le monde demande de plus en plus et de plus en plus tôt aux êtres de cocher des cases parmi des milliers d'incitations. Plus moyen d'échapper aux propositions (beaucoup moins de lignes de fuite que dans le vieux monde) et de rêvasser dans l'imprévu et la suspension du temps en jouant avec une badine ou des chiffons. On est un consommateur en puissance dès qu'on a cinq ans, et un consommateur averti à huit. Au morcellement étiqueté de l'offre commerciale répond en miroir chez l'individu la pactisation "personnalisée" avec ses quelques envies et capacités, que l'intéressé nomme vite des "passions". Tout ceci est en phase avec l'idée du progrès et de ses bénéfices (information, confort, choix, santé etc.).

L'adulte ainsi construit - un peu comme sa maison modulable - me semble assez éloigné, pour cause, de tout esprit collectif et, encore plus, communautaire. C'est presque purement un produit de cet éloignement. Le noyau est en lui. Il n'est plus concentrique à rien, sauf à ses écrans et à la tirette à billets qui sont eux-mêmes de moins en moins centrés. Un peu comme dans la crise des sub-primes, il vient un moment où l'absence de fond(s) se révèle. À ce point d'éparpillement et de perte de substance, peut-il encore advenir ou se reconstituer une communauté, et laquelle, et puis comment y penser, entre les vains élans, les fumisteries, les remâchages et les grossièretés ? Devant le spectacle qui nous est servi de la communauté soudée en actes (et dont on aurait tort de ne voir le mauvais côté que dans les incarnations qui nous préoccupent actuellement), les bras tombent. D'un côté des atomes affolés, de l'autre des compacités efficaces. Hors du compact, pas de salut ?
Pourvu que oui, cher Mélophile, des pénombres animées, et de la vie dans les plis.

Les bosses wittgensteiniennes sont celles contractées en philosphant, c'est pourquoi je ne sais s'il est vraiment souhaitable d'avoir la tête à cela, enfin...
J'ai retrouvé le passage, ou l'un d'entre eux, dans les Investigations philosophiques, au paragraphe 119 :

« Les résultats de la philosophie consistent en la découverte d'une quelconque absurdité comme des bosses que l'entendement s'est faites en courant à l'assaut des frontières du langage. Ce sont les bosses qui nous permettent de reconnaître la valeur de cette découverte. »

Selon Wittgenstein le langage a une fonction bien précise, assez limitée en vérité, et toute dérogation à celle-ci produit proprement un non-sens, c'est à dire ce qu'il est convenu d'appeler un "problème philosophique". C'est donc en voulant outrepasser ces limites que l'on se cogne, et contusion vaut en fait confusion, due à ce mésusage, c'est le sens de ce passage, fort mal traduit par Klossowski je trouve, comme tout le livre d'ailleurs.
Le rapport au soi-mêmisme est assez distendu, pour ne pas dire inexistant, ne reste donc que cette prétention de roitelets vite arrêtée par leurs limites, leur insuffisance, qui suscita le rapprochement...
Alain Eytan écrivait:
-------------------------------------------------------
(...)
> Les bosses wittgensteiniennes sont celles
> contractées en philosphant, c'est pourquoi je ne
> sais s'il est vraiment souhaitable d'avoir la tête
> à cela, enfin...

Merci !

Il va falloir que j'y retourne voir. Il est paru une nouvelle traduction (Gallimard, 2004), qui court moins les étals. Klossowski était proche de Brice Parain, dont les recherches et inquiétudes semblent, apparemment et pour un non-spécialiste, voisines de celles de Wittgenstein.

Attention, si vous dites "contracter" des bosses, vous en risquez une d'un gros dictionnaire qui se serait arrangé pour glisser de l'étagère au bon moment. Déjà, tiré un peu abusivement du lexique juridique, ce terme est un peu déplacé à propos de maladies, puisqu'on ne voit pas bien dans ce cas quel serait le contrat. À moins que cette acception ne soit venue d'une réflexion profonde, et non d'une simple dérive lexicale, comme je le pense. En ce sens, mais ça ne concerne toujours pas vos bosses, le philosophe est peut-être celui qui accepte d'établir des contrats, même avec la peste et le choléra.
Je suis d'accord, "contracter" en ce sens est une dérive à surveiller, peut-être même à s'interdire.
J'ai noté contracter souillure pour "métissage", dans le Trésor...

Le meilleur aperçu (plus que ça en fait) de Wittgenstein que j'aie lu, qui a pu corriger de véritables contresens dans le texte traduit, figure dans un ouvrage consacré à la philosophie analytique en général, Épistémologies anglo-saxonnes, de J.-F. Malherbe.
Ainsi vous suggérez que philosopher soit une activité délétère ?
28 octobre 2009, 23:12   Contracter
Bien cher Alain et bien cher mélophile (je salue au passage le "m"),


Est-on bien certain que le sens premier de contracter soit juridique ? le "morbum contrahere" du TLFI paraît attester d'une pratique ancienne du sens figuré... et le Gaffiot le trouve déjà chez Pline dans cette acception...
28 octobre 2009, 23:39   Re : Contracter
Et le contracter péché, irrégularité, de Pascal, cité dans tous les dictionnaires...
29 octobre 2009, 09:21   Re : Contracter
» je salue au passage le "m"

Il ne faut pas confondre le "nom technique", référence du système Phorum, le pseudonyme et le vrai nom. En bonne typographie, ces deux derniers doivent prendre la majuscule, le premier n'a aucune importance (même si la majuscule eût été plus jolie au moment de l'inscription). Il faut donc écrire : cher Mélophile, cher Jean-Marc...
Effectivement, en y réfléchissant, c'est évident : jmarc, tout le monde le comprend, est un nom d'inscription, qui est explicite (il est probable que la personne qu'il représente ne s'appelle pas Jean-Pierre). Il y a donc la "boîte aux lettres" jmarc, et la personne Jean-Marc, et on ne dit pas bonjour à une boîte aux lettres !

Dorénavant, comme Alain, j'écrirai Mélophile.

Pour vérifier que je comprends bien, quand j'écris à la boîte TODOMODO ou todomodo, je dois mettre dans le corps du message "cher Todomodo", c'est cela ?

Un point qui m'intrigue, au passage : comment se fait-il que tant de personnes confondent majuscule et capitale ? la différence est pourtant nette...
29 octobre 2009, 09:45   Majuscule et capitale
Au fait, bien cher Bernard, est-il inexact de dire que la majuscule obéit à la règle, alors que l'usage de la capitale est finalement plus libre ?
29 octobre 2009, 11:31   Re : Majuscule et capitale
La majuscule est une affaire d'écriture, la capitale est une affaire de police de caractères (comme l'indique bien le terme de "petites capitales", dans lesquelles, bien entendu, il y a des majuscules). Donc, la règle concerne les majuscules, les capitales sont une question de composition et d'esthétique. Je pense que Lacroux est d'accord (c'est lui, le spécialiste, pas moi...)
29 octobre 2009, 11:38   Compréhension
Oui, je comprends beaucoup mieux maintenant, et j'utiliserai plutôt l'italique ou les petites capitales quand je veux insister que la majuscule. Dans un cas, j'exprime mon idée, dans l'autre, je viole la langue.
29 octobre 2009, 19:56   Re : Contracter
jmarc écrivait:
-------------------------------------------------------
> Bien cher Alain et bien cher mélophile (je salue
> au passage le "m"),
>


Cher JMarc ( ! )

Je n'ai pas pu vous répondre ce matin. Je me suis promis depuis quelques temps d'aller dans la tuyauterie changer cette satanée initiale, et la recapitaliser vite fait (promesse récurrente, oubli fidèle). J'avais commis cette initiale minuscule, et le pseudo un peu neuneu qui va avec, lors d'une inscription un peu brusquée et pour dire quelque chose dans l'instant. Je me lançais avec très peu d'heures de vol et je croyais que les adresses mail, qui n'acceptent pas les accents, n'acceptaient pas non plus les majuscules. Allez savoir pourquoi ! J'ai donc inscrit mon pseudo sous cette forme. Pourtant, croyez-moi, je suis au naturel exaspéré par les modes de la démajusculisation et de la prévalence du prénom, qui sont évidemment des décapitations symboliques. Il y a des gens, et je ne parle pas d'illettrés, qui ne mettent aucune majuscule, y compris aux pays. Ceci relève d'un choix idéologique.

Au fait, ce que je dis du prénom ne vise pas votre pseudo (j'aurais mauvaise grâce), que je peux écrire en minuscules ou autrement selon votre goût, mais ça concerne la mode, héritée des USA je crois, d'appeler systématiquement les gens par leur petit nom.

Donc dès ce soir ou demain si je suis trop nul, ce sera (Monsieur) Mélophile. Oui, je n'ai pas vu tout de suite que c'était asexué... Bernard Lombart a parfaitement raison, on doit faire prévaloir la norme typographique et coller d'office la majuscule après Monsieur. Non mais...

En souhaitant, dans mon cas, que ça ne créera pas de hiatus avec l'ancienne forme.

>
> Est-on bien certain que le sens premier de
> contracter soit juridique ? le "morbum contrahere"
> du TLFI paraît attester d'une pratique ancienne du
> sens figuré... et le Gaffiot le trouve déjà chez
> Pline dans cette acception...

Bien, çe serait alors que l'idée d'une sorte de pacte avec la maladie remonte aux âges. On la retrouve dans des théories actuelles. Mais c'est peut-être tout simplement un sens plus proche de l'étymologie (tirer avec, tirer ensemble, ou tirer l'un vers l'autre, lier, qui sait ?), avec cette idée de rencontre, de rapprochement, de contact plus que de contrat. L'acception juridique serait alors seconde, et ma critique vaseuse. Je dois être plus dans une période à dire "j'ai encore chopé cette saleté cet hiver" que dans le dépassement dialectique.
Alain Eytan écrivait:
-------------------------------------------------------
> Je suis d'accord, "contracter" en ce sens est une
> dérive à surveiller, peut-être même à
> s'interdire.
(...)

Si vous voulez bien vous reporter à ma dernière réponse à jmarc (JMarc), j'y tente une hypothèse, ou une pirouette, à propos de cette acception médicale. Mais ça ne vaudrait toujours pas pour les bosses - la mécanique des solides et la médecine prises ensemble, à l'avantage de la première - n'est-ce pas ?

(...)
> Ainsi vous suggérez que philosopher soit une
> activité délétère ?

Non point ! J'ai dû y aller un peu fort avec "accepter", "peste" et "choléra", ou sembler ironiser, mais l'idée était au contraire que le philosophe serait celui qui accepte (le négatif, la mort etc.). C'est d'ailleurs un lieu commun.

Merci pour les références.
29 octobre 2009, 20:15   Nommer par le prénom
C'est aussi un usage espagnol très ancien, on dit "don Untel", et aussi un usage russe (voir Kyril Modestovitch au début du Docteur Jivago).
30 octobre 2009, 23:22   Re : Nommer par le prénom
Je crains, cher Monsieur Mélophile, que ce soit un peu compliqué à réaliser. En tous cas, si vous réussissez, donnez je vous prie la recette, d'autres seront intéressés.
31 octobre 2009, 11:59   Re : Nommer par le prénom
Marcel Meyer écrivait:
-------------------------------------------------------
> Je crains, cher Monsieur Mélophile, que ce soit un
> peu compliqué à réaliser. En tous cas, si vous
> réussissez, donnez je vous prie la recette,
> d'autres seront intéressés.

Mince !

J'aurais dû m'en douter. Pas moyen. Je suis parvenu à modifier une "signature" dont je ne connaissais donc pas l'existence, ni l'utilité. Je suppose que le seul moyen est de muer, d'abandonner son profil et d'en créer un nouveau. Ça risque de faire un peu désordre. Je laisse la chose en l'état. Il n'y a pas mort d'homme, et je pourrais inclure un petit erratum dans les messages ( une signature ? ). Merci, cher Monsieur Meyer, de votre sollicitude.

Mélophile.
(pseudonyme émajusculé par erreur)
31 octobre 2009, 12:47   Re : Nommer par le prénom
jmarc écrivait:
-------------------------------------------------------
> C'est aussi un usage espagnol très ancien, on dit
> "don Untel", et aussi un usage russe (voir Kyril
> Modestovitch au début du Docteur Jivago).


Oui, je suis bien d'accord que la coutume en a existé, et persiste, en certains pays. Je crois même en comprendre l'esprit, et la sorte de chaleur qu'elle maintient en l'étiquette (les formes étant maintenues par ailleurs). J'ai plutôt vécu dans le peuple, où le prénom vient plus vite entre soi, et suis donc habitué à cet usage, qui en fait coexistait avec l'autre. Je suis toutefois très agacé par l'obligation qui nous est faite d'abandonner voire de mépriser l'identification policée, fondée sur la retenue, une mise à distance, une forme, une distinction entre les plans de l'intime et du social. De même le tutoiement devenu obligatoire perd sa chaleur, et devient une signe parmi d'autres de l'approbation d'une mise à plat généralisée. Il faut prendre ou refuser en bloc ce filet garni de toutes les désinvoltures: domaines de la langue, de la civilité, de l'apparence etc. Même en se forçant un peu (il faut un peu se surveiller car on n'est pas parfait).

Ne serait-ce que pour se démarquer de l'abject langage qui règne sur internet (blogs et commentaires), et nous tire par la manche...

Par exemple, et sans parler de l'ordure, il faut aussi surveiller la disparition de la forme interrogative, ne pas s'y laisser gagner (et Dieu sait qu'elle gagne), et reprendre ce flambeau dans notre parole courante.
Utilisateur anonyme
31 octobre 2009, 13:26   Re : Nommer par le prénom
"De même le tutoiement devenu obligatoire perd sa chaleur, et devient une signe parmi d'autres de l'approbation d'une mise à plat généralisée. "

Dans le milieu professionnel, il est aussi un moyen sournois d'exercer une plus forte pression "amicale" sur ses subordonnés.
Utilisateur anonyme
31 octobre 2009, 17:46   Re : Sartre et l'acte de naissance du soi-mêmisme
(Message supprimé à la demande de son auteur)
31 octobre 2009, 18:56   Re : Nommer par le prénom
Agrippa écrivait:
-------------------------------------------------------
> "J'ai plutôt vécu dans le peuple"
>
> Il n'y a pas de quoi se vanter.

Mais, je ne me vantais pas. Dit tel que, et en pleine conscience que ce genre de phrases passe la limite du ridicule, ça permettait d'aller vite et de situer celui qui "parle" - "d'où on parle" comme disaient les années 1970. Il n'y a ni de quoi se vanter ni de quoi avoir honte. Dans toutes les sociétés je serais plutôt mal en gros, et bien par exceptions. Mais c'est un fait que la vie m'aura chichement compté les séjours bourgeois (je ne parle même pas de plus haut). C'est mon lot, il me manque cette expérience, mais je ne m'en plains pas car d'en lire dépayse bien. Tenez, pour rejoindre d'autres "fils", du coup je ne crois pas qu'il faille flatter le peuple ou spécialement s'y référer sur des points de morale, comme si c'était un réservoir de vertu...

corrigé: un peu arrangé "genre de" avec son accord problématique au verbe qui suit...
31 octobre 2009, 19:00   Re : Nommer par le prénom
Agrippa écrivait:
-------------------------------------------------------
> "De même le tutoiement devenu obligatoire perd sa
> chaleur, et devient une signe parmi d'autres de
> l'approbation d'une mise à plat généralisée. "
>
> Dans le milieu professionnel, il est aussi un
> moyen sournois d'exercer une plus forte pression
> "amicale" sur ses subordonnés.

Vous avez raison, j'oubliais ce biais sournois de la chose, qui fait froid dans le dos.
Utilisateur anonyme
31 octobre 2009, 19:09   Re : Sartre et l'acte de naissance du soi-mêmisme
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Ça marche !

Ma majuscule est apparue deux fois de suite, et le pseudo demeure dans les messages antécédents. Reste à essayer avec des changements plus importants, car dans mon cas c'est seulement une lettre qui passe de minuscule à capitale.

Merci en tout cas.
Bravo, cher Didier ! (Il a sans doute été trifouiller tout au fond des soutes...)
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