"Prof éphémère", ou la grande galère d'une remplaçante en banlieue
Pas simple de gérer sa classe lorsqu'on est une "prof de passage". Véronique Pot a 29 ans. Elle enseigne le français. C'est sa cinquième année de remplacement. Témoignage de sa dernière mission.
Après la Toussaint, me voilà dans le Val-d'Oise. Lundi, mes élèves de 4e rentrent au compte-gouttes. Certains arrivent par grappes, en se catapultant contre la porte d'entrée de la salle de classe, qui s'ouvre sous le choc. Ils jettent leur sac, changent deux ou trois fois de place. Continuent à parler comme si je n'existais pas. Ne daignent pas sortir feuille, ou stylo. Un élève cherche à rouler une pelle ("embrasser" serait un terme inapproprié) à sa copine du moment, fait semblant d'être étonné que je lui demande des comptes. Un autre petit couple se tripote assidûment sous la table.
Une gueulante. Les élèves s'assoient, mais n'arrêtent pas de s'interpeller. Une élève remarque mon désarroi et sourit à pleines dents "Elle va chialer !" Comme je rétorque vertement, ce n'est pas (encore) la curée.
En sortant, je dois avoir l'air hagard car un élève de la classe me dit : "Vous inquiétez pas, madame, ils sont comme ça avec tout le monde." Un autre a vu que je boitais, et me demande avec bienveillance ce que j'ai. C'est ça qui manque de me faire pleurer! Mardi, le deuxième cours avec eux est à l'avenant. Comme je me plains en salle des profs, on me dit qu'il y a pire ailleurs... Ici, les profs tiennent le coup "en attendant d'avoir des points".
Jeudi et vendredi, je prends un carnet. "Madame, vous êtes sûre vous voulez me mettre un mot ?" Menace à peine voilée, qui sera réitérée le lendemain. Une exclusion de cours est impossible, l'équipe de "vie scolaire" (surveillants et conseiller d'éducation) est débordée, et on me l'a expressément interdit.
Week-end infernal. Leurs tentatives d'intimidation commencent à fonctionner. Je pense à eux, tout le temps. J'essaie d'imaginer des stratagèmes, je refais des cours, en plus simple, toujours plus simple, des leçons"à trous" pour éviter d'avoir à écrire trop au tableau, car leur tourner le dos est souvent source d'agitation, de jet d'objets.
Le lundi suivant, comme j'attends le silence depuis vingt minutes, mon cours leur manque en bruit de fond. Ils sont gênés. "Madame ça s'fait pas, continuez à parler, vous écoutez pas nos conversations !" Alors que je m'avance dans l'allée pour chercher à capter leur attention, R. s'aperçoit que je boite légèrement. "Ouah elle boite, elle s'est fait enculer ou quoi ?"
J'hésite entre découragement et rage. Je lui demande de répéter. S., peut-être pour détourner l'attention, m'accuse d'avoir peur de R., de faire semblant de ne pas entendre ses réflexions. Je file directement dans le bureau de la principale adjointe. Je fais un rapport. Je ne sais pas jusqu'où ils sont capables d'aller. La principale m'assure que la violence physique contre un prof advient seulement quand le prof est méprisant. J'espère que les élèves sont au courant de cette règle... La principale finit sur cette petite touche d'humour édifiante : "Vous savez, un de nos collègues s'est fait tabasser, il a eu une très bonne mutation."
Une semaine jour pour jour après ma rentrée dans cet établissement, j'en appelle au gouvernement. Il faut agir. Il faut des profs, oui, des profs, mais pas n'importe lesquels, et pas dans n'importe quelles conditions.
Propos recueillis par Maryline Baumard