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Rituel et humanité

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
04 décembre 2009, 11:01   Rituel et humanité
Zi Xia demanda quel était le sens des versets :
Un gracieux sourire embellit ses joues,
Ses beaux yeux brillent d'un vif éclat,
Aux soieries écrues s'ajoutent les broderies de couleur?

Le Maître répondit : "Le travail d'ornementation vient après le fond uni."
Zi Xia reprit :"Les rites viendraient donc seulement après?"
Le Maître dit :"Shang Zi Xia, c'est toi qui m'éveilles au sens de ces versets. Avec toi, je puis pour la première fois deviser des Poèmes."
(Entretiens III-8)

Lin Fang s'enquit du fondement des rites.
Le Maître dit :"Voilà une bien grande question. Dans l'accomplissement des rites, la simplicité l'emporte sur la solennité. Lors des enterrements, la douleur l'emporte sur la rigueur rituelle."
(Entretiens III-4)

Ainsi donc comme le symbole les rites viennent "après". Après quoi? La chose elle-même pour le symbole. L'humanité pour le rite. Comme le symbole le rite n'existe que sur fond de quelque chose. Le rite et le symbole suggèrent sans dévoiler.

L'humanité ne peut s'exprimer qu'au travers du rite. Le contraire du rite n'est pas le naturel mais l'animalité.

"L'ensauvagement" du monde n'est que le retour à l'animalité par ignorance ou mépris du rite.

Les revendications au nom du respect absolu des choix individuels, la théorie des genres en matières sexuelle sont les premières marches de cette descente aux enfers.
04 décembre 2009, 12:18   Re : Rituel et humanité
« "L'ensauvagement" du monde n'est que le retour à l'animalité par ignorance ou mépris du rite. »

Je ne puis que souscrire à cette opportune et tempestive proposition...
04 décembre 2009, 12:41   Re : Rituel et humanité
C'est du reste en gros ce que disait Claude Lévy-Strauss alors qu'il se prêtait à la séance d'essayage de son costume d'académicien chez le tailleur.
04 décembre 2009, 14:00   Tribunal des Rites
N'y avait-il pas dans la Chine des T'sing, bien cher Francis, une sorte de ministère qui portait ce nom ?
04 décembre 2009, 14:33   Re : Tribunal des Rites
Oui en effet, le Ministère des Rites, le Li Bu, qui était un peu aussi le ministère des Affaires étrangères de l'époque.

A propos de Confucius, je signale la parution ce mois-ci d'un dossier sur lui (contenant un bref entretien de François Jullien) dans le Magazine Littéraire, que j'ai trouvé à Siem Reap au Cambodge !

Concernant Lévi-Strauss et cette affaire de rituel, je ne saurais trop engager les In-nocents à se replonger dans La Pensée sauvage qui, à mes yeux, ressemble très fortement à La Pensée chinoise de Granet (les thématiques et les thèses proposées dans ces deux ouvrages convergent indiscutablement): le rite (ou le rituel) qui structure ou met de l'ordre dans la contingence événementielle, dans l'accident, rapproche, unit et harmonise, tout à la différence du jeu et de la guerre qui dia-boliquement divisent et créent de la disparité et de l'hétérogéneité entre les protagonistes en partant d'un état de fait structuré et égal (soit la règle du jeu, voire la règle seule, laquelle, en ce sens est un rite inversé); il est donc partie intégrante de la diplomatie, discipline dans laquelle Kong Zi s'était très tôt illustré, ayant permis de négocier la paix entre Qi et Lü (son pays d'origine).
04 décembre 2009, 14:43   Li Bu
N'était-ce point lui aussi (j'en ignorais le nom chinois) qui était chargé des fameux examens mandarinaux ?


On pourrait ajouter le rétablissement de ce type d'épreuves dans les propositions du Parti quant à l'éducation...


En quelque sort, le Li Bu, ministère du protocole ?
04 décembre 2009, 14:51   Re : Li Bu
Non, je ne crois pas, enfin je ne suis pas sûr que "le protocole" qui est règle, soit corrélable aux rites confucéistes ou aux rituels tels que les envisage Lévi-Strauss, qui les met en équation avec le bricolage (lequel crée un ordre inédit inspiré d'éléments hétéroclites, ou d'événéments). La diplomatie est un bricolage, foncièrement c'est ce qu'elle est: l'art du compromis bricolé, savoir l'art de tourner le dos à la règle qui fait de l'ennemi un ennemi; rien d'étonnant à ce que Confucius y ait excellé.
04 décembre 2009, 15:12   Re : Li Bu
Quel département organisait les examens de recrutement des fonctionnaires impériaux en Chine ? Bonne question. Il ne me semble pas que ce fût le ministère des Rites. Ce devait être le Département d'Etat (le Xiang Shu Sheng _ 尚書省) qui chapeautait six ministères dont celui des rites. Mais franchement, vous me posez une colle. Faut demander à Wiki ou à François Jullien.
04 décembre 2009, 22:39   Re : Rituel et humanité
» Comme le symbole le rite n'existe que sur fond de quelque chose. Le rite et le symbole suggèrent sans dévoiler.
(...)
Les revendications au nom du respect absolu des choix individuels, la théorie des genres en matières sexuelle sont les premières marches de cette descente aux enfers.



Non, si les choix individuels sont eux-mêmes considérés, en tant que valeurs, comme l'expression de quelque chose qui ressortit à ce que l'on pourrait appeler une "transcendance".
En ce sens ces choix sont expressément symboliques, parce que loin de renvoyer à une animalité totalement neutre en matière de valeur, ils figurent un indicible, et constituent le degré le plus éloigné de la sauvagerie naturelle précisément (L'un des exemples les plus frappants d'une telle conception de l'éthique qui me vienne à l'esprit pour l'instant est celui de Wittgenstein et de son silence, de nature pratiquement apophatique, ne pouvant que faire montre, par son engagement dans le monde, de ce qui en soi est indescriptible).
C'est d'ailleurs en ce sens que Gilbert Durand, dans son beau livre L'imagination symbolique, conçoit justement le symbole :

« Ne pouvant figurer l'infigurable transcendance, l'image symbolique est transfiguration d'une représentation concrète par un sens à jamais abstrait. Le symbole est donc une réprésentation qui fait apparaître un sens secret, il est l'épiphanie d'un mystère. »
05 décembre 2009, 00:42   Re : Rituel et humanité
Je vous lis toujours avec le plus grand intérêt, cher Alain. Il me semble que dans votre démarche, cette notion de choix individuels considérés comme valeurs est fondamentale. Si je m’en réfère à d’autres discussions, elle doit être respectée et libre de toute norme, elle est mystère et peut-être transcendance. Vous ai-je un peu suivi ? Cette notion de valeur est bien confuse dans mon esprit mais je sens qu’il y a peut-être là un partage des eaux. Est-ce que j’adhère par ce que c’est une valeur ou bien est-ce une valeur parce que j’y adhère ? Les implications de ce choix fondamental me paraissent innombrables.
05 décembre 2009, 03:00   Re : Rituel et humanité
Cher Éric, jolie question. Mais la valeur, comme le sens, est toujours tributaire du regard porté sur ce à quoi elle est conférée, me semble-t-il. Très simplement, peut-être peut-on dire que la valeur est ce qui est apposé sur ce à quoi l'on prête de l'importance, de quelque nature que ce soit, en vertu même de l'acte d'apposition. Et dans la perspective de la valeur symbolique évoquée supra, ce qui vous pousse à effectuer l'acte, ou à adhérer, si vous préférez, c'est l'autre moitié du symbole, la part d'invisible et d'indicible qu'on ne fait que reconduire dans le réel, et qui se traduit par l'adhésion.
J'arrête là, parce que continuer plus loin ferait probablement sombrer dans le lourd, contraire à l'idée même d'apesanteur dont a besoin le symbole pour s'éployer, si j'ose dire...
Utilisateur anonyme
05 décembre 2009, 09:22   Re : Rituel et humanité
" la valeur est ce qui est apposé sur ce à quoi l'on prête de l'importance, de quelque nature que ce soit, en vertu même de l'acte d'apposition. "

Est-ce vrai aussi pour l'étiquette du fromage Président ?

L'autre moitié du symbole, la part d'invisible et d'indicible, étant alors Sarkozy ?
05 décembre 2009, 10:20   Re : Rituel et humanité
Merci, cher Alain, de ne pas pousser plus loin votre réponse car ce que vous dites me convient tout à fait pour le moment et me permet de comprendre un peu mieux.
Tout ça est très complexe, semble-t-il, mais n'en est pas moins passionnant: si l'acte d'apposition, par lequel on institue, d'après Alain, la valeur, a pour contrepartie indépendante le symbole auquel on adhère, il ressort que l'adhésif ne sert pas à l'apposition de la valeur faciale sur l'objet mais à capturer le symbole qui volète autour de l'étiquette du camembert comme un oiseau-mouche, que l'on peut toujours espérer capturer avec cette glue, remarquez-bien, à moins que l'on ne se contente de la mouche. Dans ce cas, l'on dira que le philosophe a attrapé la mouche, en espérant qu'elle ne l'ait pas piqué dans l'affaire, et que personne ne vienne lui demander, "... mais enfin, quelle mouche vous a piqué ?" quand, excédé comme un qui ne peut se décoller un sparadrap des doigts, il lira cela.
Utilisateur anonyme
05 décembre 2009, 14:30   Re : Rituel et humanité
Non, si les choix individuels sont eux-mêmes considérés, en tant que valeurs, comme l'expression de quelque chose qui ressortit à ce que l'on pourrait appeler une "transcendance".


En ce sens ces choix sont expressément symboliques, parce que loin de renvoyer à une animalité totalement neutre en matière de valeur, ils figurent un indicible, et constituent le degré le plus éloigné de la sauvagerie naturelle précisément.


Pardonnez-moi mais j'entendais par choix individuels quelque chose de beaucoup plus trivial que le silence de Wittgenstein, quelque chose de beaucoup plus "gueulard", de beaucoup moins retenu : la revendication des couples homosexuels à l'adoption ou au mariage, l'exigence de reconnaissance de certaines minorités ethniques ou religieuses, le désir de maternité d'une femme de soixante ans.

Sauf à n'avoir rien compris à votre remarque, je ne vois pas à quelle transcendance ces choix renvoient ni en quoi ils seraient symboliques. Ils s'apparentent plutôt à la pratique animale du marquage de territoire qu'on impose aux autres.
05 décembre 2009, 21:11   Présentabilité du Président
Cher Agrippa, dans ce cas la pâte molle aura bien de la valeur, mais non point une valeur symbolique ; je m'explique, ou plutôt laisse la parole à Gilbert Durand, dont le livre a été évoqué plus haut :

« L'on peut donc, en théorie du moins, distinguer deux sortes de signes : les signes arbitraires purement indicatifs qui renvoient à une réalité signifiée sinon présente du moins toujours présentable, et les signes allégoriques qui renvoient à une réalité difficilement présentable. Ces derniers signes sont obligés de figurer concrètement une partie de la réalité qu'ils signifient.
Et nous aboutissons enfin à l'imagination symbolique proprement dite lorsque le signifié
n'est plus du tout présentable et que le signe ne peut se référer qu'à un sens et non à une chose sensible. »
05 décembre 2009, 21:48   À qui est cette mouche ?
C'est qu'il me semble, Francis, que c'est vous qui avez pris la mouche, et l'avez gobée en plus.
Ce faisant, vous vous êtes un peu emmêlé les pinceaux dans votre démonstration : comme c'est l'adhésion qui institue le symbole, on ne peut y adhérer donc avant l'acte, parce qu'il n'existe pas encore en tant que tel.
La pataphysique, ce n'est tout de même pas n'importe quoi !
05 décembre 2009, 22:45   Re : Rituel et humanité
Ce que je ne vois pas, cher TODOMODO, c'est au nom de quelles méta-valeurs vous allez départager les valeurs qui vous semblent "valables", et les autres, les ridicules, les "gueulardes" ou triviales, si vous avez d'emblée accepté le principe selon lequel toute valeur dont vous vous réclamez est injustifiable en soi, parce qu'il n'est aucun moyen d'établir un tel critérium, comme ce semble avoir bien été le cas de Wittgenstein.
Et dans cette optique, le choix individuel d'une valeur est bien symbolique, car il n'y en a aucune dans l'animalité à laquelle vous la renvoyiez, où la forme prescriptive : "il faut que cela soit ainsi", n'existe tout simplement pas.
En ce sens, toute valeur est anti-naturelle.
Utilisateur anonyme
08 décembre 2009, 02:41   Re : Rituel et humanité
Monsieur,

Les valeurs sont selon moi ce qui me rattache à l'humanité. Elles n'ont donc rien à voir avec la nature ni avec une transcendance quelconque.

Or l'humanité ne s'exprime que par l'acceptation, le respect, le culte d'un ensemble de codes qu'on appelle civilisation, rites, valeurs. Il n'y a pas d'humanité en soi (raison pour laquelle les Droit de l'homme me semblent être une fumisterie).

L'égotisme turgescent d'une certaine jeunesse ne mérite aucun respect. Cette belle jeunesse estime qu'on doit la prendre et la respecter pour ce qu'elle est et telle qu'elle est. Mais elle n'est rien en elle-même quand son humanité ne dépasse pas celle d'une nichée de chiots se pissant dessus.

Ces rites m'ont été transmis par mes parents et par ceux avec qui je vis tous les jours, le plus souvent mes supérieurs : instituteurs, professeurs, vieillards, patrons.

Ces valeurs sont conventionnelles, différentes d'une société à l'autre, d'une époque à l'autre. Et ces codes sont édictés par la classe socialement supérieure. Pas seulement pour les classes inférieures mais pour elle-même aussi :

"Le duc de Ding demanda comment le souverain devait traiter ses ministres et comment les ministres devaient servir leur souverain. Confucius répondit : "Le souverain traite ses ministres selon les rites et les ministres servent leur souverain avec loyauté". (Entretiens III-19).

Avec loyauté et en respectant les Rites oserai-je ajouter.

Le Rite est un rempart contre l'arbitraire du pouvoir. Le mépris du Rite par le pouvoir conduit au despotisme. Le mépris du Rite par le peuple conduit à la sauvagerie et l'animalité.

Très concrètement : respecter la propriété d'autrui, soutenir ses parents dans la difficulté, saluer courtoisement les personnes avec lesquelles je suis en relation sont les valeurs dont l'affranchissement nous conduit à la sauvagerie.

Voilà très maladroitement et très trivialement ce qui, selon moi, départage les valeurs "valables" et celles qui ne le sont pas.

Pour finir une anecdote personnelle. Dans ma famille il y avait une branche qui avait assez mal tourné. Cette branche n'avait gardé que très peu de liens avec le reste de la famille qui la méprisait. Après le décès de ma grand-mère toute la famille était réunie au cimetière sauf les représentants de cette branche ce qui ne choqua personne. Au moment de sortir de cet endroit une personne s'approcha très discrètement de mon grand-père lui chuchota quelques mots et le conduisit un peu à l'écart. Je les suivis et vis alors tous les membres de cette famille ostrascisée venir lui présenter leur condoléances. Aucun ne s'était senti digne se se mêler au reste de la famille lors de l'enterrement mais tous avaient tenu à témoigner leur soutient au mari de leur cousine. Et à le lui témoigner discrètement.

De la part de gens socialement très bas, j'ai trouvé que c'était là la marque d'un certaine grandeur. Par ce respect du Rite, ces cousins éloignés retrouvaient à mes yeux leur humanité.
08 décembre 2009, 21:53   Re : Rituel et humanité
Cher Todomodo,
Je n'aurais probablement pas fait allusion à Wittgenstein si vous-même, mentionnant la réédition d'une biographie à lui consacrée je crois, n'y aviez fait référence ; c'est pourquoi je supposai que sa théorie des valeurs (pour ainsi dire, puisque celle-ci se résume à en décréter l'indicibilité) vous était familière.
En une seule phrase, l'on peut dire que pour Wittgenstein il ne peut y avoir de discours sensé sur l'éthique (et tout choix individuel reposant sur l'adhésion à ce que l'on considère comme des "valeurs morales" en fait partie), parce que toute proposition éhique ne peut que se manifester comme ce qui ne peut être inclus dans la totalité du dit. À ce titre elle est transcendante, et donc symbolique.
C'est simplement ce que j'ai voulu dire.

Concernant votre conception de la valeur, je crois que nous butons toujours contre le même écueil : vous la définissez comme ce qui vous rattache à l'humanité, tout en précisant qu' "il n'y a pas d'humanité en soi" ; ce qui veut dire assurément que quelqu'un d'autre pourra se faire une autre idée de l'humanité que vous, et donc prôner d'autres valeurs, tout en acceptant votre définition de départ.
Ainsi, votre acception de la valeur et votre départ entre celles qui seraient authentiques ou réelles et les autres (par exemple ces foutus "droits de l'homme" si fumeux selon vous) ne reposent en fin de compte sur rien d'autre que votre conviction, votre sentiment qu'il doit en être ainsi. À quoi votre opposant droitdel'hommiste pourra vous rétorquer que ses choix sont différents, sans qu'il y eût aucun moyen de vous départager.
Nous voilà donc revenus au point de départ.

Cela dit, je ne conteste en rien votre défense du rite, du cérémonial, de la forme en général, bien entendu... Il n'y a pas de contestation possible.
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