Bataille, en déduisant la société de
consumation (de son étude de la dépense sacrificielle, notamment), parvient, par anticipation (sans que lui-même, pourrait-on dire, en ait explicitement conscience), à déduire tel un futurologue qui aurait tapé dans le mille, cette équation qui se vérifie aujourd'hui même:
société de consommation = société de consumation. J'ai sursauté tout à l'heure, en voyant au journal télévisé national, un Michiel Wiekorwkia, déclarant, à propos des plusieurs centaines de voitures brûlées pour la saint-sylvestre: "ils voient consommer, et comme ils ne peuvent consommer comme les autres, ils brûlent des autos; c'est leur façon extérieure de participer à la fête"; par ces paroles, ce n'est pas seulement la bonne vieille culture de l'excuse que distille ordinairement ce sociologue officiel, c'est beaucoup plus: c'est l'équation de Bataille dont cet imbécile, sans le savoir, nous confirme la validité.
L'institutionnalisation du désir qui s'est faite non pas progressivement mais brutalement dans nos sociétés il y a quarante ans a abouti à actualiser cette équation: ce que je consomme pour satisfaire mon désir, je le détruis en tant qu'objet, je le nie (Kojève/Hegel); et l'objet de désir que je ne peux me payer, parce que non désireux de me soumettre à la médiation économique du vieux monde, je le casse, je le consume, et ce faisant, je participe à l'institution sociale, je suis conforme au paradigme nouveau, je suis par elle (ses idéologues) et en elle (ses représentations symboliques et spectaculaires),
compris. Consommation, consumation, c'est tout un: le cassage de la boutique
est la boutique nouvelle.
En un sens, les Musulmans sont plus que chanceux; ils sont bénis par la Providence: non content de découvrir dans leurs sous-sols le pétrole qui les dispense de travailler la terre ou de commercer pacifiquement et équanimement pour assurer leur viabilité économique, voilà que leur indépendance nationale et politique, et donc leur émancipation, leur ont été acquises au moment historique charnière qui vit apparaître dans les sociétés du Nord qui devaient les accueillir, le paradigme dont je viens de parler et qui leur va comme un gant, qui semble de toute éternité les avoir attendus pour qu'ils s'y engouffrent de toute leur force pour se livrer à ce à quoi les poussent leur doctrine et leur raison de vivre: détruire, consumer/consommer.
Les gens qui font des feux de joie des voitures de leur voisin en banlieue sont
des suradaptés sociaux: très rigoureusement, ils font et sont ce que la société moderne attend d'eux. Les Musulmans, en ce sens, ont parfaitement raison de rappeler qu'ils sont dans la France de 2010, tout à fait à leur place.
Lévi-Strauss, dès 1955 disait cela, ce qui pouvait paraître étonnant:
la France est mûre pour l'Islam, alors que ses collègues philosophes, la plupart d'entre eux du moins, se figuraient à tort qu'elle était mûre pour le communisme. C'est lui, Lévi-Straus, qui avait raison. Relisez l'extrait de cette conférence de Bataille, et mesurez comment l'entreprise islamique va beaucoup plus loin que le communisme: le capitalisme, elle le nie et ce faisant, elle le
mange et le détruit comme mon désir de croquer dans une pomme nie et détruit la pomme. Le matérialisme dialectique dérivé de Hegel, s'il ne conduit pas à la destruction du capitalisme par l'instauration et la pérennisation d'une société communiste, conduit en revanche, et apparemment sans détours inutile, à l'instauration d'une société islamique.