« Nous incluons ici un film d’Eric Rohmer par pure concession à la mode et aussi à titre documentaire puisque, des quelques vint mille longs métrages parmi lesquels nous avons choisis ceux qui figurent ici, « Le rayon vert » est sans doute l’un des plus mauvais, sinon le plus mauvais. A l’intérieur de la série dite « Comédie et Proverbes », peuplée comme le reste de l’univers de Rohmer de midinettes et de Marie-Chantal plus ou moins esseulées, bavardes, nombrilistes, il n’y a guère de différence entre le meilleur titre (« La femme de l’aviateur ») qui a ouvert la série et le pire (« Le rayon vert »). On remarque seulement que les séquences tournées à l’intérieur de Paris avec des acteurs masculins seraient plutôt légèrement supérieures aux séquences tournées hors de Paris avec des personnages féminins. Sur le plan de l’intrigue, « Le rayon vert », pourrait être décrit comme l’histoire d’une héroïne antonionienne effectuant à travers la France des randonnées à la Wim Wenders, et se retrouvant à chaque fois plongée dans un univers à la Michel Lang. Un cauchemar. Les « Comédies et proverbes » reflètent une riche tradition littéraire où se sont illustrés par exemple Carmontelle et Musset. Il y faut une fantaisie, une invention, une légèreté, un mordant dont Rohmer n’a pas l’idée, ou plutôt n’a
que l’idée. On a rarement vu un cinéaste mettre autant d’obstination à inscrire son œuvre dans un cadre totalement étranger à ses capacités. Dans cette tradition, le texte, le dialogue, ont beaucoup d’importance. Ceux des films de Rohmer oscillent entre deux excès également haïssables : le texte trop écrit, logorrhée rhétorique qui peut plaire à certains acteurs car ils y voient l’occasion d’un « tour de force » (cf. les tirades d’André Dussollier dans « Un beau mariage ») et le texte trop improvisé qui n’est pas un texte mais une succession fastidieuse d’hésitations, d’approximations, de redites, héritées des expériences du « cinéma-vérité » des années 60 et que rejettent même aujourd’hui les réalisateurs de télévision travaillant sur le direct. Le seul intérêt d’un film comme « Le rayon vert » est qu’il permet de mesurer jusqu’où le cinéma peut tomber dans les domaines de l’improvisation creuse, de l’autocomplaisance et de l’inexpressivité. Il y a notamment dans le film de longues fins de plan si vides, si embarrassantes pour le spectateur, qu’un cinéaste digne de ce nom, s’il les avait par malchance laissées s’enregistrer, ne les auraient jamais fait tirer ni a fortiori incluses dans un premier montage. Rohmer, lui, les présente au public avec une impavidité et une inconscience qu’il faut renoncer à qualifier. […] Filmés avec des moyens inférieurs à eux d’un cinéaste amateur moyen, fondés sur des personnages rudimentaires privés de relief, de contour, évoluant au sein d’un contexte social dérisoirement pauvre quand il n’est pas d’une criante fausseté, les films de Rohmer « existent » dans une absence de stylisation, un au-delà du bâclage qui appartiennent en propre à la Nouvelle Vague, mouvement auquel, quoi qu’on dise, Rohmer reste inébranlablement fidèle. »
Jacques Lourcelles, in « Dictionnaire du Cinéma » (1992).