Il m'a été donné de consulter de J-F Féraud le
Dictionnaire critique de la langue française, entrée
connaître (1788).
Il y a un peu plus de deux siècles, ce lexicographe et grammairien a traité la question abordée à la fin du fil "Gouguenheim au Mont Saint-Adolf" ("Saint Adolf" est conforme à la
reduction ad Hitlerum qui régit les discours contemporains). C'est la seule référence que j'aie trouvée pour le moment.
Voici le paragraphe dans lequel Féraud traite de la question du pronom personnel représentant le complément d'agent du passif introduit par "de" (de moi) et placé devant l'auxiliaire, en violation, semble-t-il, des règles de syntaxe (Féraud suit une orthographe nouvelle qu'il jugeait "moderne", et plus conforme que celle qui était alors en usage (l'usage, il est vrai, était flottant) à laquelle ont renoncé les typographes au début du XIXe siècle : j'ai adapté ce paragraphe aux normes actuelles d'orthographe et de typographie).
"V. Pour les noms,
faire connaître régit
à et
être connu gouverne
de : « Je le ferai connaître au prélat : il est connu du ministre ».
Plusieurs auteurs ont employé un régime pour l’autre : "M. du Terron le fit connaître de (à) M. de Seignelay » (Fontenelle) ; « Cette égalité si judicieuse est peu connue aux Historiens » (Père Rapin) ; « Ils verront des choses qui n'étaient connues qu’aux Dieux Immortels » (Père Bouhours) ; « On lui fait dire à ses soldats que bientôt ils verraient des choses, qui n'étaient connues qu’aux Dieux Immortels » (Linguet). C'est la même phrase que celle de Bouhours
Je crois que
des, dans ces phrases, aurait mieux valu que
aux. L’usage fait dire
inconnu à et
connu de. Cependant, avec les pronoms personnels, ce datif fait fort bien : « Cela m'est connu, ce nom ne m'est pas connu » ; « D'où savez-vous, Monsieur, que ce mot leur ait été connu du temps de Saül, et comment une idée si bizarre vous est-elle venue à l'esprit ? » (L’abbé Guénée à M. de Voltaire)".
Féraud constate des faits, il ne les explique pas. Après réflexion, il semble que cette syntaxe objectivement fautive, mais entrée dans l'usage au point que la faute ne se remarque plus, soit due au passif. Que je m'explique. Il existe des usages qui semblent aujourd'hui incongrus, au risque de disparaître : le passé simple et le passé intérieur (aux première et deuxième personnes), le subjonctif (imparfait et plus-que-parfait, mais aussi les deux autres formes), le passif. Le passif, dans certains de ses emplois, est affaibli : en particulier quand le sujet désigne une chose ou une réalité inanimée (l'affaire) et le complément d'agent une personne : moi, lui... L'ordre imposé par le passif est alors : réalité inanimée (sujet) + V + personne (complément d'agent). La hiérarchie exprimée par l'ordre syntaxique (choses / êtres humains) est perçue comme contraire au sens commun, qui exige que la priorité, à la fois syntaxique et "idéologique", soit donnée aux humains. Qu'observe-t-on dans ces cas ? Ou bien l'actif est préféré au passif : la phrase "l'affaire est jugée par moi ou par lui inacceptable", correcte sur le plan de la syntaxe, est rendue impossible par la vision que nous avons du monde, si bien que l'on dira toujours "il juge l'affaire inacceptable". Ou bien le complément d'agent n'est pas exprimé : "l'affaire est jugée scandaleuse, l'affaire est connue depuis longtemps". Ou bien le complément d'agent est pronominalisé en "m" ou "lui" et déplacé devant l'auxiliaire, ce qui est rendu possible par un idiotisme syntaxique nommé "montée du clitique" : on connait les causes de l'affaire, on en connaît les causes (le complément du nom se retrouve devant le verbe) : d'où "l'affaire m'est connue depuis longtemps".