A Répliques ce matin, AF s'est entretenu avec Jean Daniel pendant près d'une heure. JD, en sa qualité de journaliste, directeur de rédaction, éditorialiste, essayiste et même d'observateur engagé, façonne depuis plus de 50 ans une partie de l'opinion française et même celle de pays situés sur les bords de la Méditerranée : disons pour faire court, celle des miltants et intellectuels de gauche. L'homme a des qualités : il est bienveillant, cultivé, ouvert et il adopte, depuis une vingtaine d'années, la posture du Sage - donnant volontiers des leçons au monde entier.
Or, cette posture (car, c'en est une) cache beaucoup de choses : manque de lucidité, esprit critique en veilleuse, ressassement de vieilles analyses démenties par les faits, incapacité d'ajuster ses analyses ou ses croyances aux faits, fidélité à ses plus anciens engagements de jeunesse (dont l'utopie socialiste). En vain, AF a tenté d'amener JD à redresser ses convictions.
Sur trois points au moins, elles n'ont pas varié d'un iota depuis soixante ans.
1. Son attachement au nationalisme dit arabe ou à la révolution dite arabe. On sait que l'adjectif "arabe" et l'arabité ou l'arabisme sont des inventions idéologiques, dont le but est de masquer des réalités historiques massives : ni les Egyptiens, ni les Africains du Nord, ni les syriaques, ni les araméens, ni les chaldéens, ni les Libanais ne sont arabes, mais ils ont été conquis et colonisé par les Arabes. JD a parlé comme si l'adjectif "arabe" était pur de toute ambiguïté.
2. Au sujet de Nasser, il n'a pas compris ou pas voulu comprendre (sans doute, à cause de l'admiration qu'il a longtemps vouée à ce chef d'Etat) que Nasser a mis fin à la première (et quasiment la seule) tentative de constituer au Sud de la Méditerranée un régime authentiquement démocratique (1920-52), qui ne se définisse ni par l'ethnie, ni par la religion et qui soit spécifiquement égyptien (les nationalistes égyptiens avaient pour ennemis les nationalistes arabes) et lié à plusieurs millénaires d'une longue histoire, avec laquelle les nationalistes égyptiens (dont ceux du Wafd et Saad Zaghloul) voulaient renouer, etc.
3. Il n'a pas compris non plus la nature xénophobe du nationalisme arabe, qui a contribué à "purifier" presque totalement les pays dits "arabes", en en chassant les populations exogènes, en Algérie, en Lybie, en Egypte, etc. Il n'a pas compris non plus ou pas voulu comprendre que le cosi-detto nationalisme arabe (sauf chez quelques intellectuels) n'est que l'habit, neuf il y a siècle, mais désormais démodé, de l'islam et que, une fois que ce nationalisme arabe s'est épuisé, il a laissé la place au seul islam.
Qu'un homme ressasse depuis plus de 50 ans les mêmes erreurs, déformations, contrevérités, est dans la nature des choses : cela se rencontre tous les jours. Avec JD, cette normalité prend un tour à la fois hallucinant et grotesque. Ce n'est plus l'homme de la rue qui parle, mais une sorte de pythie dont les avis sont écoutés, parfois suivis, par des dirigeants politiques et contribuent à former la doxa.