Alain Besançon, dans un article publié il y a quelque temps dans Commentaire, a analysé ce qui lui semble être un "invariant politique" de la France, à savoir l'appropriation par l'Etat des biens des sujets, citoyens, groupes de citoyens que l'Etat a au préalable désignés comme des "ennemis" : cela peut se faire par la confiscation (des biens des protestants en 1685, des biens du clergé et des émigrés en 1791-97), par la nationalisation (longue litanie de nationalisations, dont ceux de Louis Renault par exemple en 1945), la spoliation, fiscale ou autre.
Je crois me souvenir qu'en 1940, après qu'il l'a eu condamné à mort, l'Etat français s'est emparé des quelques biens de De Gaulle et que la révocation de l'Edit de Nantes a été précédée et suivie d'une longue série d'exactions, dont la principale a été l'appropriation par l'Etat des biens des protestants rétifs.
De ce point de vue, ce qui s'est passé sur le plan fiscal et économique en 1981 et après 1981 s'inscrit dans la droite ligne de cette détestable "tradition" française. Un accord tacite a été passé dans les années 1960 entre les citoyens et l'Etat : liberté de pensée, liberté d'expression, liberté d'entreprendre, liberté de s'enrichir ou non, en échange d'un renforcement de l'autorité de l'Etat et l'acceptation de ses interventions dans des secteurs stratégiques de l'économie (transports aériens, énergie, nucléaire, matériel militaire, recherche). De fait, alors, grâce à ce pacte, le montant des prélèvements obligatoires n'a jamais dépassé 32 ou 33 % - soit, au maximum, un tiers des revenus des Français les plus dynamiques.
Or, cet "édit" (tacite) a été révoqué à partir de 1981 : nationalisations imbéciles dont la seule utilité a été de transformer des camarades en PDG, augmentations délirantes des charges (patronales) et de la fiscalité, pesant sur les entreprises et les citoyens les moins pauvres, abolition de la fiscalité pesant sur les plus "pauvres" ou les plus malins et les tricheurs, impôt dit de "solidarité sur la fortune, etc. Tout cela s'est traduit dans la réalité des choses, comme en 1685, par l'exil de près de deux millions de Français, qui paient leurs impôts en Belgique, Suisse, Royaume Uni, Etats-Unis, etc. et font profiter ces pays de leurs mérites et de leurs talents, par la délocalisation de leurs activités (plus de textile, plus de "cuirs et peaux", plus machines outils, plus de petite métallurgie, plus de sidérurgie, etc.), par le remplacement d'un capitalisme familial par de grands groupes financiers "hors-sol", par la croissance délirante des dettes publiques, par la multiplication des emplois de complaisance pour la "clientèle" électorale et par l'enkystement d'un chômage endémique.
Dans l'affaire qui nous occupe, ce qui fait difficulté, c'est le mot "bouclier fiscal" qui est impropre et fait pousser aux vierges folles leurs cries d'orfraie. La chose aurait dû être nommée "justice fiscale" ou "rétablissement de la justice fiscale". La justice sociale consiste à accorder à chacun ce qui lui est dû; la justice fiscale consiste pour l'Etat à ne pas faire fuir à l'étranger les Français qui créent les richesses dont tout le monde profite.