Présent du 10.5.08
La FINUL dans la nasse du Hezbollah
Vers l’irakisation du Liban ?
Beyrouth, le 9 mai 2008, 0 h 30. – Le Liban est otage du Hezbollah et de ses commanditaires, et dans la nasse, se trouvent les 15 000 soldats de la FINUL dont les presque 3 000 Français. Beyrouth et le Liban sont à feu et à sang. La course folle vers l’abîme est telle que l’on trouve presque ridicule de se poser la question : pourquoi ? Comment cela a-t-il commencé ? Pourquoi ? Quand et comment ? Nous sommes presque installés dans l’évidence du pire scénario que nous puissions anticiper : la bagdadisation de Beyrouth, l’irakisation du Liban.
Combien de morts ? Combien de blessés ? Je ne sais plus. Les chiffres évoluent très vite. Nous en ferons un premier bilan en début de semaine prochaine. Le dire exprime nos craintes : la crise est inscrite dans la durée.
La CGT locale – CGTL – appelle à une grève générale et à une manifestation qu’elle voulait à la hauteur de l’enjeu : la cherté de la vie, la hausse des salaires et du pouvoir d’achat.
Simultanément éclate d’une part, le scandale du système de surveillance des pistes de l’aéroport international de Beyrouth avec la complicité passive – ou par omission – du commandant de la sécurité de l’aéroport un chiite réputé proche du Hezbollah, et de l’autre celui du réseau de télécommunications mis en place par le parti – 100 000 lignes téléphoniques. Le gouvernement Siniora pose alors – et avec courage – deux actes de gouvernement : le limogeage du général Shoucair et l’ordre de démanteler le réseau sous peine de poursuite contre quiconque en ferait usage.
Immédiatement, le Hezbollah, qui s’était abstenu jusque-là, appelle à « participer » à la grève du 7 mai.
Journée ubuesque que ce mercredi-là. Une poignée de travailleurs – pauvres idiots utiles – se retrouvent au point de départ d’une manifestation vite annulée et des milliers de Hezbollah occupent les rues de Beyrouth et bloquent la route de l’aéroport.
Bloquer la route de l’aéroport veut matériellement dire commencer par y brûler des pneus, le temps nécessaire à une noria de camions-bennes pour décharger des tonnes de terre et de roches pour faire des murs de remblai.
Le déploiement des hommes du Hezbollah se fait – comme prévu – le long de cette nouvelle ligne de démarcation qui passe entre les quartiers chiites et sunnites. Les heurts se font alors de plus en plus violents. Très vite c’est tout le Liban qui révèle ce mal qui le ronge depuis de très longs mois : l’irakisation.
Quand je pense qu’il fut un temps où – dans notre jargon de journalistes – nous parlions de libanisation de l’Irak…
Le Liban des zones mixtes, et d’abord la Békaa, sombre dans le même scénario qu’à Beyrouth. Des barrages – similaires à celui de l’aéroport – coupent les routes qui mènent à la Békaa, isolant, selon les cas, le village chiite de son environnement sunnite ou l’inverse. Jeudi, les Sunnites de la Békaa décident de fermer la route de Damas au niveau du poste frontière de Masnaa et promettent de l’ouvrir dès que le Hezbollah dégagera celle de l’aéroport.
Et l’armée pendant ce temps ? Tant que les bagarres étaient des bagarres à coup de bâtons ou de pierres, les forces de l’ordre arrivaient avec un certain succès à régler la chose. Aujourd’hui c’est différent. Il y a des armes, des tirs, des rpg et des roquettes. Et il y a des morts et des blessés. Et il y a surtout la volonté d’en découdre. Alors les soldats se mettent à l’abri une fois qu’ils ont usé toutes leurs grenades lacrymogènes.
Discours croisés ce jeudi soir entre Hassan Nasrallah et Saad Hariri :
« Ceux qui tentent de nous arrêter, nous les arrêterons. Ceux qui nous tirent dessus, nous leur tirerons dessus. La main levée contre nous, nous la trancherons », a martelé Hassan Nasrallah qui a qualifié de « déclaration de guerre » les décisions du gouvernement. « Nous tendons deux mains, a-t-il ajouté. L’une pour faire la paix si, et seulement si, le gouvernement retire ses décisions et l’autre, non pour faire la guerre, mais pour nous défendre contre cette agression contre l’armement sacré de la Résistance. »
Le chef de la majorité, Saad Hariri, lui a alors répondu que le gouvernement s’en remettait à l’armée pour l’exécution de ses décisions et qu’un dialogue pourrait être mené par le président de la République dès son élection.
Le Hezbollah a immédiatement rejeté la proposition en rappelant les propos de Nasrallah : pour l’aéroport et les routes bloquées nous déciderons au jour le jour selon « l’esprit de coopération » de la majorité.
Le temps de vous envoyer ces quelques lignes, la situation aura évolué – sauf miracle – vers quelque chose de pire. Il restera d’abord que le gouvernement s’est levé face à l’Etat-Hezbollah pour éviter la faillite et la mort définitive des institutions libanaises et de l’Etat libanais. Qu’il a pris des risques énormes qui se sont malheureusement concrétisés sur le terrain. Le Liban, longtemps épargné, est désormais entré de plain-pied dans le bras de fer sunnite-chiite qui déchire le Proche-Orient.
Au-delà de ce conflit, il y a l’avenir de l’Etat libanais et il y a l’avenir des Chrétiens du Liban. En Irak la guerre sans merci que se mènent Chiites et Sunnites a d’abord conduit à la fuite des Chrétiens et à la mort pour ceux qui avaient choisi de rester chez eux, sur leur terre.
Au Liban chaque village, chaque quartier, sunnite ou chiite, a ses Chrétiens. Il est vrai que la géographie politique libanaise trouve des Chrétiens – les aounistes – avec le Hezbollah et des Chrétiens – les Kataëb et les Forces libanaises – au sein de la majorité emmenée par le Sunnite Saad Hariri.
Combien de temps cela tiendra-t-il ? Nous avons constaté, dans plus d’un quartier de Beyrouth-ouest, l’évacuation de force de plusieurs familles comme un avant-goût de tri et de transfert de population.
Le Liban chrétien d’Achrafieh, du Metn, du Kesrouan et de la montagne comme d’ailleurs Zahlé est calme. Mais encerclé par des quartiers et des villages qui se font la guerre. Cela est particulièrement vrai et pénible à vivre pour Zahlé et Achrafieh.
Un gros orage vient de passer. Les roulements du tonnerre se sont mêlés aux tirs et ont éteint les incendies et les pneus qui brûlaient encore. Demain sera un autre jour. Nous allons penser à nos provisions, au plein d’essence que nous n’avons pu faire aujourd’hui. Anticiper l’achat de nos médicaments et des produits de première nécessité. Dans quelques jours le pays sera à court de plusieurs produits. Le port, l’aéroport et la frontière syrienne sont les points de passage obligés de tout notre ravitaillement. Comme de celui de la FINUL…
MAROUN CHARBEL