«
Question: quel votre souhait le plus cher ? La fin de la Belgique et la création d'un état flamand libre.
Et ne me dites pas qu'il s'agit d'une politicien d'extréme-droite la majorité des flamands pense comme lui. »
Cher Rogemi, en réponse, puis-je vous faire lire cet article écrit par un Français vivant en Belgique et réagissant à la chronique de Zemmour sur RTL, ainsi qu’à son chapitre consacré à la Belgique dans « Mélancolie française » ?
« Eric Zemmour possède un indéniable talent pour la synthèse. En trois minutes de chronique radio (sur RTL : nos éditions du 6 avril), il a réussi à synthétiser l’ensemble des poncifs et préjugés que beaucoup de mes compatriotes ont sur le conflit communautaire belge. Il semble utile d’analyser ses erreurs et ses outrances tant elles sont révélatrices des difficultés qu’ont certains Français à appréhender la Belgique .
Passons sur les chemins de fer belges qui, selon M. Zemmour, seraient régionalisés. Cette erreur relève de la simple ignorance. Passons aussi sur l’idée que « la Belgique est une création de l’Angleterre ». Historiquement faux mais révélatrice d’un courant souverainiste français qui voit la main de la perfide Albion dans tous ses malheurs. Attardons-nous plutôt sur le fait qu’Eric Zemmour déclare que « l’Etat unitaire belge est devenu largement une fiction ». Le fait est que l’Etat unitaire belge a cessé d’exister il y a 30 ans pour laisser place à l’Etat fédéral. Le polémiste est ici représentatif de la plupart de ses concitoyens, pour qui un Etat ne peut qu’être unitaire. La République française est une et indivisible et, ajoutera-t-on, unilingue et uniculturelle. Formé dans ce moule intellectuel et cette conception de l’Etat-nation, inculquée de l’école primaire jusqu’à l’université, le cas belge ne peut que dérouter. Lorsque l’on tente d’expliquer aux Français les régions, les communautés, la frontière linguistique, le multilinguisme, les médias différents à l’intérieur d’un même pays, la Belgique leur apparaît instinctivement comme une aberration. Mais une aberration au sens philosophique du terme, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne devrait pas exister, un accident de l’histoire. Comment comprendre alors
que cet « accident » dure depuis maintenant presque deux siècles, ce qui fait de la Belgique l’un des plus vieux Etats européens ? (1)
Pour comprendre cela, il faut admettre que, en Belgique, l’identité est bien souvent multiple et à plusieurs étages. Il y a l’identité belge, les identités flamandes, wallonnes et bruxelloises et, enfin (et peut-être surtout) une identité plus locale encore (liégeoise « principautaire », carolo, anversoise, gantoise, ardennaise, gaumaise, etc.). Sans oublier l’identité européenne. Ceci éventuellement admis, le plus difficile à comprendre pour un ressortissant français, c’est que ces identités ne sont pas forcément concurrentes mais le plus souvent complémentaires. Et c’est le cas même pour les deux identités qui sont le plus souvent opposées, à savoir les identités belge et flamande.
Depuis 1995, une étude demande à intervalle régulier aux Flamands si leur identité était Belge, Flamande, ou un mélange des deux. Les résultats du dernier sondage sont sans appel : si 11 % des sondés se considèrent comme uniquement Belge et 7,5 % comme uniquement flamand, l’écrasante majorité s’approprie les deux identités à des degrés divers (2). Que nous dit cette majorité ? Tout simplement que, loin d’être opposées, ces deux identités sont indissociables l’une de l’autre. En d’autres termes, que la culture belge fait partie de la culture flamande comme la culture flamande fait partie de la culture belge.
Chose difficilement concevable pour un esprit français formé dans le culte de l’Etat-nation. Car si cultures régionales et nationales peuvent coexister, à quoi bon avoir quasiment éradiqué les cultures et les langues régionales en France ? Non, décidément cet Etat artificiel ne peut qu’exploser en deux Etats unilingues. De bons Etats-nations simples, unis et indivisibles comme on nous l’a appris depuis l’école.
Mais cette vision d’un éclatement inéluctable de la Belgique ne vient pas seulement de cette conception française de l’Etat Nation. Eric Zemmour puise en effet dans les informations dont il dispose à Paris pour estimer que les Belges ne veulent plus vivre ensemble. On pouvait ainsi lire tout récemment dans Le Monde que « Plus de 40 % des Flamands sont désormais acquis à l’idée de l’indépendance de leur région » (3). De même, M. Zemmour explique dans son ouvrage que, selon un récent sondage, 49 % des Wallons sont prêts à rejoindre la France. (4)
Interpellant, certes.
Mais ce qui l’est encore plus, c’est que ces deux données sont fausses. En effet, si 49 % de Wallons déclarent vouloir se rattacher à la France, c’est seulement en cas d’éclatement de la Belgique. La question évacuait donc la possibilité de rester belge, option qui aurait certainement eu les faveurs d’une majorité de Wallons si elle avait été proposée, comme c’est régulièrement le cas dans toutes les enquêtes et sondages.
De même l’article du Monde fait référence au dernier baromètre trimestriel de La Libre Belgique plaçant les partis indépendantistes aux alentours de 40 % en Flandre. Un raccourci facile est ainsi fait entre ce que prône un parti sur un point particulier et ce que veulent ses électeurs.
Or toutes les études et sondages montrent que la proportion de Flamands indépendantistes ne dépasse pas les 15 % et que la majorité des électeurs du Vlaams Belang ou de la N-VA ne sont pas indépendantistes (5). Ils choisissent ces partis pour d’autres aspects de leur message (sécurité, immigration, fermeté communautaire…), pour une personnalité charismatique (Bart De Wever en est le meilleur exemple), ou, simplement, pour signifier leur mécontentement.
Ainsi les « données » et les commentaires assurant l’inéluctabilité de la fin de la Belgique s’autoalimentent et se renforcent à l’infini dans une mentalité française rétive à admettre que d’autres modèles que son Etat-nation sont possibles. Ces analyses biaisées reviennent parfois au public belge francophone, à tel point que certains finiraient par adopter cette vision qui, si elle a d’autres origines, n’est pas très éloignée de celle des nationalistes flamands.
Erreurs donc de M. Zemmour mais aussi outrance, lorsqu’il qualifie la Belgique de « RDA de la France ». Si les erreurs nous renseignent sur la difficulté d’une certaine France à comprendre la Belgique, cette assimilation à la RDA donne aux Belges une idée de la condescendance toute franco-centrée avec laquelle ils pourraient être traités en cas de rattachement. Rien que pour cela, que M. Zemmour soit remercié pour son franc-parler. »
(1) Parmi les 27 pays membres de l’Union européenne, seuls huit lui sont antérieurs.
(2) Lieven de Winter, La recherche sur les identités ethno-territoriales en Belgique , Revue internationale de politique comparée , nº 4, 2007, p. 581.
(3) Jean-Pierre Stroobants, « En Belgique, les partis flamands qui prônent l’indépendance de leur région progressent dans l’opinion », Le Monde du 4 avril 2010.
(4) Eric Zemmour, Mélancolie Française , Fayard, 2010, p. 205.
(5) Si l’on ne devait retenir qu’une seule étude : Marc Swyngedouw et Nathalie Rink, Hoe Vlaams-Belgischgezind zijn de Vlamingen ? Een analyse op basis van het postelectorale verkiezingsonderzoek 2007 , Centrum voor Sociologisch Onderzoek (CeSO), KUL, 2008. P.6
(C’est moi qui mets en gras)
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