Citation
Henri Bès
Ce qui est curieux, ajouterais-je, c'est que ces mêmes populations venues de pays à tradition autoritaire adoptent dans le mode de vie occidental ce qu'il a de plus occidental, à savoir le droit individuel de vivre plus ou moins à sa guise, de décider seul de son espace privé. Autrement dit, elles choisissent librement ce qui nous semble une servitude communautaire, au nom du principe même qui rend ce genre de servitude impossible. La communauté musulmane, en terre occidentale, est donc le résultat d'un choix des individus, choix réversible car la société globale reste ouverte et n'empêche personne de se dévoiler ou de n'aller plus à la mosquée.
Je crois que vous portez là-dessus un regard typiquement occidental. Il faut comprendre la mentalité de la culture islamique pour expliquer ce que vous remarquez comme étant un paradoxe.
Ce que je remarque, c'est que l'islam est une religion au fonctionnement différent des autres religions : c'est avant tout une idéologie politico-religieuse totalisante, mais c'est aussi et surtout une religion de la loi. Ce qui fait que l'islam (et je parle là de l'islam originel, radical, et non de l'islam philosophique et humaniste présenté par certains intellectuels musulmans) va davantage faire appel à tout ce qui relève de la loi plutôt qu'à ce qui a trait à la foi pure. L'islamisation d'une société se fait alors selon deux mouvements qui s'autoalimentent en faisant boule de neige : d'une part la montée de la religiosité chez les individus fait qu'ils influencent leur environnement (séparation des sexes, femmes qui se voilent, nourriture hallal qui se généralise, etc.), et d'autre part l'environnement islamisé va faire pression sur les individus pour faire monter en eux la religiosité. C'est à mon avis une erreur de parler de choix individuels car la notion d'individualité est typiquement occidentale et n'existe pas dans l'islam : l'individu doit avant tout se plier aux codes du groupe, de la communauté. C'est pour ça que dans les quartiers islamisés, il y a une forte pression pour que chacun ne mange pas de porc, que les filles se voilent, etc.
Là où l'Occidental voit le choix de vivre à sa guise comme étant un droit individuel, l'islam ne le tolère pas en tant que de droit, simplement il se trouve que cette caractéristique occidentale de laisser les gens faire ce qu'ils veulent constitue une formidable aubaine pour quiconque veut mettre en place une contre-société islamisée.
C'est pour ça que quand vous dites "elles choisissent librement ce qui nous semble une servitude communautaire", vous n'avez qu'à moitié raison, car c'est avant tout les codes de la communauté qui prévalent de manière inconsciente, ce qui fait que les individus n'ont en fait pas vraiment de libre choix individuel. Le fait de vivre en occident selon la coutume islamique résulte d’une adhésion aux codes culturels de la communauté musulmane qui tendent à s’imposer d’eux-mêmes et non d’un acquiescement aux lois occidentales de vivre comme on l’entend.
Vous dites que "La communauté musulmane "en exil" est donc en danger perpétuel de se dissoudre, puisqu'elle est le produit de particules élémentaires qui s'agrègent sans jamais perdre le droit de revenir à leur indépendance." Là encore, le droit de revenir à l'indépendance que vous évoquez est un droit purement théorique, occidental. Dans la pratique, l'islam exerce des pressions considérables sur les individus pour justement les empêcher de s'émanciper. Quand au danger qu’a la communauté de se dissoudre, il est présent non seulement chez les musulmans « en exil » mais aussi en terre d’islam : voilà pourquoi dans tous les pays musulmans il est interdit de critiquer la religion, il est très difficile d’en changer ; car si l’islam laissait les individus exercer leur libre arbitre et leur esprit critique, ceux –ci se rendraient compte de la véritable nature de leur religion et finiraient par l’abandonner. Je pense que le mode de fonctionnement inconscient de l’idéologie islamique est, par certains aspects, comparable à celui d’une secte, dans laquelle les individus doivent sans cesse être en groupe, étudier et éviter les contacts avec les étrangers pour justement éviter les influences extérieures qui leur permettrait de prendre conscience par eux-mêmes de la nocivité de l’idéologie dont ils sont victimes. C’est un peu ce que disait Lévi-Strauss dans
Tristes Tropiques quand il faisait remarquer que «
le seul moyen pour eux [les musulmans] de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une “néantisation” d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d’une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s’avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants. »
Quand vous dites que « la loi n’est pas encore du côté des pères », là encore, vous parlez de la loi occidentale et non des lois du groupe, mais n’oubliez pas que celles-ci ont tendance à s’imposer sur les premières : regardez ce qui se passe dans certaines banlieues islamisées, regardez comment en Angleterre certains groupes radicaux veulent imposer la charia de façon légale et vous verrez que, dans ce cas, les lois tendent à être le produit de ce que ce sont les individus bien plus que ce ne sont les individus qui sont influencés par les lois.
Quant au fait que les jeunes filles soient plus enclines à vivre à l’occidentale que les garçons, cela provient tout simplement du fait que la culture musulmane est incroyablement plus défavorable pour les femmes que pour les hommes ; il est donc normal que les premiers à se révolter contre un système, quel qu’il soit, en sont ceux qui en sont les premières victimes.