Un article intéressant du journal Le Monde sur les agrégés qui traduit une certaine réalité.
Il y a trente ans, l'agrégation vous donnait dans un lycée un statut privilègié.
Aujourd'hui, avec la montée de l'égalitarisme dans notre société, être agrégé ne donne plus aucun avantage.
Je me suis même retrouvé une fois, en position d'accusé, à cause de la différence de salaire : " Salaud de capitaliste "...
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Les agrégés n'ont plus le moral
Beaucoup de professeurs agrégés estiment ne pas être reconnus et trouvent qu'il existe un écart entre leur formation très pointue et ce qu'il leur est souvent demandé sur le terrain.
L'enquête sur le moral des professeurs du second degré, intitulée " Y a-t-il un malaise enseignant ? " dresse un tableau peu reluisant du moral des agrégés, autrefois aristocratie enseignante du secondaire, et qui se trouvent mis à bas de leur piédestal. Réalisée par la Société des agrégés (8 000 adhérents sur environ 45 000 agrégés en France) qui l'a mise en ligne, vendredi 21 mai, sur son site, elle repose sur les témoignages de plus de 400 de ses adhérents qui ont répondu à son questionnaire. Mais beaucoup de questionnaires retournés étaient inutilisables, car incomplets par crainte de représailles. Ce qui en dit long sur le moral des agrégés.
Première raison du "malaise" : le manque de reconnaissance dans l'exercice de leur métier, ressenti par 81,2 % des sondés qui se trouvent niés dans leur posture d'intellectuels. Les agrégés seraient une caste de "fainéants" (quinze heures de cours par semaine contre dix-huit heures pour un professeur non agrégé) attachée à ses privilèges. "Faux !", répond la Société des agrégés, qui dénonce ces " poncifs " en montrant que ses adhérents sont aussi touchés par la crise qui traverse l'enseignement.
Deuxième raison : l'écart entre une formation très pointue et ce qu'il leur est souvent demandé sur le terrain. Un écart qui s'apparente à un véritable double gâchis, d'abord de temps et de coût investis lors de leurs études, puis de connaissances et de compétences non employées.
Etudiants de haut niveau, ils se sont astreints à passer un concours très difficile à décrocher et permettant, à priori (décret 72-580 du 4 juillet 1972, modifié par le décret 2007-1295 du 31 août 2007), d'enseigner en cycle terminal de lycée, classes préparatoires et enseignement supérieur. Après l'agrégation, certains ont encore passé un DEA ou un doctorat. On comprend alors leur déconvenue lorsqu'ils se retrouvent en collège… qui plus est comme enseignants " titulaires affectés sur zone de remplacement " (TZR), obligés de courir d'un établissement à l'autre plusieurs fois par semaine, au gré des remplacements.
Ce fut le cas de Marie (tous les prénoms ont été modifiés), agrégée de lettres modernes, qui a été " TZR dans 24 établissements différents entre 1999 et 2008 ; dans des collèges, en remplacement de profs qui avaient craqué nerveusement ", témoigne-t-elle.
La Société des agrégés estime qu'en fait, la grande majorité des agrégés sont affectés en collège en premier poste et que, loin d'être une minorité, 22,2 % y enseignent, alors qu'il ne seraient que 2 121 en classes préparatoires. " Ce qui nous a motivés à réaliser cette enquête, explique Jean-Michel Léost, président de la Société des agrégés, ce sont les appels de plus en plus nombreux que nous recevons depuis deux ans de la part d'adhérents qui disent envisager de démissionner. "
DÉTACHEMENT OU MISE EN DISPONIBILITÉ
Selon l'enquête, 45,6 % des personnes interrogées ont été tentées de démissionner et 73,6 % envisagent une reconversion. Les raisons qui pourraient conduire à démissionner sont, à parts égales, le manque de reconnaissance et le stress (70,7 %), suivis de l'insatisfaction intellectuelle. "Agrégée de lettres et ancienne de l'ENS-Ulm, à Paris, j'ai été affectée en 2009 dans un collège ambition réussite et dans un établissement spécialisé avec des handicapés qui avaient un niveau intellectuel de CE1. Je n'étais pas formée à cela. C'est comme si j'avais fait des études pour diriger un département d'une grosse société et qu'on me demande d'être videur. Si c'était pour enseigner ce qu'est un nom ou un article, j'ai perdu beaucoup de temps", se désole Laure.
Aujourd'hui, elle se demande pourquoi elle a étudié la littérature médiévale. Selon l'enquête, le goût pour la matière est en effet la raison première (97,6 %) pour laquelle les enseignants interrogés se sont lancés dans une agreg.
"Beaucoup sentent qu'on leur reproche d'être des intellectuels, alors que c'est le cœur de leur métier", analyse Jean-Michel Léost. Chez l'agrégé, l'argent n'est pas le sujet principal du désenchantement : seulement 29,3 % des personnes interrogées placent les raisons financières au premier rang de leur déception pour leur métier.
Pourtant, certains agrégés gagnent moins qu'un simple certifié. Un agrégé en cours de thèse de doctorat, gagnera 1 693 euros net à plein temps (192 heures/an) quand il est "attaché temporaire d'enseignement et de recherche" (ATER) à l'université, et environ 1 500 euros net (bourse de recherche comprise) s'il effectue son monitorat à l'université à hauteur de 64 heures/an. En lycée, un agrégé titulaire débutera à 1 838 euros net par mois. Rien d'excessif par rapport au nombre d'années d'études.
Beaucoup d'agrégés qui s'estiment déclassés ont recours au détachement ou à la mise en disponibilité. "Agrégée d'espagnol dans un lycée qui pourrait être en ZEP (zone d'éducation prioritaire), j'ai demandé une année de disponibilité. J'en profite pour essayer de devenir traductrice", témoigne Gaëlle.
Mais, finalement, quoi qu'ils en disent, très peu osent démissionner. "C'est difficile de se reconvertir. Et puis ce serait reconnaître un échec et valider ce qu'on me reproche", explique Judith, en butte avec la hiérarchie de son lycée où on lui " reproche à la fois d'être trop compétente et incompétente".
D'avoir trop de compétences pour enseigner des connaissances basiques. Au vu de cette enquête, on ne peut s'empêcher de se demander s'il vaut encore la peine de passer l'agrégation. "Oui, si les textes sont appliqués et que les agrégés enseignent en fin de cycle de lycée, en prépas et dans le supérieur", estime Blanche Lochmann, membre du bureau de la Société des agrégés et auteure de l'enquête.
Marc Dupuis