Je pense également que les fêtes de villages et autres manifestations sociales d'antan (on pourrait presque dire « de l'ancien monde », mais cela sonnerait peut-être comme étant trop pessimiste...) ont été peu à peu détruites par la modernité triomphante : télévision, internet, urbanité, règne du « tout, tout de suite », valorisation de l'individu, etc. Et puis, c'est bien connu, le progressisme et le modernisme ont horreur de la tradition, surtout si elle est un tant soit peu enracinée dans un terroir. Tout cela a sans doute contribué à « ringardiser » les fêtes populaires. Or le problème est que l'humain a par nature besoin de lien social et de vie en communauté, et la disparition des anciens événements sociaux ainsi que la déshumanisation de bien des comportements ont sans doute provoqué une sorte de manque inconscient, d'où l'idée de reconstruire ces liens perdus par l'intermédiaire de fêtes telles que les apéros géants et autres. Mais le malaise qui à mon avis en résulte, c'est justement que ces nouveaux événements festifs sont totalement artificiels, coupés de toute racine. Alors que la fête de village d'autrefois faisait se rencontrer des gens qui se connaissaient et partageaient déjà un espace commun (le village, la petite communauté), les apéros-géants ne forment qu'un agrégat d'individus qui ne se connaissent pas vraiment et n'ont rien en commun, si ce n'est d'avoir pris connaissance de l'événement par un réseau social sur le net, c'est-à-dire ce qui symbolise justement le contact totalement artificiel de gens très séparés géographiquement.
Plus généralement, on peut voir à travers cela le malaise de notre société moderne, qui participe à mon sens du même mouvement : d'un côté, on détruit au nom du progressisme tout de qui permettait de structurer la société (ordre, hiérarchie, goût de l'effort, institutions, valeurs, culture...) alors qu'en même temps, l'inconscient collectif tente de pallier ce manque en essayant de reconstruire tant bien que mal ce que ce progressisme a aboli. Mais le manque de profondeur et d'enracinement de ces nouvelles pratiques ne peuvent qu’être générateur d’insatisfaction, d'autant plus que, comme cela a très bien été dit plus haut, elles aident les individus à se voiler la face devant un réel devenu trop médiocre.
On pourra également constater la différence entre les fêtes de village à l'ancienne, qui étaient basées sur des événements locaux ou des dates faisant référence à la culture nationale (bal du 14 juillet), et les fêtes bobos actuelles, qui se fondent sur des concepts abstraits bien-pensants (on parle de fête « citoyenne », « métissée », de brunch « équitable », etc.)
Pour répondre à jfbrunet sur la différence entre ce qui se passe en France et aux USA, on pourrait avancer l'hypothèse de différence entre le modèle français et le modèle anglo-saxon : ce dernier ayant par nature tendance à laisser les individus et organisations s'organiser comme ils l'entendent (contrairement au modèle français, plus directif et fédérateur), cela engendre un individualisme forcené mais également, sans doute afin de contrebalancer celui-ci, une forte propension à regrouper les individus selon les centres d'intérêts. On trouve ainsi beaucoup aux Etats-Unis, par exemple, de « conventions » réunissant des fans d'une série télévisée ou de bandes dessinées, mais aussi des groupes tels que les alcooliques anonymes ou les réunions « Tupperware ». Les américains ont souvent tendance à se regrouper de façon conviviale et à inviter des gens chez eux même si ce ne sont pas forcément des amis proches. Il y a donc davantage de lien social là-bas que chez nous, mais le revers de la médaille est que ces relations sociales sont bien souvent plus artificielles qu’ici.