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La philosophie dans le causoir

Envoyé par Henri Rebeyrol 
Samedi, entre midi et une heure, le journaliste très très très très bien pensant et au catéchisme de béton armé, P-L Basse, a animé, au cours de "son" émission (dont j'ai oublié le titre), un "débat" entre Alain Finkielkraut et Alain Badiou, débat qui n'en a jamais été un et qui s'est résumé à une simple profession de convictions opposées : mes convictions contre les tiennes.

Dans un média comme un Europe 1 et avec un animateur comme Basse, il ne fallait pas s'attendre à autre chose. Mais qu'est-ce qu'AF est allé faire dans cette galère ?

Vers midi et demi, Basse a fait s'exprimer ses deux invités sur le slogan (car pour lui, ce n'est qu'un slogan de com) "Marx est mort", et les deux invités ont embrayé, chacun son tour, en contestant cette mort de Marx, de façon irréfléchie, sans avoir pris soin d'exposer à peu près fidèlement la pensée de celui qui, le premier ou parmi les premiers, à savoir J-M Benoist, a développé cette thèse dans un livre homonyme. La thèse, pourtant, est connue. Le marxisme est "mort" et ce sont les marxistes qui l'ont tué, JM B ne faisant que constater la disparition du marxisme, comme croyance, comme explication du monde, comme fondement d'Etats et de politiques, dans les pays de l'Est. En un mot, personne n'y croyait plus, et tout le monde avait renoncé au marxisme. Seules subsistaient quelques enclaves dans les universités d'Occident ou dans les médias où l'on tenait encore la pensée de Marx pour vivante, bien qu'elle ait été invalidée, selon J-M B (c'est sans doute l'aspect contestable de sa thèse) par le structuralisme.

Badiou s'est lancé dans une longue harangue en deux points :
a) aucune pensée ne meurt, ni Platon, ni Aristote ne sont morts, leur pensée est toujours féconde (sans jamais dire en quoi elle l'est), oubliant que ni Platon, ni Aristote n'ont voulu changer la société de leur temps, leur pays ou les réalités du monde, n'ont créé de parti politique, n'ont annoncé l'instauration proche d'une société parfaite, sinon de façon purement conceptuelle (cf. La République);
b) Marx est (ou serait) plus vivant que jamais, ce qu'il a affirmé mordicus, sans ironie, ni distance; et, pour preuve de ce Marx ressuscité, il a asséné la vérité suivante (sans qu'AF éclate de rire) : "nous sommes aujourd'hui en 1848", oubliant qu'une des pensées les plus justes de Marx, énoncée à ce moment-là et imprimée dans La Lutte des classes en France, 1848-49, porte justement sur la répétition impossible des situations historiques, sinon dans un registre bouffon.
C'est justement le registre favori des philosophes quand ils "causent dans le poste" et qu'ils se croient obligés de confirmer Marx, non seulement sur l'histoire qui ne se répète pas, mais aussi sur la misère de la philosophie.
Il s'agissait probablement d'assurer la promotion du livre d'entretien qui viennent de faire paraître Badiou et Finkielkraut aux éditions Lignes. L'ouvrage reprend en une version augmentée, le débat animé par Aude Lancelin, publié par Le Nouvel Observateur il y a quelques mois déjà.
Je suis un peu surpris qu'Alain Finkielkraut ait accepté de débattre avec Alain Badiou dans les locaux du Nouvel Observateur.
En effet à deux reprises le Nouvel Observateur a publié un dossier spécial consacré à notre philosophe préféré afin de le discréditer, avec en prime une photo de lui en couverture, où il n'était pas à son avantage.
Qui plus est, lors de cet entretien, Alain Badiou a accusé Alain Finkielkraut de favoriser par ses déclarations, un futur génocide à l'encontre des musulmans de France... Il n'a pas honte.
Alain Badiou est un extrémiste de gauche et un redoutable dialecticien qui plaide pour le retour du communisme.
Il mérite le Grand Prix de la Nocence !
Je suis même un peu déçu qu'un homme aussi intègre qu'AF accepte de publier un ouvrage commun avec un tel individu.
J'ai trouvé particulièrement déplaisant ce Monsieur Basse avec ses annonces emphatiques, publicitaires, ridicules et interminables pour aboutir, ainsi que vous le dites très bien, cher JGL, à la juxtaposition lourdingue de deux discours attendus.
Cher Geronimo, ce que vous ne comprenez pas, c'est qu'Alain Finkielkraut a le goût des combats perdus d'avance ; il ne demande rien mieux que de courir au front donner de philosophiques torgnoles aux abrutis d'en face. Cet homme (à qui je dois beaucoup intellectuellement) ne peut pas avoir peur de la boue où patauge un Badiou ni des éclaboussures que ce nain lui envoie... S'il était chrétien, sa patronne serait sainte Rita, la patronne des causes perdues !
Je n'ai pas entendu cette dernière passe d'armes entre nos deux philosophes mais j'avais lu leur débat dans le Nouvel Observateur. Il est évident qu'on ne peut imaginer deux personnages aux idées plus antagonistes : toute la pensée de Badiou s'articule - je schématise - dans l'optique du "dominant / dominé", dans laquelle le "dominant" (que ce soit l'Etat, les puissants, le groupe majoritaire, etc.) a toujours tort et le dominé (immigré, musulman, membre d'une minorité ou autre...) toujours raison. Or c'est la dénonciation de ce mode de pensée qui est précisément la base de la réflexion de Finkielkraut depuis quelque temps (ce qui lui a, d'ailleurs, valu l'étiquette de "nouveau réac"). De plus, Finkielkraut fait l'éloge de l'héritage, de la transmission, de l'attachement à une culture tandis que Badiou, en bon communiste, ne jure que par l'idéal révolutionnaire, la table rase et le citoyen du monde. Ajoutez à cela le fait que ni l'un ni l'autre ne semblent particulièrement enclin a accepter la contradiction (Badiou par idéologie, Finkie par tempérament) et vous obtenez forcément un cocktail explosif...
Badiou est l'héritier parfait, mais l'héritier qui ne veut rien transmettre, l'héritier indigne qui veut tout emporter dans sa tombe. Bon élève, profitant de la domination insupportable qu'est l'école sélective qui l'a fait roi, Badiou crache dans la bonne soupe élitiste et ne jure que par la soupe populaire ( traduction: pas blanche, mais du grand sud, "mes amis les sans papiers") . Mais il ne va quand même pas la déguster au delà de la montagne sainte Geneviève. A-t-il déja franchi le périph?j
Aujourd'hui s'est créée une situation totalement inédite qui devrait " interpeler " comme on dit, quelqu'un d'aussi à gauche que Badiou : l'immigration a créé une nouvelle classe de dominés et de dominants : en Europe et en France, particulièrement, les pauvres ( ou supposés tels ) issus de l'immigration sont devenus les dominants des pauvres du pays d'accueil ; situation qui semble totalement échapper au grand bourgeois qu'est Alain Badiou.
Je ne suis pas d'accord avec vous : Badiou ne crache pas dans la soupe élitiste. Bien au contraire. Son rêve est de transformer tous les hommes en Platon. Il s'en explique dans le livre qu'il signe avec Finkielkraut. C'est d'ailleurs un classique de la pensée du jeune Marx de L'Idéologie allemande : dans la société future, débarrassée de la division du travail, et notamment de la division entre travail intellectuel et travail manuel, une hulmanité nouvelle surgira, après des siècles de transition tout de même, et tout homme sera au niveau d'un Platon (Badiou) ou Aristote (Trosky). Nous sommes donc dans un hyper-élitisme. D'ailleurs l'intérêt du livre d'entretien est qu'il révèle, sur certaines questions, un Badiou étrangement proche de Finkielkraut : les islamistes sont des fascistes ; les jeunes de banlieue sont des abrutis avides de consommer ; l'école est dévastée ; la France se meurt. La grande différence entre Badiou et Finkielkraut tient dans le fait que pour le premier, le désastre, car désastre il y a pour Badiou, est provoqué par le système capitaliste marchand (ce en quoi il n'a pas tort) sera transcendé par le communisme qui vient (nous sommes en effet en 1848) tandis que, pour le second, la perte, provoquée par le ressentiment égalitaire et démocratique, est irrémédiable et demain sera pire qu'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit l'affrontement est stimulant, tant pour le lecteur que les deux auteurs poussés mutuelllement dans leurs retranchements, et le livre est à lire.
Dans la page du Nouvel Observateur consacrée au débat entre Alain Badiou et Alain Finkielkraut il y a un lien vers un article sur le livre de Gilles Sebhan, Tony Duvert. L'enfant silencieux, qui se termine par cette phrase si convenue : « terminus répugnant d'une impasse sexuelle et morale dans laquelle même la littérature s'est perdue. » ; et c'est étonnant parce qu'il me semble qu'elle exprime exactement a contrario ce pourquoi ce personnage s'en trouve soudain auréolé d'une sorte de gloire, l'indignité nourrissant le mythe : c'est parce que la vie a manifesté de façon si frappante cette impasse qu'elle-même a rejoint la littérature.
A noter que Finkielkraut et Badiou débattront ce soir dans Ce soir (ou jamais !) sur France 3.
Citation

aucune pensée ne meurt

Il a vraiment dit ça ? Ce serait une belle sottise...
Citation
car désastre il y a pour Badiou, est provoqué par le système capitaliste marchand (ce en quoi il n'a pas tort)

D'accord mais avec l'aide active de la gauche qui en promouvant son idéologie égalitariste à tout crin a accéléré le processus de décomposition, ne l'oublions pas !
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