Cher Francis, vos textes brillants et « inspirés » sur l’autre fil ("Défaut de spiritualité") me/nous font trembler de terreur ! Vous m’en rappelez d’autres, assez effrayants et à peine moins trempés de sang. Quelqu’un parmi vous a-t-il lu «
Les habits neufs de la terreur » de Paul Berman (américain de gauche, essayiste, journaliste) préfacé par P. Bruckner (et publié en 2003, à la suite des attentats du 11 septembre)? J’essaie de faire un « topo » bien que toute lecture soit entachée de subjectivité.
Berman fustige l’angélisme d’une certaine gauche et surtout la « rationalité » dont beaucoup usent pour tenter d’expliquer les actes terroristes et la marche du monde actuel. Il montre comment les totalitarismes, ces mouvements de destruction de masses nés dans nos sociétés en révolte régulière contre le libéralisme ont essaimé notamment au Moyen-Orient. Pour construire son plaidoyer, il part à la recherche de l’origine des terrorismes et de la fascination pour la mort, le sacrifice individuel et de masses. Pour lui, les totalitarismes occidentaux ont déteint sur le monde musulman qui avait déjà lui-même suffisamment de raisons de sombrer dans cette folie. Il reprend toute l’histoire de la révolte chez Camus (
L’homme révolté) et démontre comment, l’idéal de départ (Révolution Française) s’est transformé peu à peu en culte de la mort. Il inventorie bien sûr les divers avatars de la révolte, du héros romantique (Hugo, Baudelaire) en passant par le nihilisme russe et la mort poétique, l’acte gratuit des surréalistes, les anarchistes, aux les assassinats politiques en Russie, en Italie, à Sarajevo et à la révolte libertaire poussée à l’extrême. Il explique comment, en Occident, le mythe de Prométhée se transformera rapidement en mythe « de la guerre de l’Armageddon » ( l’attaque, la souillure vient à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, d’où la nécessaire extermination, la destruction des forces sataniques dans le but d’une » pureté » retrouvée pour un règne de mille ans). Il analyse ce mythe à travers ses versions modernes : chez les bolcheviks et les staliniens, les fascistes mussoliniens, les phalangistes de Franco et le mythe de la race aryenne chez les nazis (soit, dans l’ordre : l’âge du prolétariat, l’Empire romain ressuscité, le Royaume du Christ, le 3° Reich). Pour Berman, la particularité du mythe totalitaire de la fascination pour la mort et le massacre c’est de pouvoir s’appliquer à tous les peuples, toutes les croyances. L’auteur montre alors comment le fascisme et le nazisme ont trouvé des résonances dans le monde musulman, notamment chez les Frères musulmans admirateurs des chemise brunes. De là, il décrit longuement la théorie islamiste du grand écrivain égyptien Sayyid Qutb («
À l’ombre du Coran »), ses analyses du monde contemporain occidental qu’il agonit ; d’abord pour l’erreur fatale du Christianisme ( Saint Paul et son acceptation des gentils dans les disciples, l’introduction dans la religion chrétienne des idées de la philosophie grecque et romaine, et enfin, - je passe des étapes (et d’importance sans doute) - la monstrueuse et progressive séparation du religieux et du monde physique. Déploration ensuite de la lente destruction de la suprématie scientifique du monde musulman affaiblie par les attaques mongoles, chrétiennes, croisées, sionistes etc. Et enfin, fulmination contre l’humiliation, l’aliénation infligée par la domination du monde européen affranchi des dogmes de l’Église (« la
hideuse schizophrénie imposée par ce monde occidental dépravé aux autres peuples de la terre »). Berman évoque aussi son gigantesque commentaire du Coran, la révolution qui doit être opérée pour sauver l’humanité menacée par les sionistes et les Occidentaux (attaquée aussi par Atatürk, la menace « intérieure ») Mais, comme l’Islam est une religion destinée à l’humanité tout entière, l’heure est au
djihad et à la guerre « défensive ».ce djihad doit être mondial ne prendra fin qu’au jour du jugement.
Je passe sur la description de la montée du terrorisme et de l’apologie du martyre.
Ce qui inquiète au plus haut point Berman et c’est là un des moments de son livre qui a le plus retenu mon attention, c’est le fait que tant d’hommes de bonne volonté puissent refuser de croire que des dizaines de millions de gens puissent adhérer à un mouvement politique de nature pathologique. La rationalité universelle ne lui paraît pas du tout un facteur d’analyse pertinent. Et il reprend tous ces mouvements et les doutes, les scepticismes, les explications bancales. Il évoque au passage le « pathétisme » de l’aile pacifiste du socialisme français opposée à la ligne dure de Léon Blum face à Hitler qui, par inconséquence, par souci de « compréhension » par souci de rationalité finit par agir « comme les fascistes » (C’était il y a longtemps dit-il ? Non, c’était hier). Il se demande donc, après avoir décrit l’incroyable fascination exercée de par le monde par les actes terroristes, comment on peut trouver de par le monde tant de personnes se dépêchant d’y trouver des explications « rationnelles », comme si une logique rationnelle devait absolument gouverner le monde, Et là, il fait un sort aux théories de Chomsky, à son apologie du côté « prévisible » des représailles (opuscule 9/11). Il explique encore comment et pourquoi l’Histoire ne se termine pas en 1989, comment les pulsions de meurtre et de suicide continuent à se répandre partout dans le monde et pourquoi les massacres ne sont pas terminés. Il essaie encore de définir une démocratie libérale, reprend l’histoire de l’idéal démocratique et prédit ses maigres chances de survie s’il n’y a pas un réveil salutaire en Occident. Il regrette à cet égard l’absence de curiosité de la part de nos civilisations libérales qui nous a permis de penser que le totalitarisme avait été vaincu en 1989, trop peu curieux que nous somme des courants intellectuels du reste du monde. Il regrette aussi que « la gauche antimpérialiste ait perdu la capacité de se dresser contre le fascisme et même est allée parfois plus loin sur cette pente glissante ». Au nom des opprimés, dit-il, nous pactisons avec les » fossoyeurs de la liberté » (par exemple l’alliance entre les altermondialistes les fondamentalistes musulmans).
Il n’est pas manichéen : chacun, Europe, États-unis (et monde islamique, bien sûr,) reçoit sa part de blâme. Il ne manque pas enfin de proposer quelques pistes de réflexion pour tenter d’éviter que sonne encore « l’heure de la lutte finale où des masse d’hommes devront encore être tués ».
« Paul Berman prône donc en conclusion un libéralisme armé, protecteur des droits et des libertés mais capable d’affronter les dangers qui le menacent ». (P. Brucner)
Ouf, ce n’est pas vraiment complet mais je m’arrête car mon texte me déprime complètement moi-même.