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Les papillons bleus

Envoyé par Thomas Rhotomago 
15 novembre 2010, 21:57   Les papillons bleus
Louis Armand, de l'Académie française, écrivait des chroniques dans le magazine Réalités. A ce que je crois comprendre d'un récent feuilletage, il était le spécialiste du futur, de la "prospective". Une de ces chroniques de 1966 porte le titre "Ce que Jules Verne n'a pas compris." Il y évoque ce qu'il appelle les "encombrements" (des cerveaux, des routes etc.) et termine ainsi son papier :

"Seulement, pour trouver des solutions, il faut procéder autrement que dans Jules Verne. Pour lutter contre l'encombrement, la solution ne peut venir que de la cybernétique et d'un surcroît d'esprit civique. En perfectionnant l'ancien, on complique sans réussir.
Il faut donc penser métamorphose. C'est difficile.
La chenille qui rêve d'aller plus vite songe à quelques paires de pattes supplémentaires, alors que ses problèmes futurs de transport doivent être réglés en termes de papillons ailés.
L'observation nous prouve qu'à la veille d'une nécessaire mutation pour éviter l'écrasement de l'homme par les encombrements et les agressions d'un mauvais développement des techniques, beaucoup ne savent penser qu'en termes de chenilles !"

Ces phrases peuvent prêter à rire, elles me paraissent pourtant indiquer très clairement la direction qui a été suivie et continue de l'être par la recherche scientifique de pointe : celle de la mutation de l'espèce, sans la moindre contenu métaphorique. Dans ce domaine, des points sont marqués chaque jour, ne l'oublions pas (Mince ! On dirait du Louis Armand...)
On apprend grâce à Francmoineau que cet académicien n'est pas pascalien.
Toujours extrait de Réalités (à propos d'un grand congrès de prospective organisé en 1966, avec les experts et consultants de l'époque) :

"Dennis Gabor, dans Inventing the future, considère que les loisirs vont s'abattre sur l'homme non préparé comme une peste morale : "Notre civilisation doit faire face à trois dangers graves : la guerre nucléaire, la surpopulation, et le loisir. Alors que jusqu'ici la majorité travaillait pour une minorité, désormais, ce sera le contraire. Une faible fraction de cerveaux inventeront pour une majorité de consommateurs. Donc l'humanité sera divisée en deux : 1/5ème des hommes entraînés dans un processus de création continue, et les 4/5ème travaillant au minimum et disposant de loisirs dont ils ne sauront que faire.
Le rapport Rand va dans le même sens : "Gagner sa vie ne sera peut-être plus une nécessité, mais un privilège ; il faudra peut-être inventer des façons nouvelles d'occuper ses loisirs, pour donner un sens nouveau à un mode de vie qui sera peut-être devenu "économiquement inutile" pour la majorité du peuple."
Faute de commentaires, je ne sais pas si ces extraits suscitent le moindre intérêt et j'en viens à penser que je suis le seul à leur en trouver, à commencer par cette illustration de l'impossibilité de prévoir correctement ce qui va se passer, petite leçon que chacun, ici et ailleurs, ne devrait jamais oublier.

Je rappelle que les intervenants à ce colloque de "prospective" de 1966 n'étaient nullement des auteurs de science-fiction mais de hauts responsables internationaux, des universitaires, des "rapporteurs" rien moins que fantaisistes. Or, ils se sont trompés, mais en partie seulement. Leurs "prospectives" évoquent les premières mappemondes où l'on distingue tout de même la forme générale des continents, des pays, en dépit d'erreurs grossières. Ce 1/5 ème des hommes entraînés dans un processus de création continue" n'a-t-il pas quelque trait de ressemblance avec cette "hyper-classe" projetée par M. Attali ? le "danger du loisir" ne trouve-t-il pas, aujourd'hui, son incarnation dans le trop fameux "homo festivus" ? La menace sur le travail n'est-elle pas soulignée ? Et la nécessité de "muter" ?

Et cependant, si le "danger de la surpopulation" est mis en avant, je n'ai pas trouvé un traître mot sur le chaos rampant à l'oeuvre dans les mouvements de population devenus incontrôlables. Aucune de ces têtes pensantes (et n'allez pas croire que je les prenne pour des imbéciles) n'a été en mesure de pronostiquer une seule seconde, par exemple, qu'une sorte
d'enclave d'économie et de moeurs chinoises aille prendre racine dans une région italienne comme à Prato, et tel qui, par une étrange illumination, en eût proposé la vision n'eût recueilli qu'haussements d'épaules ahuris ou consternés.

En outre, la lecture ou le feuilletage de ces anciens magazines me semble illustrer l'absence de "plan concerté" dans les affaires du monde et à quel point les dirigeants et les peuples naviguent à vue sans dépasser, au mieux, le moyen terme.
Peut-être le "flirt des élites avec l'Islam", selon l'expression de Cassandre, trahit-il quelque préméditation d'asservissement commode des peuples (les néo-musulmans jouant le rôle de kapos de l'ultra-modernité, directement ou indirectement (comme on le voit dans le fil "l'Islam conditionne nos existences")), mais cette préméditation ne me semble pas avoir de très anciennes racines et, aussi bien, peut se voir contredite par n'importe quelle nouvelle circonstance.

Ainsi, de toute part, et, peut-être, plus que jamais, chacun loge en lui cette question "Que va-t-il se passer ?" - et dans une mesure qui dépasse de loin les pronostics sur telle ou telle échéance électorale. Encore une fois, n'oublions pas que nous sommes semblables à ces experts de 1966.

Que ne voyons-nous pas, comme eux n'ont pas vu les transferts de population ? - en dépit de certaines tendances qu'ils devinèrent plutôt bien.
24 novembre 2010, 15:01   A Didier Bourjon
Cher Didier,

Vous qui êtes aux manettes électroniques de ce forum, auriez-vous l'obligeance de faire disparaître ce fil de la page, comme s'il n'avait jamais existé ? Je vous en serais reconnaissant.
24 novembre 2010, 15:11   Re : A Didier Bourjon
Pourquoi donc ? C'est très intéressant.
Mais non, c'est très intéressant. Il se trouve que j'étais abonné à Réalités à cette époque et que j'ai fait les mêmes constatations que vous, cher Orimont, j'aurais pu réagir plus tôt.
24 novembre 2010, 15:29   Re : C'est la chenille qui redémarre
Louis Armand était un moderne des trente glorieuses, il croyait au progrès comme d'autre avant lui avaient cru en l'immaculée conception. Nous ne sommes plus dans son monde. L' hybris moderne nous parait bien naive et très dangereuse, et pourtant nous sommes incapable d'en sortir. La croissance! solution de tout nos problèmes mais la croissance de quoi? de l'art contemporain? du pavillonnaire industriel en campagne? des ronds points qui ne mènent nulle part? ou la mutation générale? la sortie de l'humanité, le rève du post humain?
"Au regard des sociétés qui l'ont précédée dans l'histoire, la société moderne est au régime de l'illimité... La société moderne se présente comme le lieu de la satisfaction à terme de toute demande... Le noyau de l'impossible à transformer s'érode chaque jour" J.C Milner
L'hybris post moderne n'est plus la foi du charbonnier de Louis Armand mais une fatalité: l'inéluctable adaptation aux nécessités d'une mondialisation qui n'est vraiment heureuse que pour Alain Minc.
Orimont,

Vous avez été victime de votre titre : je n'avais aucune envie de lire un fil que je pensais consacré à la chanson que vous savez. Il se trouve que le sujet est autre, et intéressant.

Sans faire de provocation, cet article est dans la logique même de tout ce qui est réflexion stratégique : savoir s'abstraire des théories de l'aménagement graduel pour oser penser des différences radicales.
Utilisateur anonyme
24 novembre 2010, 16:20   Re : C'est la chenille qui ne redémarre pas.
je n'avais aucune envie de lire un fil que je pensais consacré à la chanson que vous savez.

Ah oui, la chanson, ça f'sait comment déjà ?
Utilisateur anonyme
24 novembre 2010, 16:26   Re : À Orimont Bolacre
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
24 novembre 2010, 16:42   Re : C'est la chenille qui redémarre
Té !, on dirait que la chenille redémarre, pour le coup.
Ecoutez, Didier Bourjon, comme disait Fabius, moi c'est moi et lui c'est lui.
Oui mais vous, ça peut être lui aussi. Y peut y'en avoir plusieurs quoi.
La prospective n'est pas une science exacte, des facteurs politiques peuvent interférer de façon imprévisible. Pourtant, pour prendre un exemple, les Rapatriés que j'ai connus dans les années soixante ne se faisaient aucune illusion sur l'avenir de l'Algérie.
24 novembre 2010, 20:30   Oyster Perpetual
Bah, cher Orimont, nos pronostics sont l'Achille qui jamais ne rattrapera la tortue Chenille à multiples papattes du cours des choses...

(Je me souviens d'avoir surtout feuilleté jadis des exemplaires de Réalités pour les superbes photos de montres Rolex qu'on pouvait y voir dans les publicités, qui me faisaient littéralement baver d'envie, quand celles-ci n'étaient encore qu'un article de luxe pour James Bond et autres happy few...

Je me souviens d'avoir entendu un jour Fabius déclarer solennellement, en veine d'un monisme inquiétant pour un homme politique : « L'homme est un ! » )
Je crois que James Bond pratiquait le nomadisme horologique... il y eut la fameuse Rolex submariner, il y eut aussi une Breitling, je crois, dans "Opération Tonnerre".
Si vous pensez chronométrer la chenille, cher Jean-Marc, prenez un siège.
Ah oui, le titre du fil... Ce doit être cela qui l'a fait supprimer de la page d'accueil, circonstance qui, combinée à l'absence de commentaires, m'a fait imaginer que ce sujet n'avait pas sa place ici. Trop tard pour en changer (de titre), comme j'avais l'intention de le faire. La fonction "modifier" semble n'être plus active après un certain temps. Mais si Didier y peut quelque chose, qu'il mette "Les papillons bleus", à la place.

___

Est-il bien certain que nous ne soyons plus dans le monde de Louis Armand ? On pourrait dire au contraire que nous y sommes en plein, sans le moindre changement de cap, sinon la prise au pied de la lettre de certaines métaphores entomologistes.
Utilisateur anonyme
25 novembre 2010, 07:36   Re : C'est la chenille qui redémarre
(Message supprimé à la demande de son auteur)
25 novembre 2010, 09:03   Re : Les papillons bleus
Didier,

Pour l'affaire de "Rue 89", avez-vous un alibi ?
25 novembre 2010, 09:28   Re : Les papillons bleus
« Je me souviens d'avoir surtout feuilleté jadis des exemplaires de Réalités pour les superbes photos de montres Rolex qu'on pouvait y voir dans les publicités, qui me faisaient littéralement baver d'envie, quand celles-ci n'étaient encore qu'un article de luxe pour James Bond et autres happy few... »

Oh, Alain Eytan ! Moi qui vous croyais un (jeune) frère ! Des abîmes s'ouvrent entre nous...
25 novembre 2010, 11:54   Re : Les papillons bleus
Maître,

Ian Fleming était un homme étonnant, et je vous engage à lire la biographie qu'Andrew Lycett lui a consacrée.

Les objets de luxe (et la vie dans le luxe) tiennent une place importante dans l'oeuvre de Fleming, qui sait nous montrer, parfois avec dérision, la fonction des objets en question (voir les multiples transformations que les services techniques font subir aux montres dans les James Bond, voir aussi ce passage de Goldfinger, je crois, ou Bond expose que le problème, avec le caviar, est qu'il n'y a jamais assez de toasts à bonne température).

Fleming lui-même fut un agent spécial (point qui va vous plaire : il "exfiltra" Zog 1er en 1940), et il reçut une étonnante éducation (il se singularisa à Eton en remportant deux fois le prix d'athlétisme avant d'être chassé de cette école pour avoir manifesté trop de précocité au bénéfice des jeunes filles du voisinage (parenthèse dans la parenthèse, il fut le voisin et grand ami de Noël Coward, à qui un jour Elizabeth la reine-mère dit en surprenant son regard en direction des gardes alignés "I wouldn't if I were you, Noël; they count them before they put them out"), il fut chassé de Sandhurst pour le même motif.

Il était le petit-fils de Robert Fleming, le fameux banquier écossais, descendant de Guillaume le Conquérant, et le fils de Valentive Fleming, membre du Parlement pour Henley.

Valentine Fleming résidait dans la demeure que voici :

[en.wikipedia.org]

Son pied-à-terre de chasse et de pêche était sur le Loch Hourn, à Arnisdale :

[en.wikipedia.org]

Et son pied-à-terre londonien se trouvait fort bien placé à Hampstead Heath (voici en digression quelques commentaires sur cette demeure qui fut celle de Pitt : "Pitt House, in 1869 a two-storyed building with a central doorway and a side bay, (fn. 66) was later enlarged by the addition of a billiard room and in 1899 Sir Harold Harmsworth, later Viscount Rothermere, bought it and added a storey, also moving the Georgian doorcase to the side bay. He sold it in 1908 and it was occupied during the First World War by Valentine Fleming, M.P., and his sons the writers Ian (d. 1964) and Peter (d. 1971), and from 1924 to 1939 by the earl of Clarendon... ". Elle fut détruite en 1952).

Valentine Fleming obtint la DSO et fut tué au combat en France en 1917. Winston Churchill écrivit son faire-part de décès dans le Times. Churchille écrivit d'ailleurs aussi une lettre au directeur de Rolex, plus tard, la voici :

[bp1.blogger.com]

Ainsi que la note d'accompagnement :

[bp3.blogger.com]

Pour en revenir à Ian Fleming, après une brillante guerre dans les services spéciaux, il se retira pour vivre de ses rentes et écrivit. Il impressionna grandement Kennedy, un de ses admirateurs, en lui exposant, tout de go, à la suite de sa question "que feriez-vous pour vous débarrasser de Fidel, vous qui êtes un maître espion ?" : "There are three things which really matter to the Cubans—money, religion, and sex. Therefore, I suggest a triple whammy. First the United States should send planes to scatter counterfeit Cuban money over Havana. Second, using the Guantanamo base, the United States should conjure some religious manifestation, say, a cross of sorts in the sky which would induce the Cubans to look constantly skyward. And third, the United States should send planes over Cuba dropping pamphlets to the effect that owing to American atom bomb tests the atmosphere over the island had become radioactive; that radioactivity is held longest in the beards, and that radioactivity makes men impotent. As a consequence the Cubans would shave their beards, and without bearded Cubans there would be no revolution."

Ian Fleming fut un grand collectionneur, de montres certes mais aussi de voitures.


Je me tiens à votre disposition pour toute autre information.
25 novembre 2010, 23:07   Re : Les papillons bleus
Eh bien, voilà une réhabilitation en règle, qui lorgne même vers les Demeures de l'esprit dirait-on...

(Non seulement je crois avoir lu tous les James Bond (ah les plaisirs faciles !), mais en plus j'arborais fièrement à une époque une Rolex offerte, une Oyster Perpetual justement, solide et bel objet sobre, dont le bracelet en métal avait toujours été trop large et lourd pour mon poignet gracile, hélas perdue ou dérobée un jour de grande presse dans le métro.)
26 novembre 2010, 00:11   Re : Les papillons bleus
Cher Alain, quand vous aurez trouver midi à votre Rolex, s'il vous reste une minute, pourriez-vous avoir l'obligeance de me dire si ce sont les grands hommes qui font l'histoire ou l'histoire qui fait les grands hommes?
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