Citation
C'est d'ailleurs un célèbre dissident soviétique qui a mis en garde les Européens en affirmant que l'Europe de Bruxelles, par exemple, fonctionnait exactement comme feu l'Union soviétique !
Exact chère Cassandre mais il y a deux dissidents qui nous mettent en garde. Le premier fut Alexandre Zinoviev et l'autre est Vladimir Bukovsky. Je vous propose un entretien avec Zinoviev et un article sur Bukovsky par Pryce-Jones, un des mes historiens favoris.
Conversation avec Alexandre Zinoviev
On se rappelle du grand dissident soviétique Alexandre Zinoviev, analyste lucide, non seulement des travers du soviétisme, mais aussi et surtout des travers de l'âme humaine qui conduisent inéxorablement à ces formes de totalitarisme rigide. L'Occidentisme, dénoncé avec autant de rigueur par Zinoviev, est la version américaine d'une mise au pas des âmes, aussi mutilante que l'ex-modèle soviétique. Pour avoir formulé ses critiques acerbes, Zinoviev fut déchu de sa citoyenneté soviétique dans les années 70. Un long exil allait s'ensuivre, à Munich en Bavière, havre de bien des émigrations russes. Dégoûté de l'occidentisme et de sa suffisance, Zinoviev a quitté l'Ouest pour retourner dans sa patrie russe. Son dernier ouvrage La grande rupture (Ed. L'Age d'Homme) est corrosif, sans illusion, amer et lucide. Cette lucidité l'amènera très bientôt, sans doute, à être déchu de la reconnaissance médiatique, pour avoir affirmé haut et clair des vérités qui dérangent.. Notre correspondant à Paris, Xavier Cheneseau, a rencontré cette grande figure intellectuelle lors d'un de ses récents passages dans la capitale française. Il était accompagné de son éditeur et interprète, Slobodan Despot, à qui nous devons cette version française des paroles de Zinoviev.
XCh.: Qu'est-ce que la grande rupture dont vous parlez et qui est le sujet central de votre dernier ouvrage?
AZ: La civilisation ouest-européenne est sans conteste la plus grande civilisation de l'histoire. Son apogée a été marquée par l'émergence des Etats-Nations que sont entre autres l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre et bien entendu la France. Le début du Xxième siècle marque l'apparition de l'idée que cette civilisation européenne serait épuisée et ses jours comptés. Ce qui apparaît aujourd'hui certain, c'est qu'après avoir donné naissance à un phénomène d'organisation supérieur, la civilisation européenne subit l'histoire et ne la fait plus. La rupture dont je parle apparaît avec l'issue victorieuse, pour l'Occident, de la guerre froide, suivie par le démantèlement du bloc soviétique et la transformation des Etats-Unis en unique supra-Etat de la planète, régnant sans partage sur le monde occidental.
XCh.: Selon vous, comment en est-on arrivé là?
AZ: Cela s'explique grâce à la création d'un nouveau degré d'organisation supérieur à celui des sociétés occidentales, à l'intégration des sociétés occidentales en une seule entité qui, par rapport à la civilisation occidentale, apparaît comme "la supra-civilisation et enfin, grâce à l'instauration d'un ordre mondial sous l'égide du monde occidental. J'ai été frappé, il y a plusieurs années, de ce qu'il existe une réalité et un aspect virtuel en toute chose. Ce monde virtuel constitue la culture majoritaire de nos contemporains. Dans les faits, aujourd'hui, nos contemporains perçoivent le monde réel au travers de ce monde virtuel. Ils n'en perçoivent que ce que le monde virtuel leur permet de voir. Le monde virtuel, lui, n'exprime en rien le monde rien.
XCh.: Selon vous, vivons-nous encore en démocratie au regard de ce que vous affirmez?
AZ: Pour qu'il existe une démocratie, il faut qu'il existe un choix, qu'il y ait pluralisme. Durant la guerre froide, il existait un pluralisme, donc une démocratie, au sein duquel coexistaient le système communiste, le système capitaliste et un groupe d'autres pays, dits "non alignés". Le bloc soviétique était influencé par les critiques venues d'Occident et l'Occident était influencé par l'URSS, du fait de la présence de partis communistes sur les échiquiers politiques des Etats occidentaux. Aujourd'hui, il n'existe plus qu'une seule idéologie, au service exclusif des mondialistes. La conviction que l'avenir de l'humanité ne résidait plus dans le communisme, mais dans l'américanisme (forme supérieure de l'occidentalisme) est aujourd'hui partagé par une majorité des Occidentaux.
XCh: Pourtant en Europe et notamment en France, il existe, malgré tout, des forces politiques qui continuent de s'opposer
AZ: Cette existence n'est que virtuelle, elle n'est pas réelle. Regardez, et vous constaterez que cette opposition est de plus en plus formelle. Pour preuve, regardez l'attitude de la classe politique européenne dans la guerre contre la Serbie. A sa quasi unanimité, elle a soutenu l'agression contre cette nation libre et souveraine.
XCh: Peut-on parler alors de totalitarisme?
AZ: Le totalitarisme se répand partout parce que la structure supranationale impose sa loi aux nations. Il existe une superstructure non démocratique qui donne des ordres, sanctionne, organise des embargos, bombarde, affame. Le totalitarisme financier a soumis les pouvoirs politiques. Le totalitarisme est froid. Il ne connaît ni sentiments ni pitiés. Il faut aussi préciser que l'on ne résiste pas à une banque, alors que l'on peut faire plier n'importe quelle dictature politique.
XCh: Mais le système semble malgré tout pouvoir exploser du fait de la situation sociale que connaissent nos pays
AZ: Détrompez-vous. Les mouvements de ce type ne sont plus possibles, du fait que la classe ouvrière a été remplacée par les chômeurs, qui se trouvent en situation de faiblesse, et que ces derniers n'aspirent qu'à une chose: avoir un emploi.
XCh: Si je vous suis dans votre propos, vous voulez dire que nos sociétés ne sont pas démocratiques
AZ: Nous avons dépassé ce stade historique, puisque la fin du communisme nous a fait entrer de plein pied dans l'ère post-démocratique.
XCh: Quel rôle joue dans cette situation le pouvoir des médias?
AZ: C'est un des verrous les plus importants qui fonctionne grâce à une sphère propre qui fait partie des domaines de présence et d'activité des capitaux et des intérêts de l'Etat. C'est une des base sur lesquelles repose le système occidental. Les médias représentent l'instrument le plus puissant de façonnement des goûts, des connaissances, de la grande masse des hommes. Aujourd'hui, les médias représentent un véritable instrument d'influence en prise directe sur les masses. Les médias s'immiscent dans toutes les sphères de la société: sport, vie quotidienne, économie et bien évidemment la politique.. Tout est leur affaire. Ils exercent un pouvoir totalitaire sur nos contemporains, pire, les médias se sont arrogés la fonction de grand arbitre dans les choix idéologiques.
XCh: Comment voyez-vous s'organiser la lutte contre la médiacratie qui nous entoure?
AZ: C'est une lutte historique. Nous sommes témoin et nous participons aussi à la grande histoire. C'est donc le temps historique qu'il nous faut prendre en compte, car il nous faut faire bouger des milliers, voire des millions de personnes, sans avoir la certitude de gagner cette bataille. Il faut prendre en compte que des millions de personnes sont aujourd'hui les victimes de la contagion médiatique. Il n'y a qu'à prendre pour exemple la guerre contre la Serbie pour constater que le nombre de personnes contaminées est important. A cela, il faut aussi ajouter que nous devons être toujours à l'affût, afin que notre attention ne soit pas détournée par le rideau de fumée médiatique.
XCh: Quel regard portez-vous sur la montée vers le pouvoir de Vladimir Poutine?
AZ: Cette montée au pouvoir constitue le véritable premier exemple de résistance intérieure à la globalisation et à l'américanisation. Mais son succès dépend malgré tout de données extérieures à la Russie.
XCh: On parle beaucoup de survivances de l'idéologie communiste en Russie
AZ: A quoi pensez-vous? Les idées sont éternelles. La forme marxiste du communisme, en Russie, a connu une défaite décisive. Elle subsiste mais n'est plus opérante. Aujourd'hui, rien ne peut être fait avec cette idéologie. Pour preuve, même le Parti communiste russe n'est plus révolutionnaire, il ne fait plus référence à la dictature du prolétariat et est même devenu libéral.
XCh: Monsieur Zinoviev, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.
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Le 18-05-2005
'EurUrss': Un air de famille effrayant, D. Pryce-Jones
Les dernières pierres de l'Union Européenne se mettent en place, et c'est aussi un processus étrange et insondable. Sur les 25 pays concernés, une dizaine vont organiser des référendums pour ratifier la constitution d'ampleur continentale, déjà approuvée par leurs dirigeants ; les autres font passer en force la question par voie exécutive ou législative. En d'autres termes, la majorité des gouvernements européens, y compris le 'très important' gouvernement allemand, ont trouvé un moyen d'éviter l'épreuve de l'opinion publique, dans le but de finaliser l'empire fédéral désormais clairement visible. L'opinion publique a néanmoins contraint le Président Jacques Chirac à accepter qu'un référendum ait lieu, le 29 mai. Les sondages attestent que le rejet de la constitution par les Français est possible, voire probable, précipitant Dieu sait quel genre de crise.
Que se passe-t-il ? Pourquoi agir à la dérobée ? La réponse la plus convaincante est fournie par l'ouvrage de Christopher Booker et Richard North, The Great Deception [La grande tromperie], une histoire récente et magistrale de l'Union Européenne. Les auteurs montrent comment, décennie après décennie, une petite clique auto-promue de politiciens a oeuvré naïvement à la création d'une Europe supranationale. Ces politiciens se considèrent comme des visionnaires, mais ils ont toujours su qu'ils ne parviendraient jamais à entraîner l'adhésion des électeurs, c'est pourquoi il leur a fallu cacher leur but : selon Booker et North, la tromperie était implicite, et même inhérente au projet. L'intention était de mettre les gens devant un fait accompli auquel ils seraient incapables de s'opposer, et c'est ce que la Constitution d'aujourd'hui a pour but de rendre irrévocable.
Les années de la Guerre Froide ont divisé l'Europe en deux parties, l'une sous la domination soviétique, et l'autre sous la protection des Etats-Unis. L'ambition logique des Soviétiques, et des nombreux partis communistes qui leur sont asservis, ainsi que celle des "compagnons de route" socialistes, était de réduire la présence américaine et, si possible, de l'évincer totalement du continent. D'une manière ou d'une autre, l'Union Européenne a repris les choses là où les Soviétiques les avaient laissées, et il s'avère qu'elle a mieux réussi. A preuve, l'avenir incertain de l'OTAN, la croissance de l'armée européenne, la relocalisation des troupes américaines et de ses bases hors d'Allemagne, les efforts franco-allemands pour paralyser les Etats-Unis à propos de l'Irak, la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine, le soutien sans discernement de l'OLP, et beaucoup d'autres choses encore.
Vladimir Bukovsky entre maintenant en force dans le débat [1]. Aujourd'hui âgé de 62 ans, il a été l'un des dissidents publics soviétiques les plus courageux, ce qui lui a valu de passer douze ans au Goulag et d'être traité pour folie dans une des unités psychiatriques spécialisées dans l'art de briser des gens comme lui. Échangé contre un communiste chilien, en 1976, il s'est installé à Cambridge, en Angleterre, où il est biologiste et écrivain politique. To Build a Castle [Construire un château], le récit autobiographique de son épreuve au Goulag, est un classique. (Une remarque personnelle : quand j'ai rencontré Bukovsky, en 1981, il avait prévu que, dans dix ans, l'Union soviétique s'effondrerait. Ce qui s'est avéré exact.) Il aurait pu être un Premier ministre démocratique de Russie.
Durant le bref laps de temps où c'était encore possible, Bukovsky a fait des recherches dans les archives soviétiques [2], publié des livres comme Reckoning with Moscow [Avoir affaire à Moscou], qui traite des vraies réalités internes du système soviétique. Maintenant, en collaboration avec Pavel Stroilov, un auteur russe, il vient d'écrire un opuscule intitulé "EUSSR: The Soviet Roots of European Integration" ["EurURSS: Les racines soviétiques de l'intégration européenne"] [3], une paraphrase fascinante de la thèse de Booker et North sur la tromperie inhérente au projet de l'Union Européenne [4].
Mikhail Gorbachev a créé une fondation à Moscou pour abriter les documents afférents à l'époque où il était au pouvoir lorsque le Parti Communiste, l'Union Soviétique, ainsi que la Guerre Froide ont pris fin dans un gémissement et non dans le fracas que l'on prévoyait généralement. Étudiant ces documents personnels, Bukovsky et Stroilov ne s'étonnent pas de ce que l'Union Européenne ait repris les choses là où les Soviétiques les avaient laissées. Au contraire, ils estiment que c'est le résultat normal de décennies de socialisme et de compagnonnage de route en Europe.
Comme il seyait au despote du Kremlin, Gorbachev avait l'habitude de recevoir des visiteurs d'Europe de l'Ouest, qui étaient ministres et présidents dans leur pays mais faisaient tous preuve d'une attitude humble comme il convenait à quiconque était autorisé à s'approcher aussi intimement d'un pouvoir absolu. Tous autant qu'ils étaient, ces visiteurs flattaient Gorbachev. La Gauche, ils en convenaient, était partout en crise, parce que l'expérience visant à établir le socialisme avait évidemment échoué et avait besoin d'être réanimée.
«Les solutions progressistes dans le domaine social doivent correspondre au cadre européen», déclarait Alessandro Natta, l'insaisissable secrétaire général du parti communiste italien, en 1986. Gorbachev partageait ses idées sur la manière de procéder. L'un de ses slogans préférés énonçait : "Une Maison Européenne Commune", et son grand but était d'évincer les Etats-Unis de l'Europe et de les remplacer par l'Union Soviétique. La tâche, comme Gorbachev l'expliqua à Natta, consistait à «enrichir le mouvement de gauche, pour gagner de nouveaux alliés». «L'érosion des frontières nationales — géographiques, fiscales, économiques», répondit Natta, a donné à la gauche «une chance de succès».
Peut-être était-ce là le langage convenu d'un communiste. Mais qu'en est-il, alors, de Francisco Fernández Ordóñez, à l'époque ministre des affaires étrangères espagnol, et Socialiste, qui disait à Gorbachev, en 1989 : «Le succès des idées du socialisme dans la communauté mondiale d'aujourd'hui dépend du succès de la perestroïka [les efforts de réforme de Gorbachev]» ? Les Allemands n'étaient pas mieux lotis. Cette même année, l'ancien chancelier, Willy Brandt, assurait à Gorbachev qu'ils étaient témoins d'«une nouvelle qualité de socialisme dans une très grande partie du monde». Pour faire bonne mesure, il offrit de faire ce qu'il pourrait pour étouffer la démocratie qui montait, alors, dans les républiques baltes.
Mais aucun d'eux ne donne autant la chair de poule que les visiteurs français. En novembre 1988, le Président Mitterrand assura à Gorbachev que «l'édification d'une Maison Européenne Commune était une grande idée», et que sa réalisation serait sa principale priorité. Bukovsky et Stroilov citent des petits fragments similaires de conciliation et d'accompagnement amical, dus à Valéry Giscard d'Estaing, autre président français, devenu, depuis, l'auteur de la constitution de l'Union Européenne : «De nos jours, l'Europe de l'Ouest fait l'expérience d'une perestroïka, et change sa structure […] l'URSS devrait être préparée à communiquer avec un grand Etat unique d'Europe de l'Ouest.» Des politiciens et des officiels français de premier plan, tels Chirac et Jacques Delors, confirmaient une telle conception. Le premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, se fit servile : «Je suis convaincu que votre société démocratique entrera dans le cadre du mouvement socialiste qui se développe en Europe.»
En écoutant cette clique étonnante, on n'est pas surpris que Gorbachev ait été victime d'une illusion. Il doit en être venu à croire que sa Maison Européenne Commune avait les mêmes valeurs et le même fonctionnement politique que ceux de l'Union Européenne, et que les ressemblances entre l'URSS et l'UE étaient davantage que de simples coïncidences. Booker et North ont raison de penser que les antécédents de l'Union Européenne remontent à bien avant Gorbatchev, mais Bukovsky et Stroilov ont également raison d'estimer que l'Union Européenne est une construction socialiste, une collectivité étatique comparable à l'ancienne URSS, complétée par une nomenklatura et une idéologie ayant des visées hostiles aux Etats-Unis, et qu'il faut absolument 'protéger' l'ensemble de la population d'exprimer sa véritable opinion sur tout cela.
Avec clairvoyance, Bukovsky a jadis prévu la mort de l'Union Soviétique. Mais sept des 24 commissaires européens d'aujourd'hui sont d'anciens apparatchiks communistes, et, selon l'avertissement de Bukovsky, «il reste à voir quel genre de Goulag créera l'Union Européenne». Mais le destin de tous les utopies est le même, conclut-il, et «l'Union Européenne s'effondrera, exactement comme son prototype», même si, «ce faisant, elle nous ensevelit tous sous les décombres». Néanmoins, il espère, bien sûr, alerter l'opinion publique afin d'empêcher le pire.
La folie se répète, mais elle ne peut écraser la dissidence de l'esprit.
David Pryce Jones
© National Review, pour l'original anglais, et upjf.org pour la version française.
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