Le site du parti de l'In-nocence

"A droite toute"

Envoyé par Michel Le Floch 
16 décembre 2010, 12:10   Re : "A droite toute"
Je relis le remarquable article de M. Drillon mis en lien, et un court passage (qui est donc une citation, parfaitement licite) me pose question.

C'est celui-ci :

Déjà France Musique est obligée de découper les concerts qu’elle diffuse pour intercaler des œuvres qui détendent l’atmosphère : une heure et demie de quatuor à cordes, quelle horreur, passons un air d’opéra !

Je ne suis pas persuadé que les airs d'opéra détendent l'atmosphère. Bien au contraire, j'avais l'impression que la musique de chambre était plus calme et apaisante que l'opéra.

Je ne sais si d'autres ont éprouvé ce sentiment, mais lorsque je conduis, je n'écoute jamais d'opéra, car ils influent trop sur ma conduite, chose que je n'ai jamais ressentie avec la musique de chambre.

Reste alors une autre explication : un air d'opéra est plus "facile". Je n'en suis pas certain non plus.

Enfin, je pensais les quatuors à cordes un peu plus courts, mais c'est sans doute que je n'entends pas le temps passer.
16 décembre 2010, 13:20   Re : "A droite toute"
Comment voulez-vous que les élèves comprennent quelque chose à des âneries pareilles ? pendant des siècles on a lu et bien lu sans se poser ces questions à la noix, et maintenant on se pose et se re-pose ces questions, mais on ne sait plus lire.

Il me semble que le problème est double. Il est d'abord celui de la vulgarisation du savoir et ensuite celui de son obsolescence. Faire étudier à des lycéens des notions vaguement adaptées de Genette, mais que Genette lui-même ne reconnaîtrait sans doute pas, c'est une escroquerie intellectuelle. En second lieu, Genette est depuis longtemps dépassé par la recherche savante. Sylvie Patron lui règle définitivement son compte dans Le Narrateur : introduction à la technique narrative, Armand Colin, Collection U, 2009, ouvrage dont il est à noter qu'il se présente comme un manuel (avec choix de textes). Mais on continuera à tartouiller du sous-Genette et du sous-Greimas au collège et au lycée parce que cela traîne dans les programmes et parce que les enseignants de lettres ne sont pas eux-mêmes des universitaires.

Cela dit, sur le fond, la narratologie ne me semble pas du tout absurde en tant qu'elle relève de la technique littéraire. Relever que Vanity Fair de Thackeray est raconté par un narrateur omniscient et omniprésent (et qui prend constamment position) alors que The Ambassadors de James est entièrement "du point de vue" de Strether, voilà qui me semble contribuer très utilement au "savoir lire".
16 décembre 2010, 14:21   Re : "A droite toute"
Vous avez raison, mais les analyses ou constats de ce type nous occupaient souvent en cours de français quand j'étais au lycée, il y a presque un demi-siècle, mon Dieu !
16 décembre 2010, 14:40   Re : "A droite toute"
Comment cela, Marcel ? on vous parlait en des termes pareils, au lycée ?
16 décembre 2010, 14:45   Re : "A droite toute"
Non, vous avez raison, on disait ces choses-là en termes plus simples.
16 décembre 2010, 14:58   Re : "A droite toute"
C'est cela même : on a versé dans le jargon, on a confondu la littérature, qui est l'art d'écrire pour le plaisir d'être lu, avec un je-ne-sais-quoi qui tient de l'épicerie et de l'autopsie, et par lequel on perd toute relation au texte pour ne plus réfléchir qu'à la façon dont il a été écrit.

Après des stupidités pareilles assénées à des jeunes personnes, comment voulez-vous que celles-ci ne résument pas l'enseignement littéraire en ces termes : "Bullshit".

Je me demande comment on explique Maupassant, auteur d'une clarté remarquable, dans les lycées.
16 décembre 2010, 15:00   Re : "A droite toute"
Quant au fameux Narrateur, il n'est pour moi associé qu'à Proust. On peut effectivement voir des narrateurs partout. Avant d'avoir trente ans, je n'ai jamais entendu ce mot que dans "présent de narration".
16 décembre 2010, 15:05   Re : "A droite toute"
Chatterton,


Si on ne comprend pas comment La Modification est écrite lorsqu'on la lit, et qu'il faille l'expliquer, alors il y a réellement un problème.

Pour Vanity Fair, je ne m'étais à vrai dire jamais posé la question. Il était pour évident que Thackeray intervenait dans son propre texte pour y introduire des réflexions morales, sans que je me demande quel était son statut.
16 décembre 2010, 17:23   Re : "A droite toute"
Dans les années 20, Forster donna des conférences sur l'art du roman. Elles furent traduites, il y a une quinzaine d'années, éditées chez Christian Bourgois sous le titre "Aspects du roman". Je ne sais si je simplifie ou déforme le souvenir qui me reste de cette lecture : autant de bon sens que de subtilité, et aucunement l'impression d'assèchement stérilisant que m'avaient donnée les articles structuralistes français ; et, à propos du narrateur et du point de vue, je résumerais mon souvenir ainsi : le narrateur est toujours omniscient mais il fait parfois semblant de ne pas l'être.
16 décembre 2010, 17:34   Et si...
Comme un très gros soupçon d'une quantité non-négligeable d'écrivains avortés, d'écrivains qui n'osèrent pas, de littérateurs frustrés, et de subséquent désir de vengeance, dans toute cette compagnie souvent moliéresque des structuralistes.
16 décembre 2010, 17:49   Re : "A droite toute"
Personnellement, je suis très attaché à la tradition de James et de Percy Lubbock, dont il me semble que la continuation logique est Franz Karl Stanzel. Ses théories sur le narrateur sont d'une parfaite clarté, présentent l'avantage de ne pas se fonder sur des présupposés idiots ni de se perdre dans des lubies, et permettent justement, cela fera plaisir à Jean-Marc, de ne pas voir du narrateur partout. Le pauvre Stanzel n'est même pas traduit en français parce qu'il n'intéresse personne. Mais on trouve son Theorie des Erzählens en anglais sous le titre Theory of Narrative.
16 décembre 2010, 19:10   Allez...
"La nuit je lis au lit Zola
qui de Mercier fouettait la bile.
En cette chambre où m'isola
la nuit je lis au lit Zola.
Dieu quel talent cet oiseau-là !
Oh ! Le grand homme ! Oh ! L'homme habile !
La nuit je lis au lit Zola
qui de Mercier fouettait la bile.

Pour jouer au loto Loti
Estimait surtout le frère Yves.
Morbleu ! comme il fut bien loti
Pour jouer au loto, Loti !
En vain les filles de Loth i-
raient le chatouiller sur les rives ;
pour jouer au loto Loti
estimait surtout le frère Yves."

Georges Fourest
In Le géranium ovipare (1935)
16 décembre 2010, 19:23   Re : "A droite toute"
Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi et comment on est passé de Georges Fourest é à Caroline Fourest este ?
16 décembre 2010, 20:19   Re : "A droite toute"
... et de Ouest-France à Oueste-France ? ... qui s'explique peut-être par la difficulté à articuler en français quatre consonnes successives ?
16 décembre 2010, 20:27   Re : "A droite toute"
Chatterton,

Nous sommes d'accord, je pense, sur l'intérêt que de tels ouvrages présentent.

Le problème est autre, et Cassandre et moi avons réagi vivement à la découverte d'un système où des élèves de quinze ans n'étaient amenés à voir la littérature qu'à travers ce prisme.

Qu'on parle de structures dans une faculté de lettres, je n'ai rien contre. Qu'on les évoque sans cesse en seconde, et c'est ce que nous dit Orimont, les bras m'en tombent.
16 décembre 2010, 21:10   En verse et contre toute
"Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi et comment on est passé de Georges Fourest é à Caroline Fourest este ?"

Peut-être le déclin de la poésie rimée y est-elle pour quelque chose. La rime - fût-elle celle des jeux floraux - n'a plus donné d'indication de prononciation.

__

"Qu'on parle de structures dans une faculté de lettres, je n'ai rien contre."

Moi non plus, j'espère que vous n'en doutez pas. Mais découvrir la langue par la vulgarisation structuraliste (bouillie déjà servie dès le cours élémentaire où l'on donne à comparer "en tant qu'énoncé" une réplique de Molière, une "bulle" de Lucky Luke et un panneau de signalisation routière, tout ça, ce sont des "énoncés" (eh oui ! grand con, ce sont des énoncés !) c'est comme découvrir ce que pourrait être l'amour par la pornographie.
16 décembre 2010, 21:14   Re : "A droite toute"
Oui, Jean-Marc, nous sommes tous d'accord sur le fond. Je faisais seulement remarquer que la prétendue science de la littérature telle qu'enseignée au lycée est frauduleuse de surcroît. Elle dégoûte les adolescents des lettres et elle ne les initie même pas à d'éventuelles études en faculté, puisque elle affiche parfois quarante ans de retard. (38 ans exactement dans l'exemple versé par Orimont.)
17 décembre 2010, 10:15   Re : "A droite toute"
Pour en revenir au commencement de ce fil, les commentaires des lecteurs du site littéraire du "NouvelObs", bien que peu nombreux, sont plutôt favorables à Renaud Camus. Etonnant qu'ils aient été publiés, même.
Utilisateur anonyme
17 décembre 2010, 11:45   Re : "A droite toute"
Citation
Kiran Wilson
Pour en revenir au commencement de ce fil, les commentaires des lecteurs du site littéraire du "NouvelObs", bien que peu nombreux, sont plutôt favorables à Renaud Camus. Etonnant qu'ils aient été publiés, même.

Toujours la théorie du complot, la presse pourrie, les journalistes vendus. Air connu, une vraie scie.
17 décembre 2010, 11:51   Re : "A droite toute"
Je ne partage pas l'avis de Kiran : en général, les commentaires des lecteurs qui apparaissent sur les différents sites sont très contrastés, et il ne me semble pas qu'il y ait de freins à la parution.
17 décembre 2010, 12:13   Re : "A droite toute"
Rares sont les lecteurs qui disent amen à tous les coups.
17 décembre 2010, 12:20   Re : "A droite toute"
Comment ça, théorie du complot ? Je ne verse absolument pas dans ce travers mais il se trouve que je tente d'appliquer une décision que nous avons prise ici il y a quelque temps : utiliser la possibilité de poster des commentaires à la suite d'articles publiés par la presse en ligne pour tâcher de faire connaître nos idées. Je le fais, ou tente de le faire, notamment sur les sites du Monde et du Figaro, plus rarement de L'Express ou du Point. Il n'est pas dans mes habitudes d'écrire des grossièretés ou de tenir des propos contraires à la loi ; or, la proportion de mes commentaires qui passent, variable selon les sites, ne doit pas dépasser une petite moitié. Curieusement, c'est Le Figaro qui en censure ("modère" comme on dit en novlangue journalistique) le plus. Quant au Nouvel "Obs" en ligne, je l'ai vite abandonné car il ne publiait à peu près rien.

J'ai souvent été ébahi de constater que ces gens qui censuraient mes propos avaient laissé passer des commentaires disant à peu près la même chose et de façon nettement plus virulente (et en outre grossièrement mal écrite) que je n'avais tenté de le faire. Je n'ai cependant jamais pensé qu'il y avait un complot contre moi. Alors ? Incohérence des pratiques des différents "modérateurs" ? Volonté de peser sur l'équilibre affiché en diminuant la proportion des commentaires mal-pensants ?

Par ailleurs, personne ne parle ici de presse "vendue", ni même "pourrie". Nous lui reprochons d'être, très souvent, paresseuse, extraordinairement conformiste, beaucoup plus soucieuse de propager les "bonnes" idées que d'informer sur la réalité, d'un niveau culturel et langagier exécrable — c'est pourquoi votre article sur la musique nous a beaucoup étonné — bref, d'être l'instrument privilégié de la collaboration au Grand Remplacement, du passage à la France d'après, de la généralisation de la gnangnantise, et autres joyeusetés modernes. C'est beaucoup, mais "pourrie", "vendue", non.
17 décembre 2010, 12:23   Re : "A droite toute"
La presse est pourrie Monsieur Drillon, et les journalistes sont vendus, les journalistes sont un frein, ils freinent des quatre fers contre l'émergence du réel, et ce fait journaliste qui se redonne à connaître toute les fois que l'on ouvre les yeux sur lui, comme vous dites, est bien une vraie scie. Ce que l'on remarque toutefois, c'est que le "modérateur" de cette réalité commence à avoir peine à suivre les commentaires qui la dépassent et la dénoncent. Il semble commencer à s'essouffler à les effacer, avec sa petite éponge, de ses petits bras. C'est bon signe. La scie s'épuise.
17 décembre 2010, 12:23   Re : "A droite toute"
Je n'adhère pas le moindrement à la théorie du complot, je trouve que la presse est pourrie et crois que les journalistes sont assujettis.
Utilisateur anonyme
17 décembre 2010, 12:53   Re : "A droite toute"
"Je ne résiste pas à ce mariage de la poésie et de la politique. "

et j'aimerai ajouter le mot littérature qui justifie bien la candidature de M. Camus pour ses réflexions.

Quant à la presse, senza commento !
Utilisateur anonyme
17 décembre 2010, 13:12   Re : "A droite toute"
(Message supprimé à la demande de son auteur)
17 décembre 2010, 13:19   Re : "A droite toute"
Didier,


Sous les yeux d'Occident, en quelque sorte ?
Utilisateur anonyme
17 décembre 2010, 13:27   Re : "A droite toute"
(Message supprimé à la demande de son auteur)
17 décembre 2010, 13:32   Re : "A droite toute"
Vous me fresnay dans mon élan...
17 décembre 2010, 13:35   Re : "A droite toute"
Citation
Marcel Meyer

J'ai souvent été ébahi de constater que ces gens qui censuraient mes propos avaient laissé passer des commentaires disant à peu près la même chose et de façon nettement plus virulente (et en outre grossièrement mal écrite) que je n'avais tenté de le faire.

A mon avis, il y a une explication assez simple à cela : La teneur de certains de ces propos, manifestement, dérange les modérateurs. Cependant, ils vont choisir d'en laisser passer quelques-uns, pour afficher leur "neutralité" ou une apparence de souci d'équilibre ; mais ils vont alors choisir ceux qui sont grossiers ou mal formulés, pour dévaloriser ce courant d'idées. C'est donc une pratique parfaitement cohérente, au contraire, qu'ils exercent là. Malgré tout, comme le souligne justement Francis, ces braves soldats commencent manifestement à être un peu débordés de toute part...
Utilisateur anonyme
17 décembre 2010, 13:43   Re : "A droite toute"
(Message supprimé à la demande de son auteur)
17 décembre 2010, 13:50   Re : "A droite toute"
Je suis un peu surpris de l'espèce d'animosité que M. Drillon témoigne ici, car j'ai trouvé parfaitement loyale sa transcription de l'entretien que nous avons eu ensemble. Il a un peu abrégé, bien sûr, mais c'est la loi du genre, et je ne disais rien de bien remarquable. Le titre, évidemment, semble sans rapport avec l'entretien, mais nous sommes tous d'accord pour faire à Jacques Drillon le crédit de penser qu'il n'est pas de lui. Et il a eu la générosité de ne pas faire état d'une méchante faute de français sous ma plume, qui dépare la première phrase du deuxième paragraphe de notre brochure... Quant à son très bel article sur l'état actuel de la musique, il a toute notre sympathie. Pourquoi donc nous accuser un peu automatiquement d'obsession pour la "théorie du complot", un travers dont nous me semblons relativement exempts ?
17 décembre 2010, 17:51   Re : "A droite toute"
Un lecteur du site de BibliObs a justement, en commentaire, posé la question pour savoir de qui était le titre de l'article, ce à quoi il lui fut répondu que c'était tout simplement la rédaction des pages littéraires de l'Obs qui l'avait choisi, et que poser une telle question était décidément bien étrange...
17 décembre 2010, 21:59   Quand les ruines étaient belles
À propos de huysmans :

« Il est difficile de trouver un écrivain dont le vocabulaire soit plus étendu, plus constamment surprenant, plus vert, et en même temps plus exquisément faisandé, plus constamment heureux dans la trouvaille et même dans l'invention. La substance de la langue, et surtout l'adjectif, qui surgit chez lui non pas colorié, mais imbibé de couleur dans toute sa masse, a l'éclat, l'épaisseur de matière et le feu sourd des émaux cloisonnés.
Et il est difficile d'en trouver un dont la syntaxe soit plus monocorde, plus ressassante, plus indigente et comme délabrée. La phrase procède par aplats d'éblouissantes touches au couteau juxtaposées, que nul lien de relation ou de subordination sérieusement ne cimente. Plus pauvre encore, et comme ataxique, est le cheminement du paragraphe,, gauchement scandé par la ritournelle des Puis... Enfin... Et c'était... En somme... qui reviennent concasser le texte de page en page comme les coups de marteau d'un jaquemart. Tout le mouvement lié et souple qui anime un livre, lui donne une pente, un étagement de plans, une perspective, s'est chez lui figé ; ses livres ressemblent à un édifice de pierres rares fracassé par un séisme ; les moellons luxueux, et tout ce qui a pour destination de s'arcbouter pour s'étager en hauteur, gisent à terre côte à côte, comme s'ils ne rêvaient que de retourner à la carrière originelle.
Ce sont de somptueux éboulis de livres. »

Gracq, En lisant en écrivant
Oui, il ne manque qu' En somme, dans la si parlante musique des titres du créateur d' A vau-l'eau.

On pourrait faire un trait d'union entre deux fils en rappelant le goût juvénile et immodéré d'André Breton, le grand démoralisateur, pour A rebours.
C'était encore un démolisseur aux moellons magnifiques, c'est pourquoi les rumeurs de ses apparitions récentes rues Myrrha et Poissonnier ont de quoi surprendre...
19 décembre 2010, 17:15   Re : "A droite toute"
Merci pour cette exquise citation, M. Eytan. Il faut être un grand écrivain pour définir en deux termes la première et obscure impression que l'on ressent à la lecture de Huysmans : oui, ce sont bien des "moellons luxueux" surimposés les uns aux autres, sans plan pour les ordonnancer, un ramassis de sensations éparses jointes entre elles par la force d'un art d'ofèvre et de miniaturiste, et s'échelonnant mollement dans une suite ininterrompue d'instants séparés les uns des autres. A rebours est le plus piètre des récits, Julien Gracq avait raison, mais la plus riche et somptueuse des cathédrales.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter