Voux ne comprenez rien : selon
Le Monde Jamel est
camusien.
Et puis les premières lignes de ce panégyrique, consacrées aux pauvres jeunes terrorisés par la police, sont délectables.
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Jamel Debbouze passe du rire à la réflexion
| 29.01.11 | 14h06 •
Moins drôle, plus grave Jamel. Moins tchatcheur, moins bête de scène. Davantage dans un exercice de sincérité que dans un registre très écrit destiné à faire gondoler une salle bondée. Jamel Debbouze est aujourd'hui âgé de 34 ans. L'âge d'homme, l'âge de la conjugalité heureuse avec la journaliste Mélissa Theuriau qui, dit-il, lui a enlevé tous ses complexes.
Avant, il courait, mimant ce manège absurde auquel sont réduits ces gosses de banlieue - forcément coupables. De quoi ? De rien. Parce qu'il en est ainsi dans les cités. Courir sans raison, par peur, irraisonnée ou non, des flics. Cette fuite, métaphore d'un désir éperdu de sortir de l'impasse, de l'immobilité d'un présent sans avenir, l'humoriste la mettait jadis en scène, en longues enjambées, genoux fléchis. Sa récente paternité, si elle l'a rendu heureux, lui a aussi flanqué la trouille. Pour lui-même.
"Le nouveau truc dans la vie, c'est la peur, confiait-il à la fin de son nouveau spectacle, Tout sur Jamel, le 18 janvier, à la Maison des arts de Créteil (Val-de-Marne). Quand je traverse la rue, je mets quarante-cinq minutes." Etonnant de voir Jamel Debbouze devenu une superstar et l'une des personnalités préférées des Français, à quelques jours de sa première au Casino de Paris - son grand retour sur scène après six ans d'absence -, peu à l'aise, séchant parfois sur une repartie. Plus discursif que ludion au parcours et talent atypiques, cette trépidation corporelle qu'on lui connaissait, la distorsion du langage, le débit à jet continu, l'inspiration jaillissante.
Le stand-up qui consiste à bannir les sketches à personnages, à faire mine de converser avec le public, à parler de soi et réagir à l'actualité, atteint forcément ses limites dès lors qu'on se refuse à commenter la politique. "Sur Nicolas Sarkozy, mon stylo s'est sauvé. Tout a été dit." Les copains ? Ils sont devenus célèbres. La vie privée ? La rencontre au final harmonieuse de deux familles qu'opposaient à l'origine de mutuels préjugés et une différence de classe sociale, raconte-t-il.
Mariage mixte donc et signe supplémentaire, si besoin était, que l'intégration progresse. Ce que ne cesse de marteler en plateau, dans les journaux et aujourd'hui sur scène Jamel Debbouze, exemple et porte-parole des réussites de l'immigration. Lui-même a contribué à réparer des injustices, à combler des angles morts.
Par le film Indigènes (2006) et la création, avec son complice et son coauteur de toujours Kader Aoun avec lequel il est aujourd'hui définitivement brouillé, de la troupe black-blanc-beur du Jamel Comedy Club. Celle-ci tourna pendant trois ans et donna, dit-il, des "couleurs au PAF". Elle fut dissoute pour cause de dissensions internes. "On est toujours le raciste de quelqu'un", conclut-il en 2011.
Il y a chez Jamel Debbouze quelque chose de camusien, au-delà de l'humanisme, de la conviction profonde d'une conciliation des cultures, de l'engagement politique et citoyen. Il partage avec l'écrivain l'amour de la mère - la sienne, femme de ménage comme Catherine Camus, éleva six enfants -, une enfance où la "religion, c'était le foot" et la dette dont il s'acquitte aujourd'hui - comme naguère le boursier Camus envers son instituteur Louis Germain - vis-à-vis de ce professeur qui, en 6e, lui fit découvrir l'improvisation théâtrale. "C'est la première fois que quelqu'un voulait me revoir (...). J'en ai pris pour perpette."
Sinon, que dit-il de plus sur lui dans Tout sur Jamel, qu'ajoute-t-il à 100 % Debbouze (2004), où il avait travaillé les sillons biographiques de son enfance à Trappes (Yvelines), son quartier, la ZEP, tous ces thèmes du dénuement, de la relégation et de la double culture repris par les comiques de la génération suivante auxquels il a ouvert grand la voie ?
Quelques anecdotes. La peur de ses élèves éprouvée par l'enseignant d'histoire-géo a remplacé le mépris dont les collègues accablent le prof de techno qui voit autre chose en ses ouailles que de malhabiles dépositaires de la culture académique. Ce qu'il avait passé sous silence, comme le récit traumatique de sa circoncision subie à l'âge de 10 ans avec un couteau de boucher alors qu'on l'avait ce jour-là, au Maroc, vêtu comme un petit prince, acclamé par des youyous sans l'avertir de rien. A entendre cet épisode quasi sacrificiel, une vive émotion passe dans la salle, redoublant celle de Jamel. Il n'en sera pas, ajoute-il, de même pour son fils, Léon.
Sans guère d'introduction ni de chute, le spectacle que livre Jamel s'inscrit dans ce cheminement réflexif qui mène du fils au père. Comment les identités évoluent, comment il faut conquérir sa liberté en s'affranchissant des étiquettes et des embrigadements. Notamment la religion, qui devrait rester dans la sphère privée, "prend trop de place", "parce que la politique ne fait pas son travail".
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