JJSC, vous êtes injuste en ce sens que vos propos m'intéressent. J'ai des opinions affirmées, mais je suis prêt à modifier mon point de vue si on m'expose des faits.
Si vous voulez, discutons.
Sur le premier point, il se trouve que j'ai eu à connaitre de plusieurs affaires relatives au domaine des infrastructures au sens large.
La loi est précise : elle nous parle de la "maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". Vous êtes juriste, je pense. Ma partie en matière de droit est la partie administrative. Je constate que le juge judiciaire a tendance à lire dans "le règlement" tout texte, alors que je n'y lis que les décrets.
Pour la maladresse, l'imprudence ou l'inattention, on voit bien de quoi il s'agit : vous laissez le gaz allumé et votre friteuse au-dessus ; vous laissez tomber un pot de fleur du huitième étage.
Je pense à d'autres choses, et je vous expose deux cas.
L'un, dans un département du sud, concerne un accident de la route. Un particulier se tue dans un virage, en excès de vitesse. La famille dépose une plainte, sous le prétexte que la DDE aurait dû, comme il y avait eu déjà un accident dans le virage, mettre en place des glissières de sécurité.
Le magistrat instructeur a fait flèche de tout bois, lancé des commissions rogatoires, convoqué celui-ci et celui-là, demandé que soit apportée la preuve que les investissements réalisés l'avaient été avec des priorités bien définies, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'instruction s'éteigne à la suite de son départ, son successeur prenant connaissance du dossier rendant une ordonnance de non-lieu, je pense. Je dois préciser que le premier de ces magistrats était réputé pour son activisme phénoménal contre les "puissants", patrons et autres fonctionnaires d'autorité. On voit que, dans la même affaire, on a deux comportements différents : celui du second juge d'instruction qui se fait une idée raisonnable, celui du premier qui poursuit des chimères. Le problème tient au fait que, sur un dossier particulier, l'activiste peut être bridé par la chambre de l'instruction, mais que son caractère inamovible empêche de l'empêcher de semer le désordre.
Le second cas est connu, c'est celui de Furiani. Le DDE venait de prendre ses fonctions, et ce que je sais du dossier me montre qu'il n'avait aucune responsabilité dans l'affaire. Il fut néanmoins embarqué dans la charrette de la correctionnelle. Le procès sembla démontrer qu'il n'y était pour rien, et effectivement le tribunal le relaxa. A cet instant, chose surprenante, le parquet fit appel. La juridiction d'appel confirma la relaxe. Je crois voir là un acharnement, on peut penser autrement, j'en conviens.
Je crois, très franchement, JJSC, que le rôle de la justice est d'appliquer la loi dans le sens de l'ordre social. Il me semble qu'il y a eu tendance, je n'en suis pas sûr mais je le pense, de la part de certains magistrats, à instrumentaliser la loi au profit d'une idéologie.
Un dernier exemple. Vous connaissez Denis Robert, qui fut poursuivi dans l'affaire Clearstream (pour un motif d'ailleurs noble, à mon sens, qui est d'avoir poussé trop loin ses investigations). Denis Robert est un fanatique de la lutte anti-corruption, un homme qui y consacre sa vie et son talent (c'est lui qui sortit une des premières affaires, l'affaire Gossot, quand il travaillait à Libération). Il se trouve que Denis Robert enquêta aussi sur les affaires Longuet, et qu'il eut, par les voies que vous imaginez, accès aux pièces de la procédure. Denis Robert n'hésita pas à dire et à écrire que certains juges s'acharnaient sur Longuet sans raison valable.
Mon propos, sur ce premier item, est donc le suivant : il y a une réelle difficulté à traiter, au sein de l'institution judiciaire, le comportement des magistrats qui ont une trop grande autonomie (euphémisme).
Le second item est relatif au fonctionnement du corps des magistrats.
De quoi ce corps tient-il sa légitimité ? d'un concours passé et d'un serment. Il ne la tient pas de l'élection.
Ceci dit, suivons le magistrat pas à pas.
Pour ce qui est du concours d'entrée, j'ai été excédé par certaines littératures syndicales portant sur les épreuves du concours. Il y a méprise. C'est au pouvoir exécutif de définir la nature des épreuves, par décret je pense. Si le pouvoir exécutif décide qu'il doit y avoir une épreuve de psychologie, les juges passés, présents et à venir n'ont rien à dire, c'est sa prérogative. En revanche, cette épreuve doit être corrigée par des spécialistes, dans les conditions normales des concours. Ensuite, on nomme suivant les termes de la loi. Vous voyez, je ne mets pas en cause une cooptation, je mets en cause ce que je pense être une prétention à définir le contenu de l'enseignement.
Pour l'évaluation, c'est plus complexe. Je ne pensais pas à celle des magistrats qui ne sont pas chefs de juridiction ou qui ne sont pas sur des postes autonomes. Je crois que, pour eux, la procédure est la même que pour tout agent public, avec les mêmes avantages et inconvénients.
Je pensais aux chefs de juridiction et aux procureurs (à vrai dire, je ne sais qui les évalue).
Dans mon cas, j'ai été autrefois évalué par mes supérieurs direct, sous le contrôle des inspecteurs généraux de mon corps technique. Quand j'ai eu des fonctions autonomes, j'ai été évalué par le préfet, les inspecteurs généraux ne donnant qu'un avis.
C'est cette différence qui est importante : il n'y a pas de regard externe. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? je ne sais, je constate.
Pour ce qui est des nominations, j'entends toujours les syndicats de magistrats se plaindre qu' untel est nommé ici et untel là par faveur. C'est d'abord faire peu de cas de la valeur de ces personnes. Ensuite, et je vais peut-être vous faire bondir, mais je ne vois pas pourquoi le pouvoir exécutif ne nommerait pas Truc comme procureur de Machin sans que personne ne dise rien du moment que Truc a les qualifications et le grade correspondant.
C'est donc plus autre chose qu'une preuve, c'est un ressenti à partir du discours même de vos représentants (je vous pense magistrat). Je ne sais si je m'exprime bien clairement, mais je voulais vous faire comprendre que beaucoup de Français perçoivent la demande du Syndicat de la magistrature de la façon suivante : le pouvoir politique doit être éloigné de tout ce qui concerne la carrière des magistrats.
Un dernier point : je trouve extraordinaire que des syndicats de magistrats critiquent des lois. Qu'il disent qu'il y a trop de lois, de façon générale, oui. Qu'ils disent que telle loi n'est pas applicable car il n'y a pas de décret d'application, oui. Qu'ils formulent un avis d'opportunité, non.
Vous voyez, je ne traite pas vos arguments par dessous la jambe.