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Un Petit bourgeois

Envoyé par Thierry Noroit 
17 février 2011, 12:05   Un Petit bourgeois
L'écrivain François Nourissier vient de mourir, après une longue agonie. Les rapports entre Renaud Camus et François Nourissier sont peu perceptibles, à première vue. En tant que critique, François Nourissier n'a sans doute jamais parlé de Renaud Camus, ou très rarement. De son côté, Renaud Camus a écrit quelque part (approximativement) que dans son
milieu littéraire personne n'aurait jamais eu l'idée de lire Nourissier ou de lui accorder la moindre importance.

Il y a deux lignées littéraires distinctes voire opposées : celle du Nouveau Roman, dont Renaud Camus est proche puisqu'il écrit encore dans son journal de 2008 qu'il se sent un successeur de Robbe-Grillet, plus exactement un écrivain qui vient après Robbe-Grillet et tient compte de son héritage. Et celle dite des Hussards, jeunes gens de droite impertinents et peu portés aux jeux littéraires formels.

(Cela n'empêche pas d'éventuels rapports personnels excellents puisque Nourissier et Robbe-Grillet étaient paraît-il très amis, mais A.R-G. était facilement ami avec tout le monde).

Malgré le peu de considération réciproque entre feu François Nourissier et Renaud Camus, on peut établir quelques rapprochements, saisir quelques affinités paradoxales.

Le cas est un peu semblable à celui de Jean Raspail, que tout semble opposer à Renaud Camus, et dont on s'aperçoit au fil du temps que leurs oeuvres ont bien des thèmes en commun.

Je dirai pour commencer que si Renaud Camus est un écrivain "de gauche" avec un "imaginaire de droite", on peut dire exactement le contraire de François Nourissier : écrivain "de droite" (mollement gaulliste puis chiraquien) avec un imaginaire de gauche.

François Nourissier a écrit un livre (sans doute son plus célèbre) intitulé : Un Petit bourgeois.

Renaud Camus est obsédé par la petite bourgeoisie conquérante.

Cela dit, le titre de François Nourissier est ambigu. Il peut être entendu comme : un jeune bourgeois. Ou bien comme :
un petit-bourgeois.

François Nourissier et Renaud Camus semblent issus d'un milieu social analogue : bourgeoisie moyenne en perte de
vitesse, ce qui les rend l'un comme l'autre très attentifs aus différents échelons de la bourgeoisie et explique leur fascination (plus prononcée chez François Nourissier) pour la haute bourgeoisie mêlée au pouvoir politique, économique, culturel.

François Nourissier et Renaud Camus sont tous deux des maîtres de l'autobiographie et, notamment, de l'auto-portrait.

Ils ne se sentent ni l'un ni l'autre principalement romanciers, même s'il faut bien céder à ce genre littéraire hégémonique.

Ils ont l'un et l'autre pratiqué avec passion l'équitation dans leur jeunesse et cela me semble extrêmement important dans les deux cas.

Je laisse à d'autres éventuellement le soin de compléter le parallèle (études à sciences po...), si cela semble présenter aux
habitués de ce forum le moindre intérêt... à moins que ce genre de considérations soit plus à sa place sur le forum d'en face, celui des lecteurs ?
17 février 2011, 12:48   Re : Un Petit bourgeois
Buena Vista,

Vous nous dites :

Il y a deux lignées littéraires distinctes voire opposées : celle du Nouveau Roman, dont Renaud Camus est proche puisqu'il écrit encore dans son journal de 2008 qu'il se sent un successeur de Robbe-Grillet, plus exactement un écrivain qui vient après Robbe-Grillet et tient compte de son héritage. Et celle dite des Hussards, jeunes gens de droite impertinents et peu portés aux jeux littéraires formels.

Je n'en suis pas du tout persuadé. Pour moi, les Hussards étaient surtout fondés sur l'opposition à Sarte et à l'existentialisme.

Je déteste Sartre et je n'aime pas Robbe-Grillet. Il me semble cependant évident que Sartre est bien plus important dans la littérature française et dans l'histoire des idées que ne l'est Robbe-Grillet. Il est logique que ce soit par rapport à lui qu'ont été définis les mouvements littéraires de 1950 à 1965 (le texte de Robbe-Grillet sur le nouveau roman est de 1963, l'appellation "Hussards" de 1952).
17 février 2011, 13:21   question de dates
Oui, vous avez sans doute raison, l'opposition des Hussards à la littérature "engagée" de Sartre et de son entourage est au moins aussi forte et constante que leur opposition aux exercices formels du Nouveau Roman. Cela dit, prenez garde que la justification théorique du Nouveau Roman par A. R.-G. est largement rétrospective et postérieure aux oeuvres significatives. Pour un nouveau roman, publié "chez Minuit" (je donne des verges pour me faire fouetter) en 1963 est un recueil d'articles parus durant la décennie précédente. Ce n'est pas le coup d'envoi du Nouveau Roman. Mais plutôt une sorte de point d'orgue. Et le signe de la volonté de A. R.-G. de passer à la postérité comme le chef d'école de ce mouvement, menacé qu'il était à la fois par Michel Butor et Nathalie Sarraute, dont la renommée littéraire égalait ou dépassait la sienne, du moins en France.
17 février 2011, 13:31   Re : Un Petit bourgeois
Oui. Pour les appellations, on notera que "Le Hussard bleu" est lui aussi (et fort logiquement) antérieur.

Je suis toujours, rétrospectivement, frappé par l'oubli de Sartre, qui n'a d'égal que son omniprésence il y quarante ou cinquante ans.
17 février 2011, 14:09   Re : Un Petit bourgeois
N'oublions pas Claude Simon.
17 février 2011, 19:56   Re : Un Petit bourgeois
Cher Jean-Marc,

Oubli de Sartre ? Sur quoi étayez-vous cette affirmation ? Sartre se vend toujours très bien (certainement plus que Claude Simon), ses écrits autobiographiques ont eu les honneurs de la Pléiade assez récemment, il est étudié (peut-être un peu moins joué, en effet.)
17 février 2011, 20:51   Re : Un Petit bourgeois
Vous m'apprenez que Sartre se vend. J'ai essayé de relire des "vieux" Sartre, cela m'a paru horriblement daté...
17 février 2011, 20:54   Re : Un Petit bourgeois
17 février 2011, 21:04   Re : Un Petit bourgeois
Maître,

Je ne comprends pas votre message...
17 février 2011, 21:04   Re : Un Petit bourgeois
Maître, vous êtes trop dur : déjà qu'il avait mis "cela" à la place de "ça"...
Utilisateur anonyme
17 février 2011, 21:04   Re : Un Petit bourgeois
... de "vieux" Sartre, ...
17 février 2011, 21:12   Re : Un Petit bourgeois
On a toujours raison de se révolter : voilà un livre édifiant pour qui veut comprendre ce qui traîne encore dans les arrière-cours de l'esprit du temps...
17 février 2011, 21:17   Re : Un Petit bourgeois
Non, Julien, je maintiens "des vieux Sartre", car vieux et Sartre sont indissociables.
Utilisateur anonyme
17 février 2011, 21:25   Re : Un Petit bourgeois
(Message supprimé à la demande de son auteur)
17 février 2011, 21:31   Re : Un Petit bourgeois
Oui, vous avez raison, Didier. La faute y est, et c'est à la réflexion que l'idée d'associer Sartre à du vermoulu m'est venue.

Dois-je considérer ces messages comme une invitation à lancer une chasse aux incorrections ?
Utilisateur anonyme
17 février 2011, 21:35   Re : Un Petit bourgeois
(Message supprimé à la demande de son auteur)
17 février 2011, 21:55   Re : Un Petit bourgeois
C'est un débat majeur. Tout l'In-nocence y est.
17 février 2011, 22:03   Re : Un Petit bourgeois
C'est l'année Céline et vous nous parlez de littérature nourricière...
17 février 2011, 22:44   Re : Un Petit bourgeois
» je maintiens "des vieux Sartre", car vieux et Sartre sont indissociables

Il n'empêche, c'était bien joué.
18 février 2011, 08:54   Re : Un Petit bourgeois
Citation
Alain Eytan
» je maintiens "des vieux Sartre", car vieux et Sartre sont indissociables

Il n'empêche, c'était bien joué.

Il eût alors fallu que vieux Sartre fût tout entier entre guillemets, et non vieux seulement...
Utilisateur anonyme
18 février 2011, 09:58   Re : Un Petit bourgeois
(Message supprimé à la demande de son auteur)
18 février 2011, 10:52   Re : Un Petit bourgeois
Bravo et merci pour tous ces liens, mis ensemble, cher Didier !
18 février 2011, 11:13   Re : Un Petit bourgeois
Je crains de ne pas partager l'avis de la plupart des usagers de ce forum sur Sartre. D'accord, son théâtre est lourd, didactique, démonstratif ; d'accord, son oeuvre théorique ou philosophique est datée - encore que, lu comme une sorte de roman, "L'Etre et le Néant" contienne des passages fort stimulants. D'accord aussi pour "La Nausée[", qui ne tient pas la comparaison face, par exemple, au "Voyage au bout de la nuit". Mais les nouvelles du "Mur" et "Les Mots" me semblent avoir assez bien résisté au temps. J'ai relu l'an dernier "Les Chemins de la liberté", et j'avoue que j'ai été plutôt séduit, en tout cas pas rebuté du tout. Quant aux "Cahier pour une morale", aux livres sur Genet, Baudelaire ou Flaubert (je crois être un des rares contemporains à avoir lu les gros tomes de "L'Idiot de la famille" intégralement), j'ai trouvé tout cela passionnant - sans d'ailleurs adhérer pour autant à leurs conclusions. Un ami universitaire situé politiquement assez à droite m'a dit qu'il était en train d'écrire une ré-interprétation "droitière" de toute l'oeuvre de Sartre. Je suis assez curieux d'en connaître le résultat...
Utilisateur anonyme
18 février 2011, 16:50   Re : Un Petit bourgeois
Citation
Kiran Wilson
Un ami universitaire situé politiquement assez à droite m'a dit qu'il était en train d'écrire une ré-interprétation "droitière" de toute l'oeuvre de Sartre. Je suis assez curieux d'en connaître le résultat...

Ce projet de « réinterprétation droitière » de Sartre me semble extrêmement intéressant — notamment en ce qui concerne le premier Sartre, disons jusqu'aux années 50 environ, ou en tout cas avant la fameuse opération de « détournement de vieillard » par quelques fieffés trotskystes au tournant des années 70. Relisant L'être et le néant il y a quelques mois (pour le plaisir d'y retrouver cette psycho-ontologie, la conscience comme néant, qui reste à ma connaissance inégalée, et m'a toujours semblé d'une justesse et d'une fécondité prodigieuses), j'ai été frappé — peut-être après tout le monde — de voir combien l'éthique de la responsabilité qui y est développée est exactement ce que la néo-gauche d'inspiration trotskyste rejette avec véhémence depuis une trentaine d'années. Il n'y a pas si loin entre les vues sartriennes d'une conscience non-coïncidante, ou d'un « être qui ne peut pas se rejoindre », et la dénonciation du soi-mêmisme menée par qui vous savez. Le curseur politique ayant beaucoup bougé, jusqu'à renverser bathmologiquement beaucoup de positions, les salauds sartriens ne sont plus où ils étaient. Ils sont aujourd'hui, en majorité, parmi les représentants d'une certaine gauche pour laquelle chacun — sauf l'oppresseur, bien entendu, quel qu'il soit — a droit à toutes les excuses déterministes de la Terre. Les salauds sont désormais parmi les victimes (ou l'inverse).
18 février 2011, 18:25   Re : Un Petit bourgeois
Trapu.
18 février 2011, 18:41   Re : Un Petit bourgeois
Cher Monsieur, la citation vers laquelle vous voulez bien nous diriger m'a tant surpris, venant de Sartre et me paraît si intéressante que je me permet de la coller ici.

Citation

Tout effort de l’âne pour happer la carotte a pour effet de faire avancer l’attelage tout entier et la carotte elle-même qui demeure toujours à la même distance de l’âne. Ainsi courons-nous après un possible que notre course même fait apparaître, qui n’est rien que notre course et qui se définit par là même comme hors d’atteinte. Nous courons vers nous-mêmes et nous sommes, de ce fait, l’être qui ne peut pas se rejoindre.
Jean-Paul Sartre, « Qualité et quantité, potentialité, ustensilité », L’être et le néant, Gallimard, p. 244. Cliquez ici pour voir ce livre. +
Utilisateur anonyme
18 février 2011, 19:46   Sartre et Camus (non, pas Albert)
Il me semble exister un certain nombre de passerelles, plus ou moins inattendues, entre l'ontologie sartrienne et l'in-nocence ou le rinaldo-camusisme (du moins dans son versant psychologique ou moral). Tenez, on peut rapprocher par exemple ce passage camusien-ci de ce sartrien-là, ou bien encore de celui que voici, toujours tiré de L'être et le néant :

Citation
Jean-Paul Sartre, « Les conduites de mauvaise foi », L’être et le néant, Gallimard, pp. 98-99.
Que signifie, dans ces conditions, l’idéal de sincérité sinon une tâche impossible à remplir et dont le sens est en contradiction avec la structure de ma conscience ? Être sincère, disions-nous, c’est être ce qu’on est. Cela suppose que je ne suis pas originellement ce que je suis. Mais ici, naturellement, le « tu dois, donc tu peux » de Kant est sous-entendu. Je puis devenir sincère : voilà ce qu’impliquent mon devoir et mon effort de sincérité. Or, précisément, nous constatons que la structure originelle du « n’être pas ce qu’on est » rend d’avance impossible tout devenir vers l’être en soi ou « être ce qu’on est ». Et cette impossibilité n’est pas masquée à la conscience : au contraire elle est l’étoffe même de la conscience, elle est la gêne constante que nous éprouvons, elle est notre incapacité même à nous reconnaître, à nous constituer comme étant ce que nous sommes, elle est cette nécessité qui veut que, dès que nous nous posons comme un certain être par un jugement légitime, fondé sur l’expérience interne ou correctement déduit de prémisses a priori ou empiriques, par cette position même nous dépassons cet être — et cela non pas vers un autre être : vers le vide, vers le rien. Comment donc pouvons-nous blâmer autrui de n’être pas sincère ou nous réjouir de notre sincérité, puisque cette sincérité nous apparaît dans le même temps comme impossible ?

Moins soi-mêmiste, tu meurs.

La non-coïncidence du pour-soi sartrien, ou de la conscience, peut mener à la bathmologie, à la stratification de soi et de ses jugements. Le thème du néant, si sartrien, se rencontre également souvent sous la plume de R.C. (plus littérairement que politiquement, certes, et ceci mériterait plutôt d'être évoqué sur « l'autre forum » qui m'est plus familier), sous la forme de l'absence, du rien ou du creux. On peut aussi voir dans l'épuisant désir de ces choses, camusien, un avatar de l'insatisfaction perpétuelle de l'homme sartrien (je veux dire par là : du non-salaud).

Bref, pour résumer, il faut cesser de voir en Sartre un ridicule vieillard juché sur un bidon. (Je m'adresse là à l'univers, pas nécessairement aux habitués de l'In-nocence...)

Parlant de liens insoupçonnés, il faudrait aussi se pencher sur ceux de R.C. et de Pierre Bergounioux, deux personnalités et deux écrivains sans rapport apparent mais qui finissent par se rejoindre sur un nombre troublant de points. Mais comme je ne saurais rester « trapu » au-delà de cent mètres parcourus, je réserve l'exercice pour une autre fois.
Merci de rappeler ce point important : Sartre n'est pas à jeter (tout au plus loin devant soi), à condescendre, ni même à dépoussiérer. Je me permets de me citer à propos de l'humanisme (comme caractérisation fondamentale de la condition humaine) sartrien forcément anti-soi-mémiste :

« D'un autre côté, l'existentialisme sartrien ne dénie-t-il pas à l'homme, garçon de café ou pas, toute possibilité réelle de se recouper ou de se (re)trouver, précisément, par sa caractérisation de la condition humaine en général comme "pour-soi", qui réalise un départ et une distance irréconciliable de soi à soi, du fait de la conscience, au contraire de l' "en-soi" objectal, modèle inatteignable de la parfaite coïncidence soi-mêmiste ? ...

Dans ces conditions ce qui est épinglé par Sartre est justement le mime d'un "je" propre, le jeu du "je", et même la postulation forcément erronée qu'il y en ait un, dont la comédie sonnera toujours faux, et non le maintien de la distance et de l'étrangèreté intime, qui sont de toute façon posées comme un destin. »
Utilisateur anonyme
18 février 2011, 22:33   Re : Sartre et Camus (non, pas Albert)
Citation
Alain Eytan
Merci de rappeler ce point important : Sartre n'est pas à jeter (tout au plus loin devant soi), à condescendre, ni même à dépoussiérer.

Tout à fait d'accord. Je suis toujours stupéfait par le dédain qui se manifeste généralement, aujourd'hui, quand on évoque le philosophe Sartre : « clone raté de Heidegger », « humaniste obsolète », « Husserl au petit pied » et toutes autres éternelles variations absurdes sur les mêmes thèmes, le plus souvent proférées sans être jamais allé au-delà de la lecture de L'existentialisme est un humanisme. Même si, bien sûr, des phrases comme « tout anticommuniste est un chien » restent très difficilement excusables.

Citation
Alain Eytan
Je me permets de me citer à propos de l'humanisme (comme caractérisation fondamentale de la condition humaine) sartrien forcément anti-soi-mémiste :
« D'un autre côté, l'existentialisme sartrien ne dénie-t-il pas à l'homme, garçon de café ou pas, toute possibilité réelle de se recouper ou de se (re)trouver, précisément, par sa caractérisation de la condition humaine en général comme "pour-soi", qui réalise un départ et une distance irréconciliable de soi à soi, du fait de la conscience, au contraire de l' "en-soi" objectal, modèle inatteignable de la parfaite coïncidence soi-mêmiste ? ...
Dans ces conditions ce qui est épinglé par Sartre est justement le mime d'un "je" propre, le jeu du "je", et même la postulation forcément erronée qu'il y en ait un, dont la comédie sonnera toujours faux, et non le maintien de la distance et de l'étrangèreté intime, qui sont de toute façon posées comme un destin. »

Cette distance de soi à soi, si finement posée dans le concept de néant (ou de liberté, mais je trouve le mot moins fort, moins précis), est-elle une sorte d'hapax philosophique, si j'ose dire ?
Bernard Bourgeois écrit de l'Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel qu'elle est « le Livre, non encore remplacé, dans lequel l'humanité peut découvrir le sens s'unifiant dialectiquement de son expérience totale des choses ». J'aime beaucoup cette expression de livre, non encore remplacé, etc., et je me suis souvent demandé si L'être et le néant était le livre, non encore remplacé, de la conscience comme néant.
18 février 2011, 22:50   En rade
Le Roquentin de La nausée m'a toujours paru une sorte d'aboutissement des héros huysmansiens.
18 février 2011, 23:18   Re : Un Petit bourgeois
Demain il pleuvra sur Bouville.
19 février 2011, 04:44   Re : Un Petit bourgeois
Cher M. Farreny, je suis d'accord avec vous. Je pense depuis longtemps qu'il y a entre le 1er Sartre et les idées de Renaud Camus bien des points de convergence, et le "salaud" sartrien en effet est très proche du "soi-mêmiste" camusien. Les errements idéologiques de l'écrivain ne doivent pas nous faire oublier tout ce que son oeuvre (à mes yeux, d'une certaine façon, géniale, avec le côté un peu obtus du génie) nous dit encore. Relisez "L'Etre et le Néant", cher Jean-Marc, et vous serez surpris. Même son théâtre, si lourd par ailleurs, reste éclairant (pas le temps de développer). Je pense surtout à "Huis clos". Dès que le travail de mon ami universitaire sera achevé, je vous en communiquerai les références.

D'accord avec vous aussi sur l'évolution assez triste de Sartre dans ses dernières années. Le harangueur trotskysant des usines en grève fait un pitié si on le compare au jeune homme fougueux et si plein d'idées magnifiques (et que pour ma part je ne mépriserai jamais même s'il s'est fourvoyé idéologiquement plus tard) d'avant-guerre. Le trajet-Sartre nous rappelle (je ne vise pas Renaud Camus, chers amis...) que lorsqu'un écrivain prend au sérieux son rôle ou ses opinions politiques et donc sclérose sa pensée, ou accepte qu'on la sclérose à sa place, il est souvent perdu pour la littérature.
19 février 2011, 06:09   Re : Un Petit bourgeois
Pardon mais Sartre ne fut jamais trotskyste. Une des raisons d'être de la Gauche prolétarienne puis de la Cause du Peuple maoïste, de laquelle Sartre s'était institué rédacteur en chef de l'organe de presse du même nom, était, si l'on veut, pire que trotskyste: les maoïstes français opposaient aux trotskystes le fait que eux, les maos, avaient quelque chose à montrer de la révolution: la Chine. Et où qu'il est le pays de ton socialisme ? (les maos, surtout les premiers de promotion de l'ENS, adoraient s'exprimer comme ça), lançaient-ils à Krivine, jeté ainsi dans les cordes, invalidé pour mille ans. La manière de prendre le taureau par les couilles (A. Eytan) des maoïstes que fréquentait Sartre (Benny Lévy en tête) avait quelque chose d'irréprochable (toujours A. Eytan), et l'ami Sartre, tout Sartre qu'il était, s'était ainsi fait passer l'anneau dans le nez et avançait docilement au bout de la longe, n'hésitant pas, à l'occasion, à se comporter comme un animal de cirque, vous savez, l'éléphant que l'on fait monter sur un tonneau...
19 février 2011, 06:14   Re : Un Petit bourgeois
J'ai écrit "trotskysant", M. Marche. J'aurais pu écrire "maoïsant". Du reste le dernier Sartre m'intéresse fort peu, littérairement et théoriquement.
19 février 2011, 06:28   Re : Un Petit bourgeois
Oh cette petite mise au point ne s'adressait pas à vous particulièrement. On lit plus en amont, sous la plume de M. Farreny ou en tout cas avant la fameuse opération de « détournement de vieillard » par quelques fieffés trotskystes au tournant des années 70. Benny Lévy ne fut jamais "fieffé trotskyste". Un trotskyste n'aurait jamais dissout son organisation face à la vérité (de ce qu'était la Chine, le Kampuchéa dit démocratique, etc.). Sartre vieillissant fut détourné par des hommes sincères, passionnés, aveuglés et trompés, et pour finir lucide et courageux -- combinaison de traits qui ne se trouve pas chez les "fieffés trotskystes", la preuve: ceux-ci existent encore!
19 février 2011, 06:51   Re : Un Petit bourgeois
D'accord avec vous sur cette "mise au point".
19 février 2011, 09:07   Re : Un Petit bourgeois
» Cette distance de soi à soi, si finement posée dans le concept de néant (ou de liberté, mais je trouve le mot moins fort, moins précis), est-elle une sorte d'hapax philosophique, si j'ose dire ?

Oui, c'est possible. Mais aussi, chaque fois que le soi est défini par la conscience, pratiquement comme un produit dérivé de la réflexivité, la subjectivité est-elle instaurée par cette distance même. Ainsi le "je" de la Psychologie rationnelle de Kant est strictement un sujet d'inhérence, un connecteur logique liant le divers des représentations au même résultant de ce à quoi elles sont rapportées, qui est le sujet de la conscience. De même chez Schelling par exemple le moi est une intuition intellectuelle, "production libre, et dans laquelle ce qui produit et ce qui est produit sont identiques. [...] À l'intuition intellectuelle correspond le moi, car ce n'est que par la connaissance du moi par lui-même que le moi lui-même comme objet est posé".
Ainsi c'est au cœur de cette séparation, dans le dédoublement perpétuel opéré par l'instance réflexive, que naît le soi de l'identité, qui n'est rien d'autre qu'un identifiant.
(Le raccourci est vraiment hasardeux et même douteux, mas dès lors que l'acte (la conscience) et l'agent (le sujet) sont quasi identiques, se suscitant l'un l'autre, le soi apparaît comme causa sui, autrement dit comme création ex nihilo.)
20 février 2011, 03:19   Re : Un Petit bourgeois
En fait, je ne sais si Sartre fut jamais "détourné" de quoi que ce soit, tant la liberté dans l'acception qu'il lui donne implique une mystique de l'engagement qui n'a pas de raisons d'agir, seulement une nécessité d'agir. Le Bibendum du Tonneau ne contredit en rien le primat quasi absolu accordé à l'action, dans l'effectuation forcenée d'une liberté qui n'a d'autre horizon qu'elle même, il le conforte même : cela est ridicule, ne rime à rien, tant mieux ! Ne reste alors que l'action, la volonté toute tendue de son accomplissement.
En toute cohérence, il ne peut même y avoir de buts, ou de justification idéologique précédant ou orientant l'action, car ce serait antéposer l'essence comme sens à l'acte, qui est existence. Un comble, chez Sartre... Les causes sont alors aussi des néants, des riens qui ne font qu'enclencher le dynamisme de la liberté par manque, — à rapprocher de la privation d'Aristote.
Le lien avec Benny Levy n'est pas si improbable, loin de là, même le Levy religieux orthodoxe ; l'idéologie me semble parfois jouer chez Sartre le même rôle que Dieu chez certains juifs pratiquants : un infigurable prétexte à l'observance des Commandements, comme toute cause n'est jamais qu'un moyen trouvé pour mettre en œuvre le pur effort d'affirmer des actes libres (La réalité humaine est pur effort pour devenir Dieu, est-il écrit dans L'Être et le Néant).
20 février 2011, 09:28   Re : Un Petit bourgeois
Dieu comme prétexte à l'observance ? Intéressant et nettement plus inoffensif que la libération de l'homme (de lui-même ?) comme prétexte à l'engagement révolutionnaire.
Utilisateur anonyme
20 février 2011, 16:09   Re : Un Petit bourgeois
Citation
Francis Marche
Oh cette petite mise au point ne s'adressait pas à vous particulièrement. On lit plus en amont, sous la plume de M. Farreny ou en tout cas avant la fameuse opération de « détournement de vieillard » par quelques fieffés trotskystes au tournant des années 70. Benny Lévy ne fut jamais "fieffé trotskyste". Un trotskyste n'aurait jamais dissout son organisation face à la vérité (de ce qu'était la Chine, le Kampuchéa dit démocratique, etc.). Sartre vieillissant fut détourné par des hommes sincères, passionnés, aveuglés et trompés, et pour finir lucide et courageux -- combinaison de traits qui ne se trouve pas chez les "fieffés trotskystes", la preuve: ceux-ci existent encore!

Merci pour ces précisions. Il est vrai que j'ai mis bien vite ces deux courants dans le même sac, probablement par coupable inintérêt pour ce qui les distingue, relativement aux médiocres effets qu'ils me semblent avoir eu sur le Sartre des dernières années. D'un autre côté, des commentateurs comme Betty Cannon (Sartre et la psychanalyse, aux P.U.F. — question d'ailleurs passionnante) nous assurent que le Sartre de la fin, celui de la Critique de la raison dialectique, que je connais mal, ne diffère que superficiellement de celui de L'être et le néant. Mais le Sartre de la fin (la Critique) est-il aussi celui de la toute fin (les années 70) ? En d'autres termes, y a-t-il eu, dans son parcours, une authentique rupture, et est-elle philosophique, politique ou, plus prosaïquement, imputable à un tassement de ses moyens intellectuels (le « détournement de vieillard ») ?

Citation
Kiran Wilson
Les errements idéologiques de l'écrivain ne doivent pas nous faire oublier tout ce que son oeuvre (à mes yeux, d'une certaine façon, géniale, avec le côté un peu obtus du génie) nous dit encore. Relisez "L'Etre et le Néant", cher Jean-Marc, et vous serez surpris.

Tout à fait d'accord : le mot de génie ne jure pas, d'évidence, avec l'ontologie du premier Sartre. L'être et le néant est un livre d'exception, un de ceux, si français, dont notre pays peut être fier, et dont on se demande pourquoi l'université ne lui accorde pas (ou ne semble pas lui accorder — je ne la fréquente pas assez pour être affirmatif) une meilleure place. Bon, peut-être est-elle occupée à disséquer Badiou.

(Henri Thomas dit quelque part s'être « grisé » à lire L'être et le néant, jusqu'à avoir remarqué qu'il manquait une page à l'édition de 1943, cette fameuse page absente pour laquelle Gallimard n'aurait reçu en tout que deux ou trois lettres de réclamation de lecteurs... La théorie selon laquelle cette édition princeps n'aurait été rapidement écoulée que parce que le livre pesait exactement cinq cents grammes, ce qui en faisait une tare parfaite pour le marché noir, serait-elle ici confortée ?)

Citation
Kiran Wilson
Dès que le travail de mon ami universitaire sera achevé, je vous en communiquerai les références.

Merci. Revivifier Sartre sur sa droite, voilà un projet vraiment accrocheur.

Citation
Kiran Wilson
D'accord avec vous aussi sur l'évolution assez triste de Sartre dans ses dernières années. Le harangueur trotskysant des usines en grève fait un pitié si on le compare au jeune homme fougueux et si plein d'idées magnifiques (et que pour ma part je ne mépriserai jamais même s'il s'est fourvoyé idéologiquement plus tard) d'avant-guerre. Le trajet-Sartre nous rappelle (je ne vise pas Renaud Camus, chers amis...) que lorsqu'un écrivain prend au sérieux son rôle ou ses opinions politiques et donc sclérose sa pensée, ou accepte qu'on la sclérose à sa place, il est souvent perdu pour la littérature.

S'il y a eu sclérose sur le tard, elle est d'autant plus paradoxale qu'elle représente tout ce que combat l'éthique sartrienne, tant sur le plan individuel (la morale jamais achevée) que collectif (la Critique). Comme vous, je ne crois pas qu'elle invalide rétroactivement la pensée du premier Sartre — mais, il faut bien l'admettre, on marche ici sur la corde raide. En d'autres termes : peut-on excuser la liberté (celle du premier Sartre, en l'occurrence) de s'être fourvoyée dans son exercice même, dès lors qu'on se situe dans une éthique de la responsabilité ? Question qui évoque Muray : « La mentalité de la gauche contemporaine me semble marquée par une inclinaison pour laquelle je propose le terme d’auto-amnistie. La gauche contemporaine est la partie de la société ayant le privilège de se pardonner ses propres erreurs », etc. Bon, cela dit, je ne sais pas si Sartre s'est auto-amnistié.

Citation
Alain Eytan
(Le raccourci est vraiment hasardeux et même douteux, mas dès lors que l'acte (la conscience) et l'agent (le sujet) sont quasi identiques, se suscitant l'un l'autre, le soi apparaît comme causa sui, autrement dit comme création ex nihilo.)

Question tout à fait intéressante (et au traitement de laquelle vous semblez bien mieux armé que moi). Sur ce problème du caractère ex nihilo de la conscience, il existe un passage volontiers vertigineux dans L'être et le néant :

« En un sens, on conçoit fort bien que notre passé ne nous apparaisse point comme limité par un trait net et sans bavures — ce qui se produirait si la conscience pouvait jaillir dans le monde avant d’avoir un passé — mais qu’il se perde, au contraire, dans un obscurcissement progressif, jusqu’en des ténèbres qui pourtant sont encore nous-mêmes ; on conçoit le sens ontologique de cette solidarité choquante avec le fœtus, solidarité que nous ne pouvons ni nier ni comprendre. Car enfin ce fœtus c’était moi, il représente la limite de fait de ma mémoire mais non la limite de droit de mon passé. Il y a un problème métaphysique de la naissance, dans la mesure où je peux m’inquiéter de savoir comment c’est d’un tel embryon que je suis né ; et ce problème est peut-être insoluble. Mais il n’y a pas de problème ontologique : nous n’avons pas à nous demander pourquoi il peut y avoir une naissance des consciences, car la conscience ne peut s’apparaître à soi-même que comme néantisation d’en-soi, c’est-à-dire comme étant déjà née. »

Citation
Alain Eytan
En fait, je ne sais si Sartre fut jamais "détourné" de quoi que ce soit, tant la liberté dans l'acception qu'il lui donne implique une mystique de l'engagement qui n'a pas de raisons d'agir, seulement une nécessité d'agir. […] Ne reste alors que l'action, la volonté toute tendue de son accomplissement.
En toute cohérence, il ne peut même y avoir de buts, ou de justification idéologique précédant ou orientant l'action, car ce serait antéposer l'essence comme sens à l'acte, qui est existence.

Le primat de l'action chez Sartre ne serait-il qu'apparent ? Le dépassement de ce primat ne serait-il pas à chercher dans la dialectique, c'est-à-dire dans l'ascendance hégélienne de l'ontologie sartrienne ? Car après tout, le monde ne vient pas après l'action (ou après la conscience, ou après la liberté) chez Sartre ?
(Je pose ces questions sous votre contrôle, car j'ai la sensation d'atteindre là mon plafond d'incompétence... Je cours me reposer pour quelques jours.)
20 février 2011, 19:19   Re : Un Petit bourgeois
Gloser sur Sartre ? Pouah ......

Encore un fil à prendre ses jambes à son cou.
20 février 2011, 20:23   La philosophie dans l'air du temps
Lieber Rogemi, ne faites pas votre mauvaise tête ; j'ai en ma possession un croquignolet tee shirt à se pavaner, sur quoi on voit Snoopy plongé dans la lecture de L'Etre et le Néant et s'exclamer : « C'est chié ! ».
20 février 2011, 20:40   Re : Un Petit bourgeois
Alain,

Auriez-vous le même avec Snoopy disant "Trapu" ?
Sacré Alain vous avez de l'esprit à revendre je vous le concède mais vous avez aussi le don de nous raser de temps à autre par des interventions filandreuses.
20 février 2011, 22:52   Re : Un Petit bourgeois
Quand je parlais des ouvrages de Sartre, je pensais non pas à "L'Etre et le Néant", qui n'est pas un livre qu'on lit communément (en ce sens qu'il n'est lu que par des spécialistes, ou par des personnes d'une haute culture. J'ai essayé de le comprendre, je n'y suis pas arrivé), je pensais à son théâtre, qui fut beaucoup joué et qui poursuivit bien des lycéens, et à ses romans et nouvelles, qui sont à peu près aussi lisibles que les ouvrages de Dabit (j'aime beaucoup Dabit).
20 février 2011, 22:54   Re : Un Petit bourgeois
Je vais peut-être vous surprendre, mais j'apprécie Mlle de Beauvoir : son "Une Mort très douce" est admirable.
20 février 2011, 23:01   Re : Un Petit bourgeois
Pour ma part, vous ne m'étonnez pas, Jean-Marc. Vous avez des marottes, des "fixettes" (qui n'en a pas ?), ce qui ne vous prive pas de la faculté de reconnaître le talent où qu'il se trouve et Mlle de Beauvoir n'en manque pas en plus d'une occasion.
20 février 2011, 23:03   Re : Un Petit bourgeois
Un point complémentaire : vous évoquez la sclérose de Sartre. Je ne pense pas cela lié à l'âge, mais plutôt à l'alternance entre la bouteille et la Corydrane.
20 février 2011, 23:10   Re : Un Petit bourgeois
Orimont,

Je suis dans mon jour de bonté pour les femmes. Le couple Sartre-Beauvoir me fait penser au couple Aragon-Elsa, à travers lequel on voit le tragique d'un couple d'écrivains quand l'écrivain meurt.
20 février 2011, 23:27   Re : Un Petit bourgeois
Pardonnez cette parenthèse mais l'émission Mauvais genre sur Céline, hier à 19h, était très bien :
France Culture
20 février 2011, 23:35   Re : Un Petit bourgeois
C'est que Céline est un grand écrivain, un écrivain intemporel, et en même temps un homme fort complexe...

Savez-vous, Florentin, quel est, de mon point de vue, l'écrivain moderne de réputation mondiale le plus réactionnaire dans sa pensée politique ? hé bien, c'est Jack Kerouac, comme quoi on peut être à la fois un marginal beatnik, un bohème et un ultra-conservateur, un Bircher and un Hipster.
20 février 2011, 23:59   Re : Un Petit bourgeois
Céline citait plus volontiers Barbusse ou Zola que Maurras ou Bernanos.
21 février 2011, 08:30   Re : Un Petit bourgeois
Le couple Sartre-Beauvoir me fait penser au couple Aragon-Elsa, à travers lequel on voit le tragique d'un couple d'écrivains quand l'écrivain meurt.

Superbe formule, BCJM.
21 février 2011, 08:39   Re : Un Petit bourgeois
Chacun peut prendre ses jambes à son cou. Un peu de sport ne fait jamais de mal.
Oui, "L'Etre et le Néant" est un livre génial - avec le côté un peu massif, brutal et quasi monstrueux d'une certaine forme du génie. Comme la "Tétralogie", "La Légende des siècles" ou "Le Cuirrassé Potemkine" sont aussi des oeuvres géniales.
Sartre, par ailleurs, a écrit et dit pas mal de sottises ou d'ignominies. On peut admirer les romans de Céline sans adhérer à l'idéologie de ses pamphlets. On peut admirer Sartre (admirer et non aimer !) et considérer qu'il fut bel et bien un salaud et un traître à plusieurs reprises.
21 février 2011, 09:04   Re : Un Petit bourgeois
D'où le fameux et sans doute trop charitable, notamment par l'emploi du nous, « Nous avons beaucoup déconné » adressé à Sartre par Raymond Aron lors de leur dernière rencontre. Ses mémoires contiennent des analyses à la fois admiratives et sévères des œuvres philosophiques de son ancien petit camarade (sévères surtout pour la Critique de la raison dialectique).
Utilisateur anonyme
21 février 2011, 09:05   Re : Un Petit bourgeois
(Message supprimé à la demande de son auteur)
21 février 2011, 09:31   Re : Un Petit bourgeois
» Le primat de l'action chez Sartre ne serait-il qu'apparent ? Le dépassement de ce primat ne serait-il pas à chercher dans la dialectique, c'est-à-dire dans l'ascendance hégélienne de l'ontologie sartrienne ? Car après tout, le monde ne vient pas après l'action (ou après la conscience, ou après la liberté) chez Sartre ?

Cher David Farreny, l'action est la liberté en acte ; s'il est vrai que l'un des postulats fondamentaux de l'existentialisme sartrien est que la liberté est une valeur absolue, jusqu'à ne pouvoir être limitée que par elle-même, de sorte que l'on ne puisse être libre de ne pas être libre, alors l'action ne peut être dépassée, ou subordonnée.
Mieux, l'"apparence" du primat de l'action signifierait que ce qui est sur l'autre bord du projet peut être rejoint, et le néant nous séparant du monde et de nous-même, comblé. Que le pour-soi pourrait réintégrer l'en-soi, et que de guerre lasse l'on se soit laissé gagner par la mauvaise foi, nourrissant la plate, consolante et consternante perspective de pouvoir enfin arriver quelque part, et s'y établir.
Qu'on ait instillé un peu de sens dans cette pure mécanique du mouvement perpétuel.
Bref, ce serait délayer la pure eau du joyau noir qu'est le sartrisme, qu'il peut être à tout le moins, dans le toc des lendemains qui peuvent chanter. Hélas, c'est faisable...
21 février 2011, 09:35   Re : Un Petit bourgeois
Allons, Didier Bourjon... tout de même, prenons un exemple parmi tant d'autres, dans la Première partie, le chapitre II, 1 (Mauvaise foi et mensonge) est une admirable critique de l'inconscient ; c'est un modèle de problématisation philosophique. (Jean-Marc, je vous rassure, moi non plus je n'ai pas tout compris dans L'Etre et le Néant ; c'est parfois d'une terrible, terrible difficulté.)

Quand on loue Sartre devant moi, j'ai envie de le rabaisser plus bas que terre, mais quand on nie son génie, j'ai envie de me faire sartrien.
Utilisateur anonyme
21 février 2011, 09:38   Re : Un Petit bourgeois
(Message supprimé à la demande de son auteur)
21 février 2011, 09:49   Re : Un Petit bourgeois
Mais enfin, si Jouhandeau a pu frôler carrément Buchenwald et n'y voir que du feu, sans subodorer aucune fumée, et se rengorger en si avantageuse compagnie d'hôtes impeccablement sanglés, tout grand écrivain qu'il fut, et il l'est, alors Sartre peut bien avoir eu des intuitions de génie et de belle profondeur, tout en proférant aussi quelques bêtises.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?...
21 février 2011, 10:09   Re : Un Petit bourgeois
Alain, Jouhandeau ne s'était pas donné comme mission d'être le Phare de l'Humanité.
21 février 2011, 11:40   Re : Un Petit bourgeois
Cette histoire est fort simple : un grand écrivain (et Sartre l'était, du moins dans plusieurs de ses livres) peut être aussi un imbécile, ou un salaud. Pourquoi ce qu'on accorde à Céline, à Drieu, à Jouhandeau lui serait-il refusé : avoir écrit quelques-uns des livres les plus stimulants du siècle (j'ai moi aussi été "grisé", comme Henri Thomas, quand j'ai lu "L'Etre et le Néant") et s'être montré complice d'une des pires barbaries de l'Histoire ? On aimerait que l'homme et l'oeuvre soient également respectables : cela arrive parfois (Giorgio Bassani, par exemple, que je relis ces jours-ci), mais les exceptions ne manquent pas.
21 février 2011, 12:08   Re : Un Petit bourgeois
On peut admirer les romans de Céline sans adhérer à l'idéologie de ses pamphlets. On peut admirer Sartre (admirer et non aimer !) et considérer qu'il fut bel et bien un salaud et un traître à plusieurs reprises.

Sartre expliquait qu'ayant jugé, en quelque sorte de la nécessité d'écrire des oeuvres littéraires, en illustration, en paraphrase, en démonstration et en accompagnement (comme les légumes le steak) de son travail de philosophe, il lut Céline afin de "savoir comment l'on fait", bref, pour y puiser un mode d'emploi. Sartre fut un piètre auteur littéraire, mais comme il possédait du génie, il s'en sortit plutôt bien. Il est à remarquer que son rapport ainsi instrumenteur à la littérature -- la littérature transcendée dans un projet mondain -- le rapproche des auteurs communistes d'alors, et même, disons-le, en écho à la remarque d'Orimont, d'un Aragon romancier.

Sartre adhéra à la littérature au plus fort de son moment de compagnonnage de route avec le PC, et cette parenté n'était pas qu'idéologique, elle se révèle dans un certain rapport à l'art. Sartre fut communiste dans son rapport à la littérature. De par cette approche secondarisée et adultérée de l'art ("l'art mis au service de"), il mérite d'être classé comme piètre auteur littéraire, tout simplement (mais encore une fois, son génie intellectuel, armé d'une sûre maîtrise de la langue usuelle, sut recouvrir et réparer ce manque de talent et de sincérité dans la pratique de l'art). On ne trouve, dans toute l'oeuvre littéraire et dramatique de Sartre, strictement aucune créativité littéraire -- seulement un sage artisanat au service d'une machine intellectuelle de classe supérieure. Sartre fut un faux auteur littéraire, un bernard-l'hermite de la littérature.
21 février 2011, 12:36   Re : Un Petit bourgeois
C'est toute la différence, l'opposition radicale, en l'art et la propagande.
Utilisateur anonyme
21 février 2011, 12:44   Re : Un Petit bourgeois
(Message supprimé à la demande de son auteur)
21 février 2011, 13:21   Re : Un Petit bourgeois
Je suis plutôt d'accord avec Francis Marche. Seulement, si la qualification d'instrumenteur de la littérature tient pour une grande part de la production de Sartre (qui transparaît par exemple dans le pénible didactisme de ses pièces de théâtre et de ses romans tardifs), je trouve que Les Mots restent une magistrale introspection, et une grande oeuvre.
21 février 2011, 13:25   Re : Un Petit bourgeois
Je me souviens...

En 1971 (ou circa 1971), "Les Mots" étaient distribués par les stations-service Total, lorsqu'on avait fait suffisamment de pleins pour l'auto (appellation sartrienne de la voiture).
21 février 2011, 14:27   Re : Un Petit bourgeois
Je me souviens...

Un ami m'avait généreusement prêté pour l'été sa grosse auto qui siphonnait entre vingt et trente litres de gazoline aux cent kilomètres. Nous avions la collection complète à lire pour l'hiver.
21 février 2011, 14:36   Re : Un Petit bourgeois
Vous croyez qu'on trouve du BHL à la pompe ?
21 février 2011, 15:50   Re : Un Petit bourgeois
Oui, je me souviens. Il y avait aussi L'Atlantide de Pierre Benoit (tristement décevant, au regard du titre) et Le Lion de Kessel (que le petit monsieur lecteur de l'époque avait plutôt bien jugé).
21 février 2011, 16:49   Re : Un Petit bourgeois
Il y avait aussi un roman de Malraux, L'Espoir ou bien La Condition humaine, difficile à l'époque de célébrer Sartre sans célébrer aussi Malraux, c'était les deux grands survivants, chargés d'ans et de gloire.

Précision pour Jean-Marc : non, non, je n'oublie pas que le troisième grand survivant était à l'époque Aragon, non distribué, lui, si je ne me trompe, dans les stations-service(s).
21 février 2011, 17:05   Re : Un Petit bourgeois
....reste une marginale introspection, soit un essai d'introspection, d'illustration, etc.
Georges Bernanos, on le comprend enfin en lisant son Monsieur Ouine, était le Natsume Soseki des Français, enfin de ceux qui pouvaient encore se dire Français avec Paul Valéry et Paul Claudel quand la France avait encore l'heur de produire de son arbre de tels fruits. Georges Bernanos était un écrivain du Japon rural de toutes les avant-guerres, un délirant, presque un dadaïste, très sérieux, très absolu, rigoureusement seul avec et dans la littérature, le verbe et son message, aussi seul muni de cet appareil que peut l'être un homme juché sur l'engin emporté et qui l'emporte plein gaz -- la moto, avatar orageux et emballé de la jument, de la femme. Vous ne me croyez pas ? Vous ne me croyez pas quand je vous dis que Georges Bernanos fût un auteur japonais d'avant-guerre ? Tenez, lisez:

Et retenez encore ceci: les petits garçons ni les femmes ne devraient jamais rire, il y a une malice dans le rire, un poison. Avec un peu de bon sens, vous vous seriez épargné, devant moi l'humiliation de cette stupide défaillance. Reprenez un peu d'éther.

-- Quelle défaillance s'écrie Philippe, pâle de rage, je me suis étranglé en riant, voilà tout.

-- Je crains que vous ne soyez sujet à de pareils malaises, continua M.Ouine, impassible; notre origine est double, hélas! et le premier tiers de la vie suffit à peine pour tuer en nous la femme. Peut-être encore ai-je présumé de vos forces ? Je suis devenu un homme simple, très simple, je ne calcule plus. Après un certain nombre d'expériences inutiles --- qui de nous n'a cherché la brebis perdue, rapporté l’agneau sur ses épaules?... --- je n'irai plus au-devant de rien. Comme ces gelées vivantes, au fond de la mer, je flotte et j'absorbe. Nous vous apprendrons ce pauvre secret. Oui, vous apprendrez de moi à vous laisser remplir par l'heure qui passe. Que de fois, des lisières du bois de Frescheville où j'allais relire d'anciennes lettres --- des lettres de jeunes gens que je n'ai détruites qu'à regret, si injustes, si fières -- je vous ai vu traverser la route pour monter vers Hagron, en tuant des merles ! et du premier regard j'avais reconnu cette marche inégale, tour à tour impérieuse ou lente, et ces sursauts que vous avez comme d'un appel augural, ces haltes brusques, absurdes, en plein soleil... ah! c'était bien là l'image que j'ai caressée tant d'années, une vie, une jeune vie humaine, tout ignorance et tout audace, la part réellement périssable de l'univers, seule promesse qui ne sera jamais tenue, merveille unique! Car ne vous y trompez, Philippe, une vraie jeunesse est aussi rare que le génie, ou peut-être, ce génie même, un défi à l'ordre du monde, à ses lois, un blasphème. Un blasphème. La nature qui tire parti de tout, ainsi qu'une ménagère horrible, la couve d'une haine vigilante, entrouvre amoureusement ses charniers. Mais la jeunesse saute par-dessus, s'envole... Quand tout s'altère, se corrompt, retourne à la boue originelle, la jeunesse seule peut mourir, connaît la mort. Ah ! Philippe, chaque pas que vous faisiez en avant, sous l'averse de feu, chaque pas que vous faisiez le soir au-devant de votre ombre, arrachait de moi une crainte, un scrupule, quelque mensonge épargné à mon insu. Un jour les lettres que je tenais entre les mains m'ont paru laides et tristes, je les ai jetées, recouvertes d'une poignée de terre, je n'ai même pas voulu les brûler. C'était pourtant le seul souvenir que je gardasse d'années telles que je vous souhaite d'en connaître, mais votre présence les effaçait...

21 février 2011, 18:19   Re : Un Petit bourgeois
Si, on vous croit, Francis, voilà de bonne lecture pour notre temps.
21 février 2011, 18:53   Re : Un Petit bourgeois
Le titre de cette totalesque campagne était "Malraux ou Lucky Luke".

[www.memory-pub.com]
Utilisateur anonyme
21 février 2011, 21:57   Re : Un Petit bourgeois
Citation
Jean-Marc
Un point complémentaire : vous évoquez la sclérose de Sartre. Je ne pense pas cela lié à l'âge, mais plutôt à l'alternance entre la bouteille et la Corydrane.

Ah, j'avais moi aussi oublié ce facteur...

Citation
Francis Marche
On ne trouve, dans toute l'oeuvre littéraire et dramatique de Sartre, strictement aucune créativité littéraire -- seulement un sage artisanat au service d'une machine intellectuelle de classe supérieure. Sartre fut un faux auteur littéraire, un bernard-l'hermite de la littérature.

Artisanat cependant admirable quand il s'exprime dans la forme du journal : les Carnets de la drôle de guerre, c'est tout de même quelque chose.

Citation
Alain Eytan
Cher David Farreny, l'action est la liberté en acte ; s'il est vrai que l'un des postulats fondamentaux de l'existentialisme sartrien est que la liberté est une valeur absolue, jusqu'à ne pouvoir être limitée que par elle-même, de sorte que l'on ne puisse être libre de ne pas être libre, alors l'action ne peut être dépassée, ou subordonnée.
Mieux, l'"apparence" du primat de l'action signifierait que ce qui est sur l'autre bord du projet peut être rejoint, et le néant nous séparant du monde et de nous-même, comblé. Que le pour-soi pourrait réintégrer l'en-soi, et que de guerre lasse l'on se soit laissé gagner par la mauvaise foi, nourrissant la plate, consolante et consternante perspective de pouvoir enfin arriver quelque part, et s'y établir.

Merci pour ces précisions. L'être et le néant se garde bien, de toute façon, d'établir une priorité métaphysique entre l'un (l'être) et l'autre (le néant). C'est d'ailleurs à mes yeux une part du charme du livre : ce sentiment qu'il donne de se placer dans la pure description ontologique, et de dérouler patiemment, à partir de prémisses logiques fondamentales, les articulations du raisonnement, jusqu'à la fin, ou plutôt jusqu'à l'ouverture finale, celle qui devait mener à la morale. Cette obstination qui court à travers le livre, qui le tient, me semble magistrale. Même sentiment de toute-puissance de la raison que chez Hegel, à la différence que la séduction de celui-ci est de proposer un système fermé, ou plutôt circulaire, tandis que le système sartrien, si c'en est un, est un drôle d'animal, un système ouvert — avec son lot presque nécessaire d'inachevé —, probablement mieux habitable que la machine hegelienne.

Et puis comment résister à une description de l'être comme « hanté de néant » (de mémoire) ? Enfin bon, pour ma part, j'y résiste mal.
21 février 2011, 23:20   Interlude détente
Quel est le point commun entre Malraux et Lucky Luke ?
21 février 2011, 23:43   Re : Un Petit bourgeois
La ressemblance.
21 février 2011, 23:43   Re : Un Petit bourgeois
La clope.
21 février 2011, 23:49   Re : Un Petit bourgeois
Florentin, je maintiens que c'est la ressemblance, ainsi que nous le prouve un expert en malritude :

[www.malraux.org]
22 février 2011, 00:02   Re : Un Petit bourgeois
Je dois être daltonnien..
22 février 2011, 03:15   Re : Un Petit bourgeois
Sartre, un "faux auteur" ? - My God ! Enfin puisqu'il paraît que "c'est réglé" !
22 février 2011, 08:56   Smoking no smoking
Oui, la clope ou, plutôt, la dénicotinisation officielle.
22 février 2011, 09:09   On achève bien les chevaux
"un système ouvert — avec son lot presque nécessaire d'inachevé —, probablement mieux habitable que la machine hegelienne. "

C'est peut-être surtout celui qui est en fait réellement habité. On y court tout le temps, n'arrive à rien, et n'y comprend goutte. Alors qu'un réel entièrement réductible, déductible, intelligible et à terme, achevé, franchement...
22 février 2011, 13:08   Re : Un Petit bourgeois
Citation
Francis Marche
Sartre adhéra à la littérature au plus fort de son moment de compagnonnage de route avec le PC

Mais non : Sartre s'éloigne de la littérature à partir de 1945 (Les Chemins de la liberté), précisément lorsqu'il découvre les joies de l'engagement. Et son compagnonnage avec le communisme date plutôt des années 1952 - 1956).

@Jean-Marc : je pense que je dois encore posséder ce “volume Total” des Mots
22 février 2011, 15:14   Re : Un Petit bourgeois
Mais non : Sartre s'éloigne de la littérature à partir de 1945 (Les Chemins de la liberté), précisément lorsqu'il découvre les joies de l'engagement. Et son compagnonnage avec le communisme date plutôt des années 1952 - 1956).

Enfin Didier j'ai bien parlé de son oeuvre romanesque et dramatique, non ? Nekrassov, pièce dirigée contre la presse anti-communiste ne date-t-elle pas de 1955, soit au coeur de cette période de compagnonnage que vous datez de 1952 à 1956, et Les Séquestrés d'Altona de 1958, les Mains Sales de 1948, etc... Je ne comprends pas ce qui vous fait dire que Sartre s'est éloigné de la littérature à partir de 1945, quand il écrivait les Mots encore en 1964, me semble-t-il, et pour ne rien dire de son Flaubert ou même de son Baudelaire écrit en 1947.
22 février 2011, 17:08   Re : Un Petit bourgeois
Je pensais, sans doute trop exclusivement, à son œuvre romanesque, qui s'étend de 1938 à 1945.
26 février 2011, 07:11   Re : Un Petit bourgeois
Monsieur Ouine (Mr Win), que Bernanos porta en lui dix ans au moins, fut son dernier roman, publié à Rio en 1943. Il semble aussi que ce soit une des oeuvres littéraires les plus importantes du siècle passé. Comme figure de l'antéchrist, Ouine rejoint le personnage du juge Holden, dans cet autre chef-d'oeuvre américain, signé de Cormack McCarthy en 1985 seulement: Blood Meridien.

Juan Ascensio, lui, parle du Faulkner d'Absalom, Absalom! Lire I C I son papier au sujet du roman de Bernanos. Ascensio (The Stalker) s'améliore. Il devient intéressant.

Il n'y a bien sûr aujourd'hui aucune actu Bernanos, c'est donc le moment de lire ce livre. Que ceux comme votre serviteur qui ont attendu un demi-siècle ou presque pour l'aborder, se jettent à l'eau: ils ont acquis la maturité suffisante pour y sombrer.
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