Tenez, si cela peut vous être utile, notamment par les références, voici ce que j'écrivais sur la question il y a six ou sept ans. Cela a un peu vieilli, mais bon...
La délinquance courante actuelle est pour la plus grande part le fait de descendants masculins d’immigrés issus du Tiers Monde et notamment d’Afrique du Nord et d’Afrique Noire.
Presque toujours, cet aspect de la question est esquivé parce que, avec quelques raisons en soi honorables, on estime qu’il est empoisonné, dangereux, gros de dérives racistes et xénophobes. On le voit d’emblée dans l’emploi généralisé du terme
les jeunes. C’est idiot et hypocrite. Idiot parce que le terme mêle indistinctement les enfants, les adolescents et les jeunes adultes des deux sexes, de tous les milieux socioculturels, délinquants ou pas ; hypocrite parce que c’est un euphémisme qui permet d’éviter d’appeler un chat un chat. Et c’est bien là que réside le sens réel de cette curieuse catégorie. Lu dans
Le Monde il y a quelques années et cité de mémoire : une institutrice exerçant dans une école de banlieue demande à ses élèves ce qu’ils feront plus tard ; un gamin dit : « Moi, quand je serai grand, je serai jeune ! » ; la maîtresse éclate en sanglots car cela signifie très clairement que le gamin a la ferme intention de devenir, comme les grands frères, un glandeur vivant de combines, de rapine et de trafic de drogue, une « caillera » !
La sur-représentation, parmi les délinquants, des « jeunes » issus de l’immigration est, après avoir été très longtemps niée, devenue une évidence criante, et tout le monde le sait bien (1). Judith Lazar parle de « secret de polichinelle ». On trouve du reste ici ou là des témoignages sans équivoque chez certains auteurs d’origine nord-africaine. Samira Bellil, parlant de la prison où il faut se rendre pour aller voir le petit copain, l’appelle « Bab-el-Oued City » (2) ; Malek Boutih écrit qu’à Fleury-Mérogis, « on compte les Blancs » (3). Radhia Moumen-Marcoux, auteur du seul ouvrage que j’ai rencontré qui aborde franchement la question, écrit qu’associée à une enquête sur le Sida en milieu carcéral, elle a été « saisie par le nombre de Maghrébins en prison » (4). Cependant, jusqu’au printemps 2004, on ne possédait guère de données chiffrées. Lucienne Bui Trong, qui a créé et dirigé la section « Violences urbaines » (devenue « Villes et banlieues ») des Renseignements généraux avait bien indiqué que ce qu’elle appelle la « jeunesse de souche » est très minoritaire dans la violence urbaine : de l’ordre de 5 à 10% (5). Mais la corrélation entre ce qu’elle définit comme violence urbaine et la délinquance globale telle qu’elle est recensée dans l’état 4001 est complexe, et on ne peut étendre ce chiffre à l’ensemble. Il y eut aussi un article publié par
Le Monde du 4 décembre 2001 sur la pratique religieuse dans les prisons : le Père Christian Delorme, aumônier des prisons et un des initiateurs de la « Marche des Beurs », y indiquait que la population carcérale était, à ce moment-là, musulmane à environ 60%. Ce chiffre est évidemment très supérieur à la proportion de musulmans dans l’ensemble de la population française. De combien ? Il est impossible de le savoir car les statistiques démographiques françaises ne prennent pas en compte la religion. Les personnes issues de familles musulmanes seraient, qu’elles soient croyantes, pratiquantes ou pas, environ 6% selon l’INED (6), 10% selon le ministère de l’Intérieur, jusqu’à 15% selon d’autres (pour des raisons diamétralement opposées, le Front National et les islamistes ont tendance à majorer les chiffres). Quoiqu’il en soit, jusqu’en 2003, il n’y avait pas d’enquête sociologique sérieuse sur la question de la sur-représentation des descendants d’immigrés récents dans la délinquance : pour la quasi-totalité des sociologues français, elle restait un tabou (7).
Aux Etats-Unis, ce tabou n’existe pas, non que leurs sociologues soient beaucoup moins soumis à la décence politiquement correcte que ne le sont les nôtres, mais parce que les statistiques (criminelles mais aussi démographiques) mentionnent l’origine « raciale ». Du coup, le fait que, proportionnellement à la population qu’ils représentent, les Noirs sont six fois plus nombreux et les Hispaniques près de trois fois plus nombreux que les « Blancs » dans la population carcérale est une réalité statistique qui ne prête pas à discussion, et elle ne suscite d’ailleurs pas de recrudescence du discours raciste haineux : celui-ci a pour ainsi dire disparu de la scène publique américaine depuis des décennies. On peut du reste remarquer que les militants des droits civiques américains défendent ces pratiques statistiques car elles leur permettent de débusquer les situations d’inégalité ou de discrimination et de proposer des soutiens aux groupes en difficulté. Au Royaume-Uni, la situation est la même : en 2006, on apprenait que 37% des hommes noirs sont inscrits dans le fichier ADN de la police (ce fichier est constitué d’empreintes prélevées sur les personnes arrêtées par la police et 96% des 2,7 millions de personnes ainsi fichées ont fait l’objet de poursuites judiciaires). En France, il est inconcevable d’enregistrer, lorsque quelqu’un est condamné, son origine ethnique, car ce serait perçu comme une violation de notre éthique républicaine. Mais en l’occurrence, celle-ci ne va pas sans hypocrisie. Récemment, des voix se sont levées pour réclamer la possibilité d’un comptage statistique sur des critères ethniques ; ainsi, l’écrivain et sociologue Azouz Begag, a qui Dominique de Villepin a demandé un rapport, estime très logiquement que ces comptages sont nécessaires pour établir un diagnostic fiable. Mais en réalité, on peut assez facilement mener une enquête sérieuse, par sondage, sans établissement de fichiers systématiques. Si les sociologues ne le faisaient pas jusque là, ce n’est sans doute pas seulement parce que la question n’est pas politiquement correcte mais aussi parce qu’ils craignaient le résultat ; car si une telle enquête avait permis de réfuter la surreprésentation, nul doute qu’on l’aurait conduite depuis longtemps, tant cette question a empoisonné l’atmosphère.
Enfin, en avril 2004 paraissaient un livre intitulé
L’islam dans les prisons (8) et une étude sur les auteurs mineurs de délits graves dans le département de l’Isère (9). Le premier constate que les détenus de culture musulmane forment la majorité de la population carcérale, leur taux dépassant souvent les 50%, avoisinant parfois les 70%, voire les 80% dans les prisons proches des banlieues. Par ailleurs, Il estime que dans toute l’Europe, les musulmans fournissent un contingent de prisonniers de droit commun équivalent à cinq à dix fois la proportion des musulmans dans les populations respectives. Azouz Begag affirme que 75% des détenus lyonnais sont d’origine maghrébine (10). Quant à Sébastien Roché et Monique Dagnaud, ils ont pu, grâce à la levée exceptionnelle du secret des archives judiciaires, soumettre à une analyse sociologique l’échantillon de 325 personnes constitué par les mineurs ayant été jugés dans l’Isère pour des faits graves (depuis les coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours jusqu’à l’assassinat) entre 1985 et 2000. Ces jeunes gens sont à 95% des garçons, leur âge moyen est de quinze ans et cinq mois. Les deux tiers sont issus de l’immigration, alors que la population de l’Isère comprend 6,1% d’immigrés.
Sans doute effrayé par les résultats politiquement incorrects de son travail et craignant peut-être d’être ostracisé par les gens de son milieu et « instrumentalisé » par les Sarkozystes, Sébastien Roché crut devoir accompagner sa publication du commentaire suivant : « Nous sommes face à une justice qui concentre son énergie à condamner des jeunes d’origine étrangère. » (11) Autrement dit : si les descendants d’immigrés représentent les deux tiers des mineurs jugés (jugés et non condamnés, car, et cela figure dans l’enquête, un tiers n’ont reçu aucune autre peine qu’une admonestation et 10% seulement ont été condamnés à de la prison ferme), ce n’est pas parce qu’ils ont commis les deux tiers des faits, non, c’est parce que la justice s’acharne sur eux, sans doute par haine raciste et xénophobe. Ainsi, notre bon sociologue préfère diffamer gravement les juges plutôt que de donner des arguments qui pourraient être utilisés par les xénophobes ! On reviendra sur l’état d’esprit qui est derrière cette extravagante déclaration. Quoiqu’il en soit, les résultats de l’étude sont là.
Ces premiers travaux sérieux confirment donc parfaitement ce que chacun pressentait, ce que chacun peut voir sur « le terrain » : les délinquant sont, de toute évidence, et pas seulement en Seine Saint-Denis, en majorité des individus du sexe masculin, adolescents ou jeunes adultes, issus de l’immigration des cinquante dernières années, principalement de l’Afrique du Nord et de l’Afrique noire ; les Céfrans, ou Cefs, ou Blancs, ou Fromages, ou encore Jean-Claude, ce que les sociologues et les journalistes appellent des « Français de souche » n’en représentent sans doute guère plus du tiers.
1 Laurent Mucchielli, sociologue et chercheur au CNRS (ouvrage cité, page 78 de l’édition de 2002), croit pouvoir combattre l’argument du Front national sur « la liaison entre délinquance et immigration » en exposant quelques statistiques sur la délinquance des étrangers : si ceux-ci représentent une forte proportion des personnes incarcérées, ils ne représentaient, en 1999, que 13% des personnes poursuivies pour des faits autres que les infractions à la législation sur les étrangers (ce qui fait tout de même une sur-représentation notable puisqu’ils ne représentent que 7% environ de la population totale). Cette argumentation n’est pas de bonne foi car une grande partie des délinquants issus de l’immigration sont des Français et non des étrangers. Il en convient du reste plus ou moins implicitement dans la suite de son livre. Il est cependant exact que, pour une approche quantitative honnête du phénomène, il faudrait pouvoir enlever les infractions à la législation sur les étrangers des statistiques.
2 Samira Bellil,
Dans l’enfer des tournantes, Denoël, 2002, page 205.
3 Malek Boutih,
La France aux Français ? Chiche !, Mille et une nuits (Fayard), 2001, page 45.
4 Radhia Moumen-Marcoux,
Immigration, prison, SIDA, CIEMI-L’Harmattan, 1998, page 92.
5 Lucienne Bui Trong,
Violences urbaines, Bayard, 2000, page 167. Elle ajoute cependant que la violence ne concerne qu’un petit noyau de ces populations issues de l’immigration et que l’exemple de l’Angleterre montre que cette sur-représentation des jeunes issus de l’immigration pourrait n’être que transitoire (compte-tenu des chiffres qu’elle donne, le terme de sur-représentation est un véritable euphémisme).
6 Michèle Tribalat estime, à partir de l’enquête « Famille » de l’INSEE, le nombre des personnes susceptibles d’être musulmanes par filiation à 3,7 millions, soit à peine plus de 6% de la population française, dont sans doute pas plus d’un tiers de croyants semble-t-il. Les résultats de ces travaux ne prennent évidemment pas en compte les clandestins.
7 Judith Lazar, elle-même sociologue, décrit cette forme d’autocensure dans
La violence des jeunes, Flammarion, 2002, Page 92.
8 Farhad Khosrokhavar,
L’islam dans les prisons, Balland, 2004.
9 Sébastien Roché et Monique Dagnaud,
Mineurs et Justice : analyse des dossiers judiciaires des auteurs mineurs de délits graves jugés dans l’Isère de 1985 à 2000, rapport de recherche du CNRS rédigé pour France 5 en septembre 2003, rendu public en avril 2004.
10 Dans
Les matins de France Culture le 15 décembre 2004.
11
Le Monde du 16 avril 2004.