Marcel Meyer pointe avec justesse que la critique morale et sociale de la fiscalité par Brunet Latin se double d'une critique politique de nos démocraties. Décidément, juger la société, au cas particulier, la fiscalité, conduit immanquablement à en juger les fondements politiques.
Ceci dit, il y a cent manières de démocratie et cent manières de monarchie. Les régimes politiques que sont la monarchie ou le roi ont des théories. Pourquoi toujours ressasser l'histoire de la monarchie française, chaque fois qu'une critique est adressée à notre démocratie?
Jalouser les grandes fortunes et jalouser les grands esprits ne sont pas deux attitudes si dissemblables. Elles sont deux façons d'être démocrate, si l'égalité politique réclame celle des conditions. Je doute que le paysan de jadis enraciné dans une culture populaire (encore que susceptible des échappées du génie ou de la folie) jalousait le latin du curé ou la dentelle du châtelain. Il en concevait de la confiance et du respect pour leur propriétaire.
L'impôt est populaire car il fleurit sur le ressentiment et la convoitise. Certes, tout le monde se plaint des impôts. Les assistés se plaignent de recevoir une Prime Pour l'Emploi trop chiche. Les imposables jugent qu'ils payent trop. Mais tous réclament que les riches payent plus. Et comme on trouve toujours plus riche que soit, on oublie qu'on est toujours le riche de quelqu'un. Les Français sont tous des petits, fiers d'être pauvres. Jospin était le premier à s'en vanter. Tous revendiquent leur misère avec le même aplomb, eussent-ils le teint encore hâlé de leur dernier séjour en thalasso.
Une des vertus de la richesse est qu'elle rend libre. La liberté finit parfois où commence celle des autres. Il arrive également qu'elle commence avec celle des autres (par effet d'entraînement).
La richesse se mesure-t-elle? « Les salaires des pays les plus riches sont x fois supérieurs aux salaires des pays les plus pauvres. Les riches gagnent mille fois... » Ces comparaisons chiffrées sont faussement significatives. Être riche coûte cher ; d'autant plus cher qu'on est plus riche. Il est plus juste de comparer les modes de vie que de mesurer les richesses.
L'impôt républicain éduque le peuple souverain des individus vertueux. A travers l'impôt, la République réclame de tous l'approbation unanime de ses principes et de l'usage que l'administration fait de l'impôt. Les socialistes demandent qu'effectivement tous, pauvres compris, participent à la quête, la participation fût-elle symbolique (c'est à dire, entre autre, le coût consenti pour assoir et lever la participation fût-il plus grand que le rapport escompté). L'impôt républicain est agaçant comme peut l'être le dogme républicain à force de mensonges aguicheurs: nous sommes tous des petits présidents de la République, et nous sommes naturellement tous contents de contribuer à l'ordre qu'on a voulu puisqu'il est dit que la volonté est générale et que la volonté générale n'est jamais que la volonté propre de l'homme vertueux que chacun nourrit de par soi.
L'impôt démocratique prétend façonner une société meilleure. Il rase les uns, arrose les autres: entre les crédits d'impôts pour tout motif et les Primes Pour l'Emploi, les Services Impôts des Particuliers distribuent aussi souvent qu'ils ponctionnent. Il entend orienter les comportements. Cependant, la succession frénétique des lois de finance rectificatives permet de douter que l'administration se fasse une idée claire de la juste conduite. Enfin, il vise l'équité. La société est complexe, alors les niches fiscales sont la règle. L'impôt est sur mesure et aussi à la carte. A chacun son régime fiscal. Bien malin qui sait à quelle sauce est imposé son voisin. Rien d'universel dans cet impôt. Mais puisqu'il est dit que c'est au nom de la justice...
L'impôt est assis et levé par une forte administration dont le corps tend à maigrir mais qui grossit de la tête. Ceci dit, l'impôt suscite une armée privée encore plus vaste de comptables, fiscalistes, secrétaires, banquiers, cravates et tailleurs. Quel univers fascinant. On y cultive et transmet les vertus du droit: la rigueur, le formalisme, l'habileté intellectuelle. N'est-ce pas là finalement la plus justifiable fonction de cet archaïque impôt? Il y aurait des façons si simple de remplir les caisses de l'administration!
Quelles fiscalités conviendraient là où se complèteraient les régimes politiques et les postulats méta-politiques?