Le site du parti de l'In-nocence
Dans un numéro de la revue Poésie de mai 1971, on peut lire, dans la notice de présentation consacré à Daniel Biga (né en 1940 à Nice, installé à Nantes depuis de nombreuses années), sous la plume de Alain Bosquet, critique littéraire au Monde :

"Daniel Biga, à trente ans, représente ce qu'on peut appeler la tendance populiste de notre jeune poésie."

Le critique des Nouvelles littéraires, lui, écrit : Oiseaux mohicans [titre d'un recueil de Biga] déroutent, bousculent, et finalement séduisent par leur ironie violente, leurs stridences, leurs bigarrures "pop"."

Ainsi, "populiste" et "pop" sont-ils encore, en 1971, dans une proximité d'usage, aujourd'hui totalement perdue. (On imagine la tête d'un poète contemporain qualifié de populiste...)
Je crois me souvenir avoir lu dans les Carnets de la drôle de guerre que Sartre avait assez mal pris que La Nausée fût pressentie pour le prix du Roman populiste. A moins que ce ne fût Le Mur ?
Sans doute, mais j'imagine que Sartre n'accueillait pas volontiers ce terme, à cause du "populaire" qu'il laissait entendre et certainement pas par la crainte d'être rangé dans la catégorie des écrivains d'extrême-droite. Beauvoir racontre très bien l'accablement de Sartre, à découvrir que La nausée rencontrait le succès, et même international. Dans son système de représentation, un écrivain digne de ce nom ne devait être reconnu que par ses pairs et non séduire le plus grand nombre. Un succès "populaire" indiquait pour lui l'absence de talent véritable.
Oui, vous avez raison. C'était cette crainte-là : apparaître comme un écrivain d'extrême droite, et connaître un succès populaire. Au fond, Sartre, en voulant échapper au populisme, se révélait... élitiste.
Cher Stéphane, l'anecdote du prix populiste dont vous parlez se trouve dans les Entretiens [de Simone de Beauvoir] avec Jean-Paul Sartre. Voici le passage :

S. de B. - Il y a cependant un certain nombre de prix que vous avez acceptés. Et ça serait amusant de voir pourquoi. Je pense à un certain prix italien...
J.-P. S. - J'en ai accepté d'autres. J'ai d'abord accepté un prix populiste, en 40, une petite somme qui m'était donnée et qui me permit de vivre un peu mieux. (...) Je crois que, là, j'ai été absolument cynique, estimant que la guerre ôtait toute valeur au prix ou non-prix, que si on vous en donnait un pendant qu'on se battait, c'était une plaisanterie, que je pouvais l'accepter. A vrai dire, je n'avais rien à foutre d'un prix populiste, étant donné que je n'avais absolument rien de commun avec les écrivains populistes. Donc j'ai accepté.
S. de B. - Oui, vous avez pris l'argent cyniquement.
J.-P. S. - J'ai pris l'argent cyniquement.
Je trouve beau qu'ils se soient vouvoyés jusqu'au bout.
"C'était cette crainte-là : apparaître comme un écrivain d'extrême droite, et connaître un succès populaire."

Sommes-nous certains de nous comprendre, cher Stéphane ? Je ne pense pas une seule seconde que Sartre ait craint d'apparaître comme un écrivain d'extrême droite à cause du qualificatif de "populiste", ce mot ne servant pas, à ma connaissance, à cette époque (et, donc, au moins jusqu'en 1971) à désigner ce qu'il désigne aujourd'hui exclusivement (au moins dans l'usage courant.) Non, c'est bien la reconnaissance populaire et elle seule, la reconnaissance par un large public, qui donnait la nausée à l'homme des homards hallucinogènes.

Je ne sais pas à partir de quand le terme "populisme" s'est figé dans le sens qu'il a aujourd'hui (et qu'il n'avait en aucun cas à l'époque du "prix du Roman populiste") mais on peut émettre l'hypothèse que c'est bien par la même tournure d'esprit sartrienne du temps de La nausée, c'est-à-dire, en effet, par fantasme élitiste, qu'il a accompli sa métamorphose.
"Au même instant célèbre et scandaleux, Sartre n'accueillit pas sans malaise une renommée qui, tout en dépassant ses anciennes ambitions, les contredisait. S'il avait désiré les suffrages de la postérité, il ne pensait atteindre de son vivant qu'un public étroit : un fait nouveau, l'apparition du oneworld, le transforma en un auteur cosmopolite ; il n'avait pas imaginé que la Nausée dût être traduite avant longtemps ; grâce aux techniques modernes, à la rapidité des communications et des transmissions, ses oeuvres paraissaient en douze langues. C'était choquant pour un écrivain formé à l'ancienne, qui avait vu dans la solitude de Baudelaire, de Stendhal, de Kafka, la nécessaire rançon de leur génie. Loin que la diffusion de ses livres lui en garantît la valeur, tant de médiocres ouvrages faisaient du bruit que le bruit apparaissait presque comme un signe de médiocrité. Comparée à l'obscurité de Baudelaire, la gloire idiote qui avait fondu sur Sartre avait quelque chose de vexant."

La force de l'âge
Il est vrai qu'à côté de Brasillach, Rebatet, Drieu, Sartre fait pâle figure.
N'est-ce pas de l'époque où est advenu dans la vie politique française ce que l'on a appelé "le poujadisme" ? C'est du moins ce qu'avance Pierre-André Taguieff.
Je ne pense pas une seule seconde que Sartre ait craint d'apparaître comme un écrivain d'extrême droite à cause du qualificatif de "populiste", ce mot ne servant pas, à ma connaissance, à cette époque [...]

You're right, Orimont Bolacre. Ouh là... je suis assez long à la détente ; bien sûr, le mot "populiste" n'avait pas le même sens politique qu'aujourd'hui. Je me demande si, pour Sartre, il n'était pas une sorte d'équivalent de "réaliste".
Il me semble que la comparaison entre les sens de l'adjectif populiste entre ca. 1938 (Sartre), ca. 1971 (D. Biga) et aujourd'hui est complètement faussée par le fait que le Populisme constituait dans l'entre-deux-guerres une Ecole ou au moins un groupe littéraire. Ecole fondée par André Thérive et Léon Lemonnier (romanciers et critiques bien oubliés) dans les années 1920 et tendant à représenter le "peuple" de l'époque dans les romans avec vérité, sans parti pris. A noter que les écrivains de l'Ecole Populiste n'étaient nullement d'origine populaire. Mais ils s'impatientaient qu'un Mauriac, qu'un Maurois, qu'un Henry Bordeaux (célébrités de l'époque) ne représentent dans leurs oeuvres que les milieux bourgeois. Le peuple constituait alors, si l'on veut, pour les romanciers, un exotisme, une terre à défricher (de nos jours ce serait peut-être le contraire).

On peut supposer que Sartre n'entendait nullement être assimilé à un écrivain de cette école, bien vivante en 1938 : école qu'il dépassait de toutes parts.

En 1971, l'Ecole Populiste a pratiquement disparu, mais dans la présentation qui est faite de Daniel Biga le terme populiste garde un écho de ce sens initial, purement littéraire. La référence à l'esthétique populiste reste présente.

Parallèlement à cela, le terme "populiste" a acquis aussi depuis longtemps un sens politique, assez proche de "démagogique". Depuis quand ? Il me semble que ce n'est pas récent, même si on abuse aujourd'hui de ce terme. Disons que la grande consommation qui en est faite pour discréditer des mouvements populaires et identitaires de droite nous incline à supposer que cette acception est toute récente : mais à mon avis c'est une erreur.

Aussi bien, je pense qu'il n'y a pas glissement de sens mais simultanéité entre une acception, si l'on veut, esthétique, et une autre acception d'ordre politique. Ces deux acceptions vivent leur vie, chacune de son côté.

Merci en tout cas d'avoir cité un poète démodé mais estimable comme Daniel Biga : soixante-huitard enflammé mais sincère, resté fidéle à sa parole des années 70, à ce titre in-nocent (non par communauté de vues, mais par fidélité
inébranlable à des convictions inactuelles).
"Aussi bien, je pense qu'il n'y a pas glissement de sens mais simultanéité entre une acception, si l'on veut, esthétique, et une autre acception d'ordre politique. Ces deux acceptions vivent leur vie, chacune de son côté."

Est-ce bien certain ? Ce qui me semble particulier, dans l'évolution du terme "populisme", c'est, précisément, qu'une seule acception continue à vivre sa vie et que l'autre - les autres - ne seraient tout simplement plus entendues dans les acceptions que vous relevez avec pertinence. Le sens "politique" a fait place nette en quelques années seulement. Il est devenu impossible d'employer le terme "populisme" autrement que dans son acception "politique", à moins d'être amateur bénévole de malentendus.
Le sens politique apparaît en même temps que le sens esthétique, au début du XXe siècle. Curieusement, il sert à désigner alors, rétrospectivement en quelque sorte, un mouvement politique russe des années 1850-1880, le narodnichestvo dont il est l'équivalent sémantique. Le terme "populisme russe" est resté. D'autres mouvements, aux États-Unis et ailleurs ont ainsi été qualifiés, d'une façon qui n'était pas péjorative. C'est probablement avec le péronisme que le terme est devenu dévalorisant.
09 janvier 2012, 10:06   Tangage
Les anti-populistes...

On peut passer directement environ la 25ème minute.
Utilisateur anonyme
09 janvier 2012, 10:30   Re : Tangage
(Message supprimé à la demande de son auteur)
J'allais le dire. Je n'avais jamais écouté Zarka, seulement lu certains de ses articles sur Schmitt. Un véritable idéologue, le roi du contresens à l'écrit, et du glapissement à l'oral.


(C'est normal, la musique, vers 30 min. ?)
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