Bonjour, j'ai souhaité m'inscrire sur ce forum suite au constat suivant : de même que Renaud Camus, j'affectionne les néologismes. J'ai écrit récemment
ceci sur un forum et j'aurais voulu avoir vos opinions.
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1°/ L'idéologie moderne
Il y a eu un curieux renversement, depuis le XIXème siècle dans les modèles intellectuels. Pour l'illustrer, voici une mise en parallèle de plusieurs idéologies.
- la lutte du bien contre le mal créa l'homme (manichéisme).
- la concurrence au travail créa la prospérité (libéralisme).
- la lutte des classes créa l'histoire (marxisme).
- la lutte des espèces créa l'évolution (darwinisme).
- la concurrence des partis créa le meilleur gouvernement.
Autrement dit, les idéologies modernes ont ceci de commun avec le manichéisme :
la lutte, la concurrence est productrice de progrès.
Je nomme ces idéologies modernes
polémosophies (grec
polemos guerre,
sophia, habilité = l'habileté par la guerre).
C'est un renversement, car historiquement, en France tout du moins, la pensée se fonde sur l'harmonie et la concorde, car, selon la religion chrétienne, et aussi Platon (lire le banquet de Platon, par exemple),
L'amour est producteur de progrès.
C'est le sens même de mot philosophie (grec
philia amour,
sophia habileté : l'habileté par l'amour).
Comment l'Europe en est-elle arrivée là ?
2°/ Big brother est passé par là
Le latin
universum, au XIIème siècle signifie au sens propre "
être tourné d'un seul élan vers". Il sert à traduire dans la bible grecque le mot
ὁμοθυμαδὸν, mot qui signifie étymologiquement "
de même humeur".
universum / ὁμοθυμαδὸν signifie alors "
unanimement", "
d'un commun accord", "
de manière concordante", "
avec concorde".
Avec la réintroduction d'Aristote en Europe, réapparaissent les écrits où
universum est utilisé pour traduire la locution grecque
καθόλου, locution qui signifie "
en général", "
pour tous". Par exemple, dans Hermeneia d'Aristote, l'on trouve : λέγω δὲ ἐπὶ τοῦ καθόλου ἀποφαίνεσθαι καθόλου, οἷον πᾶς ἄνθρωπος λευκός, οὐδεὶς ἄνθρωπος λευκός, (traduction : Ce que j'entends par énoncer une chose universelle d'une manière universelle, c'est dire, par exemple: Tout homme est blanc, aucun homme n'est blanc.) De cette réintroduction d'Aristote, s'ensuit une querelle philosophique :
la querelle des universaux. C'est quoi l'universel ?
Personne n'y comprend plus rien, car le mot prend tout-à-coup 2 sens distincts.
- le premier
ὁμοθυμαδὸν -> concordance concrète entre des êtres. (1)
- le second
καθόλου -> concordance entre catégories abstraites. (2)
Au sortir de la querelle, c'est le second sens du mot qui prend le dessus : Pour être universels (ou :
versés à l'unité), les hommes n'ont plus besoin de s'accorder concrètement, non, la concordance en pensée décrétée abstraitement suffit : l'homme est conçu universel, sans qu'il n'ait rien à faire pour cela... mais, si cet homme nouveau est alors versé à l'unité, ce n'est que de manière abstraite, dans l'esprit du savant, là où l'homme charnel est réduit à une instance particulière héritant des propriétés universelles d'une catégorie d'espèce : l'humanité.
Le premier homme est un sujet pensant, sensible et émotif. (
ὁμοθυμαδὸν)
Le second homme est un objet, instance particulière d'une classe (
καθόλου).
3°/ Le système économique d'ancien régime
Le système économique d'ancien régime est fondé sur les universités, mot qui dérive du sens (1) d'
universum (celui ayant traduit
ὁμοθυμαδὸν = "
de manière concordante" ) et qui signifie assemblée.
Les universités d'ancien régime consistent en des assemblées d'artisans libres, les corporations, sorte de structures politiques où tout ceux qui partagent la même activité professionnelle se concertent et se concordent de manière à éviter toute forme de rivalité.
Le système est non seulement protectionniste, mais il est basé sur le monopole, car pour tout travail dans un secteur d'activité particulier il faut s'adresser à la corporation locale de cette activité.
Une corporation est un monopole de l'assemblée des artisans qui se concordent entre eux sur la manière optimale de régir leur métier.
Le mot métier vient du latin
ministerium (qui a donné aussi ministère).
Autrement dit : une corporation est une structure économico-politique dont le ministère est la régulation d'une activité en un lieu par l'assemblée des artisans concernés.
Le système économique d'ancien régime est donc un système d'économie politique, auto-administré par les travailleurs, basé sur le protectionnisme, le monopole, et la concorde.
Certains dénomment ce système corporatisme, ce qui ne fait que désigner un système de corps sociaux. Le mot corporatisme a été clamé par le fascisme, mais ses corps étaient organisés selon une conception différente de celle évoquée ici : l'harmonie dans la lutte (le fascisme considérait que le lutte était ce qui permettait à l'homme de parvenir au progrès, cf la doctrine du fascisme de Mussolini), donc un espèce de mélange des conceptions économique d'ancien régime et du libéralisme. Il y a de plus un coté ésotérique dans le fascisme. L'Etat y est doté des attributs d'un Être, possédant conscience et volonté propre, une sorte d'égrégore, et chacun doit s'y plier (d'où son aspect totalitaire). Le système des universités d'ancien régime ne doit donc pas être confondu avec le corporatisme fasciste.
Il me faut donc trouver un autre terme.
Je désignerais donc le système économique des universités par
politergisme (du grec
politia "cité" et
ergos "travail").
Le
politergisme est le résultat direct de cette conception de l'universel insistant pour la concorde concrète entre les gens, car seul "
l'amour est producteur de progrès".
C'est ce que montre le sens historique d'
université, qui désigne à la fois :
- la qualité d'agir d'un commun accord, ce qui dérive du mot universel / universum / ὁμοθυμαδὸν.
- l'assemblée, la corporation, soit l'organisation sociale visant à créer dans les faits la concorde au travail par l'
universement des artisans d'une activité.
4°/L'imposture libérale
Evidemment, ce
politergisme, basé sur le protectionnisme et les monopoles locaux, ne fait pas l'unanimité. Il dessert les intérêts des oligarchies du commerce. Les grands marchands, du fait de leurs capacités économiques, sont entravés par le mille-feuille de l'économie d'alors. Beaucoup voudraient avoir les mains libres pour concourir sans entrave à la suprématie dans leur domaine, dans une sorte de guerre économique privée. Comme, avec la création de l'Etat, les guerres féodales privées pour la possession foncière ont été éradiquées, avec le soutien de l'Etat, le système des corps de métiers, empêche toute guerre économique privée.
C'est la théorie d'Adams Smith qui va donner les arguments nécessaires à ces oligarchies pour "prouver" le bien fondé de leur velléités combatives :
Une main invisible agit de sorte que la libre-expression concurrente des intérêts personnels produit le plus de prospérité possible...
La théorie libérale est née.
De manière surprenante, cette théorie, qui confine pourtant à la pensée magique, fait rapidement des émules : il faut croire que nombre de marchands, enrichis au commerce transatlantique, aimeraient gagner des parts de marché sur le continent... Cette conception accède à la réputation de vérité scientifique.
Le système
politerge est alors contesté. Les monopoles locaux des métiers auto-administrés par les artisans locaux sont dénoncés comme autant d'entraves au "libre-commerce", comme des privilèges insupportables, et donc, selon, la théorie "libérale", comme une entrave à la prospérité.
Le libéralisme tient son nom à sa revendication de casser les monopoles - en fait structures de l'économie politique - : il faut "délivrer" le système économique des règles de l'économie politique (qui sont : il y a une concorde nécessaire à trouver entre tous les participants à l'activité) : il faut libéraliser l'économie. D'où l'invention du terme libéralisme, créé à partir du mot libéral (= qui laisse de la liberté à).
Dérivé ainsi du mot liberté, le libéralisme a quelque chose de rassurant, mais, en fait ce terme désigne très mal ce que sont exactement ses principes. Il me faut donc choisir un autre mot plus en accord avec ce qu'est exactement le libéralisme, dans son principe.
La concurrence au travail =
polémergisme.
(du grec
polémos : guerre,
ergos : travail).
Ce nouveau mot désigne parfaitement son objet : le
polémergisme consiste en :
- Guerre économique.
- OPA hostiles.
- Conditionnement mental des salariés au combat (discipline militaire en entreprise)
- Gagner des parts de marché.
- Marketing de combat.
- Propagande / publicité / polémiques.
5°/ les révolutions libérales polémerges
Le
libéralisme polémergisme commence à s'installer en Angleterre après la révolution anglaise, où la monarchie anglaise, défaite et affaiblie, fait alliance avec les oligarchies économiques et bancaires, en acceptant l'ouverture des marchés à la concurrence, afin que celles-ci puisse se livrer sans entrave à la lutte pour la suprématie économique. Echange de bons procédés, ces oligarchies consentent à ne pas lutter pour la suprématie du pouvoir politique, à condition qu'elles puissent librement lutter pour la suprématie économique.
Premier coup de semonce en France. Turgot décide unilatéralement de dissoudre les structures du
politergisme (les corporations), au nom du
libéralisme polémergisme. Louis XVI revient sur cette décision qui fait un tollé.
C'est la Révolution "libérale" française, qui installera le
libéralisme polémergisme, par le décret d'Allarde (dissolution des corporations) puis la loi Le Chapelier (interdiction aux ouvriers de s'associer pour protéger leurs marchés).
Les conséquences au XIXème siècle sont logiques :
- Réapparition de la féodalité (basée non plus sur la propriété foncière, mais sur la propriété du capital)
- Réapparition du servage (renommé salariat)
- Retour aux guerres privées féodales, dont la finalité change (conquête de territoires vs conquête de capital) et le moyen aussi (combat physique vs combat économique).
Conclusion :
La quasi-totalité de la classe intellectualo-médiatico-politique, attribuent, d'un commun accord, à la mise en concurrence des individus la vertu d'une loi économique indépassable et nécessaire, savent-ils vraiment ce pour quoi ils plaident ?
Quels sont les effets de la guerre au travail, le
libéralisme polémergisme ?
- destruction du tissus économique du pays.
- suicide au travail.
- destruction de l'environnement.
- asservissement du salariat et des patrons en sous-traitance.
Le
libéralisme polémergisme, c'est juste une guerre. La guerre ne construit rien, elle détruit, elle pille, elle abîme, elle crée de la misanthropie et de la discorde.
Tout les XIXème et XXème siècles ont amplement montré le poison idéologique et politique
de la concurrence libérale du polémergisme : il ne s'agissait que de libérer les oligarchies de toutes contraintes politiques quant à la libre-expression de leurs velléités guerrières.
L'Europe s'est depuis auto-détruite, ou par la guerre véritable, ou par la guerre économique. Elle n'a eu de cesse de confondre pillage à court terme d'avec enrichissement à long terme, destruction d'avec construction.
La concurrence "libérale" est ce qu'il y a de plus mauvais, de plus vicieux, et le drame contemporain, c'est que toute l'élite la prend pour une vertu.
Le travail ne doit pas être fondé sur la concurrence, mais sur la concorde.
Le progrès ne vient pas d'un travail conçu comme un combat inter-humain, car cela produit de la discorde et donc porte l'auto-destruction en germe.
Le progrès vient de l'amour que les hommes mettent au travail, d'où la nécessité qu'ils ont à s'accorder pour y promouvoir la qualité et mettre à disposition de tous les meilleures techniques de production.
L'idéologie guerrière libérale doit être éradiquée.
Cette confusion a été possible du fait que l'homme est devenu un objet, instance abstraite d'humanité, sans sentiment ni charité, du fait du passage de l'universel concret (
ὁμοθυμαδὸν) à l'universel abstrait (
καθόλου).
L'homme n'est plus vu comme un sujet vivant,
Il est désormais vu comme un objet inerte.
Il est conçu interchangeable, manipulable, robotisable, nomadisable, uniforme.
L'universel s'est inversé.
Avant, c'était un but : l'universel était l'aboutissement d'un lent processus de concorde.
Aujourd'hui, c'est une origine : l'universel est postulé à priori, le processus générant la concorde est évacué et c'est la discorde généralisée.