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Avis aux amateurs de "sur comment" et variantes

Envoyé par Thierry Noroit 
Deux excellents spécimens de cette tournure de nouveau français, ou de "français d'après", particulièrement appréciée de Renaud Camus, recueillis chez l'écrivain François Bon, parangon de tous les conformismes bien pensants et de la jobardise de l'époque. A noter qu'il s'agit d'extraits d'un texte d'abord publié sur le site personnel de François Bon (adresse pour les masochistes : [www.tierslivre.net]) puis reproduit dans le numéro 31 (juillet-août 2011) de la revue Le Magazine des Livres. Inutile de préciser que François Bon est - c'est bien le moins - "intervenant en ateliers d'écriture" et qu'il enseigne aussi "l'écriture créative à Sciences Po Paris". Voici :

Cela conduit à d'autres aberrations en aval : des milliers d'euros bazardés pour des études sur comment affronter les réseaux peer to peer, des chicaneries bureaucratiques pour écraser leurs noisettes sous le rouleau compresseur Google

Prise dans sa logique de surproduction, adaptant cette logique de surproduction à des schémas consensuels, indifférente à la banalisation grandissante, c'en est fini de comment l'édition imprimée accueillait le laboratoire vivant de la création littéraire - via revues et collections.

De plus savants que moi commenteront la construction extraordinaire de la deuxième citation, au moins digne de Saint-Simon pour ses ruptures souveraines avec la logique grammaticale : la présence du "de comment" qui a d'abord retenu mon attention n'y étant peut-être finalement qu'un épiphénomène.
Ah oui, le deuxième paragraphe est une sorte de modèle !
C'est en effet de la haute voltige. C'est à de pareilles audaces qu'on reconnaît le grand écrivain. Je crois Saint-Simon un nain à côté de cet aigle !
De la haute voltige, oui. On ne se lasse pas d'admirer. Mais gare à ne pas en abuser ! Comme dirait Renaud Camus :
"Attention, on peut devenir fou !"
Les anacoluthes ouvrent de telles brèches dans le sens que sa raison a tôt fait d'y sombrer définitivement.
J'ai également remarqué depuis quelque temps une variante de "sur comment" qui fait florès, à savoir "sur ça" (utilisé à la place de "là-dessus" ou "à ce sujet"). Exemple : "Je connais cette histoire : j'ai lu un livre sur ça."
Mais vous n'y êtes pas, Messieurs... Tout ça n'est qu'un hommage, vibrant quoique discret, à un sien ami qui l'a accompagné dans ses aventures littéraires. Extrait de l'article Wikipedia consacré à notre géant :

En 2007, il collabore aux éditions du Seuil pour fonder, avec Bernard Comment, la collection « Déplacements »
Bernard Comment... No comment !

Plus sérieusement, je vous remercie, cher Buena Vista, de m'avoir épargné une éventuelle lecture (le hasard, on ne sait jamais, n'est-ce pas...) de la prose de ce monsieur, que je ne connaissais guère que de nom.
Si en effet les tournures sont assez lourdes, ce n'est néanmoins pas incorrect.

Il y a en effet plusieurs type de constructions verbales. Dans certains cas, la préposition "appartient" au verbe. Ce sont des constructions similaires à l'anglais pour les verbes prépositionnels (get up, stand up, ...). Voir ici.

Exemples :
- je cours après ... [la gloire]
- je compte sur .. [toi].

Dans les exemples qui nous concerne.
1) - Je fais une étude sur [un sujet] (je ne suis pas dessus au sens propre...)
Si le sujet est "comment affronter les réseaux peer to peer"
J'obtiens : je fais une étude sur [comment affronter les réseaux peer to peer].
Evidemment, le plus simple est d'utiliser le verbe étudier.
"...des milliers d'euros bazardés pour étudier comment affronter les réseaux peer to peer..."

2) - c'en est fini de [chose révolue]
Si la chose révolue est : "comment l'édition imprimée accueillait le laboratoire vivant de la création littéraire"
J'obtiens : "c'en est fini de comment l'édition imprimée accueillait le laboratoire vivant de la création littéraire"

Mais ici, je dois admettre que je suis incapable de dégager le sens. C'est plutôt un patchwork de stéréotype qu'une pensée.
05 août 2011, 22:54   Sur Comment
J'ai eu jadis entre les mains un recueil de nouvelles de Bernard Comment, Allées et Venues, et je dois avouer que j'en garde un souvenir assez bon, notamment de l'une d'entre elles, qui était en fait une très longue phrase. On sentait en tout cas dans ces textes l'influence trop présente de Thomas Bernhard, un souci artificiellement entretenu de l'urgent, de l'éperdu remâché et du maigre.
Cher Florentis, vous écrivez en conclusion de votre message supra :

Mais ici, je dois admettre que je suis incapable de dégager le sens. C'est plutôt un patchwork de stéréotype qu'une pensée

En admettant que les tournures incriminées, à savoir sur comment et de comment, soient grammaticalement correctes (et tout peut se démontrer, avec un peu d'habileté !) elles resteraient inélégantes, lourdes et failliraient - comme vous le reconnaissez - à leur mission de transmettre du sens. Elles seraient de toute façon contraires au génie de la langue.

Or, qu'attend-on d'un écrivain, sinon (entre autres) de transmettre du sens, avec un minimum d'élégance et de clarté, sans user de stéréotypes ?
Utilisateur anonyme
08 août 2011, 10:53   Re : Avis aux amateurs de "sur comment" et variantes
A titre purement anecdotique : selon Google Book, la première occurrence de la tournure "sur comment" se trouverait dans Qui shoote qui ? : le problème de la drogue de Louis Pierre Roy, éducateur (1978) : "De leur côté, les spécialistes de la prise en charge et du contrôle social devaient commencer à s'intéresser à la toxicomanie et se concerter sur comment aborder le problème."

[books.google.fr]
Merci, cher Francmoineau, de votre intervention si spirituelle... On peut toutefois regretter que notre Bernard Comment,
huile à France Culture et aux Editions du Seuil, reçoive tant d'hommages, de toutes parts, car son ami et collègue François Bon n'est pas le seul à ainsi l'honorer (quoique spectaculairement). Si l'expression remonte à 1978 dans la langue écrite et provient du milieu "social", encore une fois - comme tout cela est vraisemblable - elle aura mis un moment pour réellement proliférer, suivant en cela la courbe de la gloire et de l'influence de M. Comment (je ne parle évidemment pas de gloire et d'influence littéraires, même si on peut, comme M. Eytan, trouver quelque mérite à une des nouvelles de cet "intellocrate", comme on disait naguère).
Cher Agrippa, votre trouvaille nous montre que ce monsieur semble également pouvoir être l'initiateur (comme il aurait sûrement dit) d'autres formulations heureuses du même tonneau. On trouve en effet, quelques lignes après le passage que vous nous proposez :

Ce procédé a été si efficace qu'aucun député n'a interpellé le Conseil d'Etat concernant la mise en place des structures contre la drogue en 1969-1972.

Il convient cependant de relativiser doublement l'importance de cette source, parce qu'il s'agit d'une part de la production d'un "groupe formé d'éducateurs du Levant licenciés, de syndiqués VPOD et CRT et d'amis des Editions d'en bas", et qu'elle a été publiée en Suisse d'autre part.
J'abonde dans votre sens, Buena vista. La perfection consiste à "faire au travers de" (latin perficare). La sophistication consiste à rabouter. Perfectionner un écrit consiste ainsi à opérer à l'intérieur du premier jet pour lui donner le maximum de clarté et de concision. Sophistiquer un écrit est rajouter à l'extérieur du premier jet ce qui y manque. Faire à l'extérieur de, est l'opposé de parfaire, et peut être traduit par "faire fors", ce qui nous amène étymologiquement à forfaire.

sur comment et de comment sont donc forfaitures et des sophismes.

Mais ce qui me semblait totalement incompréhensible c'est ceci : "l'édition imprimée accueille le laboratoire vivant de la création littéraire". Mes efforts ne m'ont pas permis de comprendre l'idée ici énoncée.

Cher Agrippa, votre exemple,
De leur côté, les spécialistes de la prise en charge et du contrôle social devaient commencer à s'intéresser à la toxicomanie et se concerter sur comment aborder le problème.,
est intéressant.

se concerter sur est bien un verbe prépositionnel. Les spécialistes ne sont pas sur ce quoi ils se concertent, entendu au sens propre. La préposition sur n'introduit pas ici un complément de lieu, mais l'objet du verbe, et appartient donc au groupe verbal.

Nous avons donc le même schéma que dans l'exemple précédent :
se concerter sur + [objet de concertation]
avec l'objet de concertation suivant : comment aborder le problème [de la toxicomanie]

Pour parfaire l'écrit, il suffit d'y substituer comment par la manière, car le comment n'est autre que la manière.

De leur côté, les spécialistes de la prise en charge et du contrôle social devaient commencer à s'intéresser à la toxicomanie et se concerter sur la manière optimale d'aborder le problème.

Mais cette phrase contient encore bien d'autres tournures à rallonge :
sujet : les spécialistes de la prise en charge et du contrôle social
verbe : devaient commencer à s'intéresser à
objet : la toxicomanie

Au vu du contexte du livre, je pourrais traduire ainsi :
Simultanément, les spécialistes de la prise en charge et du contrôle social se concertèrent sur la manière optimale d'aborder la toxicomanie.

J'aurais aussi aimé substituer "les spécialistes de la prise en charge et du contrôle social" par autre chose. Las, je ne comprend point qui est désigné ici...
Utilisateur anonyme
08 août 2011, 13:19   Re : Avis aux amateurs de "sur comment" et variantes
Citation
Florentis
Si en effet les tournures sont assez lourdes, ce n'est néanmoins pas incorrect.

En effet, si on utilise «la manière de» à la place de «comment» la phrase peut redevenir lourde mais correcte («sur comment» ressemble à un anglicisme).

Dans son intervention des états généraux de l'indépendance, Renaud Camus relevait moins ce problème de grammaire, que le fait d'utiliser l'articulation comme un trampoline vers un changement de sujet, une question (sans l'intention de revenir) --- une incise qui commence mais ne finit pas

[www.in-nocence.org]

« Bien sûr on peut s'interroger sur fallait-il dix ans d'instruction pour en arriver là ? »
Cela me semble en effet des angliscismes : les verbes prépositionnels sont typiques de l'anglais. Exemples sur google :
Government to consult on how to implement Jackson Review = le gouvernement se concerte sur comment appliquer la révision...
Government to consult on how best to convert vacant commercial properties = le gouvernement se concerte sur comment convertir au mieux les propriétés commerciales vacantes.
Zambia : Government to consult on how to best remember the late president Mwanawasa.
... etc
Florentis, ne vous fatiguez pas: "se concentrer sur" est lui-même un calque de l'anglais to concentrate on ou parfois to concentrate upon qui signifie en français s'attacher à, s'en tenir à, se cantonner à, etc..


à Emmanuel M.: un trampoline se dit un tremplin en français, dans le sens où vous employez ce terme, soit en anglais, a springboard ou, en matière méta-linguistique, a shifter.
Ha, "on" et "upon"...

Voici une différence que je n'ai jamais pu maîtriser... pour moi, upon est davantage formel, mais je me trompe peut être...
Quand vous songez à employer "upon" songez aussitôt à to set the dogs upon him (que l'on trouve dans le dialogue entre Hera et Leto des Dialogues des dieux de Lucien, au sujet d'Artemis qui dut "lâcher les chiens à" Actéon après l'avoir transformé en cerf pour qu'il ne puisse narrer ce qu'il avait vu de la déesse) ou plus prosaïquement songez au prose, lequel se dit sit-upon (surtout au sujet des femmes, un peu précieuses -- she kept staring at me from the couch, upright on her little sit-upon), et vous reviendrez bien vite à un usage, modeste et sûr, de la postposition on.

Tenez, parce que vous êtes un étudiant appliqué, vous voilà récompensé d'une image. Sachez en faire bon usage.

Utilisateur anonyme
10 août 2011, 11:31   Re : Avis aux amateurs de "sur comment" et variantes
Je ne résiste pas à l'envie de vous livrer cette petite perle entendue dans l'émission " l' amour est dans le pré " : "Mesdemoiselles, bonne fin d'appétit ! " .
Oui, je n'utilise d'ailleurs que "on", par crainte de me tromper (sauf dans des expressions certaines comme "Once upon a time", mais qui ne sont guère fréquentes dans ma conversation !).
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