Le site du parti de l'In-nocence

Un entretien étonnant

Envoyé par Kiran Wilson 
29 septembre 2011, 22:57   Jonathan the Ripper
Bénis sois-tu Fer
Glaive vigoureux et bon
Puisses-tu chaque chose que le jour fait
La passer à ton fil
29 septembre 2011, 23:32   Re : Un entretien étonnant
Rien de traduit en français, dudit Ratosh... peut-être en anglais ?
29 septembre 2011, 23:55   Re : Un entretien étonnant
Cher Bruno, comme Ratosh est véritablement un créateur de langue, inventant même des néologismes construits à partir de l'hébreu biblique, de l’araméen et même de l'ougaritique, et de l'argot moderne de la langue parlée, et compte tenu d'une construction syntaxique à la fois heurtée, malaxée (ce n'est pas un hasard qu'il ait choisi comme pseudonyme Ratosh, qui vient du radical signifiant "mettre en pièces", "déchiqueter"), et très complexe, il est très difficilement traduisible...

Par ses façons d'être, sa "sensibilité", son déni presque systématique de la figure du Juif de la diaspora — malheureuse et funeste parenthèse qu'il aurait voulu purement et simplement occulter —, il me semble être à peu près l'opposé d'Appelfeld, que je connais bien sûr très mal...
30 septembre 2011, 01:22   Re : Un entretien étonnant
Stéphane, lorsque je lis l'extrait ci-dessous, déniché sur un blog, je ne peux que comprendre votre réaction dubitative. M. Defalvard a sans doute cru qu'il lui serait aussi aisé d'écrire que de rendre des dissertations "brillantissimes" (je reprends son mot, certes non dénué d'humour) à des professeurs trop heureux de lire un français de qualité. Son style, malgré un don précoce irréfutable - et malgré toute la sympathie que peut nous inspirer sa maîtrise de la langue (oui, c'est pour le seul plaisir de l'écouter parler que je suis allé pour la première fois jusqu'au bout de l'émission de Ruquier), son style, donc, n'échappe à aucun des défauts de l'immaturité, de l'impatience et de l'autosatisfaction :

"Sur la petite prairie qui surplombe le demi-tonneau, le chant plus clair, la montagne plus lisse, le ciel moins poudroyant. Parmi l’étalage vert qui dévale largement les pentes pour aller mourir en bas. Le trublion de leur pitié, de leur croyances, de leur piété, né comme la gangrène magnifique de leurs jours, promu comme une fleur superbe et tentatrice au cœur des reliefs de l’ignorance, comme les dernières bouffées de l’absurdité des guerres qui les avaient ensevelis déjà. Comme ils revoient, derrière les trublions, derrière la nage du temps et des glaces qui ont fondu, derrière les petits clochers d’amour propre, le regret splénétique et infirme, ils se sentent bancals, imparfaits, modelés dans le dégoût poussé et grossi au gré des ciels poussiéreux, alcooliques et finissants dans les tout derniers frissons des jours, ils ne se sentent plus bien alors que leurs pupilles se perdent dans les coups, les rayures, les impuretés qui se démènent devant leur regard dans le spectacle orange et terminal du viaduc.

Par la prairie, donc, le cœur plus frais, les sens plus sucrés, les évocations moins sèches.

Se sentent-ils comme des reliques, par-delà les demi-tonneaux, les réminiscences jaunies et dépassées, les triomphes toujours tus, jamais accomplis, érigés sans comprendre et effondrés sans gloire ? N’ont-ils plus donc que leur mémoire, leurs intériorités insignifiantes, pour redire, comme en souffle, la thésaurisation, les enluminures, les dénigrements de la logique, les montagnes, tellement essoufflées qu’elles en semblent exsangues, et ce temps qui fouettait et fouettait encore, comme l’église immortelle bâtie au cœur d’un embryon de félicité rouge et blanc, toutes les fins, les ailes foudroyées dans les barbelés, les treillis déchirés, les espérances formulées par le passé et les regrets, brûlées, consumées, anéanties sur les bûchers ?"
30 septembre 2011, 03:07   Re : Un entretien étonnant
Qui a dit : "Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère" ? Certes, certes, mais il ne faudrait quand même pas prendre ce principe proustien trop... à la lettre !
30 septembre 2011, 04:21   Re : Un entretien étonnant
Cet extrait, hélas, conforte mes doutes sur la valeur de ce livre. C'est la prose d'un lycéen très doué bien plus que d'un écrivain maîtrisant ses dons. Ou alors, serait-ce un pastiche, la création d'un auteur chevronné imaginant ce que pourrait écrire un jeune homme talentueux et ayant une haute estime de soi ? Pas à exclure.
30 septembre 2011, 08:46   Re : Un entretien étonnant
Ce n'est pas que j'aie sur ce point une très grande confiance en moi-même, mais la lecture de cet extrait me confirme que la première impression est presque toujours la bonne. On pourrait adresser à Marien Defalvard, toutes proportions gardées, le même reproche que Joseph II adressait à Mozart : trop de notes ! Trop d'oxymores, trop d'adjectifs, de métaphores étranges et surnourries. Le brillant élève, tout à la joie de montrer sa maîtrise du clavier, en oublie l'esprit de sobriété ; ce passage-ci me fait penser aux ennuyeux et pléthoriques entraînements de Cziffra s'échauffant avant de monter en scène.
30 septembre 2011, 09:15   Re : Un entretien étonnant
Je viens de lire le passage mis en ligne par Olivier. Que dire ? Le jeune Defalvard pratique beaucoup le rythme ternaire. C'est une chose. En revanche, on ne sent aucune intention, aucun propos dans cet extrait du moins. Peut-être une vague méditation sur le temps, à la façon d'un Claude Simon moins tourmenté. A ma sensibilité ( ou à mon goût) si l'image ou la métaphore doivent être des catalyseurs qui font éclater le sens et permettent au lecteur de le reconstruire ou de jouer avec, en tout cas de quitter la monosémie, les envolées que je viens de lire tombent à plat.
Le rythme de la phrase, sa scansion, hormis quelques "trucs" rhétoriques ( construction binaire en plus du rythme ternaire) est bien lourd et sans grâce, ni surprise.

Reste une question : pourquoi nos braves médias sont-ils béats ? Je me demande si nous n'avons pas, tout simplement, un de ces phénomènes éditoriaux saisonniers, construit autour de la précocité de Marien Defalvard.
Il n'empêche qu'il est vif et plaisant à écouter lors de ses interviews.
30 septembre 2011, 09:22   Re : Un entretien étonnant
Content de vous lire à nouveau, cher Olivier.
30 septembre 2011, 11:14   Re : Un entretien étonnant
Je crois qu'il ne faut pas être trop sévère pour cet auteur. Bien sûr qu'il en fait trop, comme tous les très jeunes débutants, ou presque, qui ont des lettres - on ne va pas s'en plaindre - il n'en finit pas de s'écouter écrire si j'ose dire. L'important est de deviner s'il y a du prometteur dans cette profusion indigeste. Je me souviens avoir lu le premier roman de Julien Gracq qui était beaucoup moins jeune que notre romancier actuel : " le château d'Argol". je l'ai trouvé illisible , ampoulé, la phrase croulant jusqu'au ridicule sous les adjectifs. Et pourtant ....
30 septembre 2011, 12:21   Re : Un entretien étonnant
Il y a une différence de taille, me semble-t-il, chère Cassandre. Dans Un château d'Argol, malgré l'écriture un peu ampoulée, tous les thèmes gracquiens sont déjà présents, la typologie du personnage gracquien, si particulière, y apparaît déjà, et le bric-à-brac romantique utilisé par le romancier y est à la fois chanté et révoqué : c'est à ses amours de jeunesse que Gracq dit adieu, d'une certaine façon, à travers ce roman. Pieyre de Mandiargues disait y avoir lu la plus belle phrase de la prose française ("Ils se dévêtirent parmi les tombes" ou quelque chose comme ça). Alors que rien ne nous dit qu'il sortira un écrivain du livre de MD. Plus je relis le passage précité, plus je le trouve franchement mauvais.
30 septembre 2011, 13:02   Re : Un entretien étonnant
Dans un genre très différent, il y eut Modiano, avec son indigeste "Place de l'étoile", qui fit la joie ambiguë des Hussards...
30 septembre 2011, 13:03   Re : Un entretien étonnant
Mais cher Kiran comment pouvez-vous savoir si ce premier livre ne contient pas en germes les principaux thèmes de l'oeuvre de ce jeune homme puisqu'il n'a encore rien écrit d'autre, que son oeuvre est encore à venir?
30 septembre 2011, 13:20   Re : Un entretien étonnant
J'ai écrit : "Rien ne nous dira qu'il sortira un écrivain de ce livre". Rien ne nous dit l'inverse non plus. Je continue à trouver le cas MD suspicieux. Je suis un écrivain reconnu mais vendant peu, à la notoriété déclinante. J'imagine et j'écris le livre qui pourrait être celui d'un très jeune homme doué mais sans discernement encore sur l'usage de ses dons, plein d'adjectifs inutiles, de métaphores bancales mais parfois justes, de déchets mais aussi, je suppose, de quelques pépites. Je cherche et trouve (dans mon entourage peut-être) le garçon beau, sensible, cultivé, en avance sur son âge qui en endossera la paternité. Je lance avec mon éditeur une campagne soigneusement orchestrée (on parlait déjà, dès juillet, du "génie" de MD). Et narquoisement j'observe la suite.

Mais ce n'est là qu'une fiction peut-être.
30 septembre 2011, 13:39   Re : Un entretien étonnant
Chère Cassandre, on ne saurait avoir en effet trop de scrupules à spéculer ainsi sur la carrière future du jeune écrivain ; espérons seulement que le succès tant médiatique que "librairesque" dont il jouit aujourd'hui ne compromette pas sa lucidité ni n'entrave le désir qu'il pourrait avoir de perfectionner son style et d'atteindre à plus de retenue, de sobriété, de clarté.
30 septembre 2011, 19:26   Re : Un entretien étonnant
C'est étonnant, tout de même, ce besoin d'imaginer la possibilité d'une mystification... (Même si je sais bien que ça n'est pas sans exemple, bien sûr). C'est un peu, proportions gardées, le même fonctionnement intellectuel que celui des tenants de la théorie du complot.
Utilisateur anonyme
30 septembre 2011, 21:13   Re : Un entretien étonnant
Interview de Jacques Chardonne auprès de Georges Charensol, auquel il fait part de sa lente maturation d'écrivain :

" Je me sentais beaucoup trop jeune. Il faut garder sa jeunesse pour l'âge mûr. Quand on écrit trop tôt, surtout quand on a le malheur d'avoir un peu de succès, on risque de demeurer un enfant toute sa vie. On peut perdre pour toujours le respect de son art, car l'enfance ignore le respect. "

Une autre citation de Chardonne, spécifiquement, peut-être, à l'attention de Renaud Camus : " J'aime le talent à l'état pur ( qui m'a fait défaut ), ou virtuosité, l'immense vocabulaire, l'érudition si étrange... Le Morand qui peut écrire en cinq minutes sur Larbaud ce que vous avez lu dans Arts... Il y a des écrivains pauvres et il y en a des riches ( très peu ). Je suis un pauvre, parmi les plus pauvres ( à trente ans incapable d'écrire deux lignes ). Je sais ce que cela donne, et qui a son prix, et qui est le bien des pauvres, inimitable, je crois. Mais je suis un bon pauvre. J'aime les riches. "

Notes de lectures, cette après-midi, dans une bibliothèque d'Aix-en-Provence où l'on ne peut pas, malheureusement, entendre les mouches voler : pieds de chaises frottants longuement le sol, sonneries de portable et les conversations qui s'en suivent, banalités échangées à jet continu entre deux adolescentes vulgaires... Aucune de ces personnes ne culpabilisant d'imposer ses nuisances dans ce sanctuaire du silence et du respect. Tout cela sans aucune réaction des employés que je n'ose appeler bibliothécaires.
30 septembre 2011, 21:22   Re : Un entretien étonnant
Cher Jean-Philippe Boursier, merci pour ces belles citations, en effet très éclairantes.
30 septembre 2011, 21:26   Re : Un entretien étonnant
Je pensais que depuis 1945 on écrivait ChardonneSS...
30 septembre 2011, 21:42   Re : Un entretien étonnant
N'est-ce pas Gide qui déclarait que s'il n'avait qu'un conseil à donner à un jeune écrivain ce serait de ne rien publier avant quarante ans" ?
30 septembre 2011, 22:13   Charançon
» auprès de Georges Charensot

Charensol, non ?...
30 septembre 2011, 22:19   Re : Un entretien étonnant
« Mais, en supposant le mérite de l'art égal de part et d'autre, il ne faudrait pas se presser de conclure du mérite de l'art au mérite de l'artiste. — On voit des enfants toucher du clavecin en grands maîtres ; on n'a jamais vu un bon peintre de douze ans. La peinture, outre le goût et le sentiment, exige une tête pensante, dont les musiciens peuvent se passer. On voit tous les jours des hommes sans tête et sans cœur tirer d'un violon, d'une harpe, des sons ravissants. » (Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre)
Utilisateur anonyme
01 octobre 2011, 10:43   Re : Un entretien étonnant
Merci Alain Eytan et Jean-Marc : il s'agit bien du journaliste Georges Charensol; quant à Chardonne, son nom ne prend effectivement aucun s final, ce qui devrait le blanchir aux yeux de l'Histoire.
Utilisateur anonyme
01 octobre 2011, 13:36   Re : Un entretien étonnant
Pour me faire pardonner :

<< Ce que j'appelle " civilisation " c'est une discipline, une connaissance et un art de vivre, une faculté de voir en autrui un autre, et de le ménager et respecter en tant qu'autre. Et non pas tout ramener à soi, ne voir que soi... >>

Jacques Chardonne
01 octobre 2011, 13:49   Un entretien
"N'est-ce pas Gide qui déclarait que s'il n'avait qu'un conseil à donner à un jeune écrivain ce serait de ne rien publier avant quarante ans" ?"

Quant à accepter une invitation pour une émission de divertissement, on chercherait en vain dans Gide, Chardonne, Morand, Xavier de Maistre un conseil sur ce thème...
01 octobre 2011, 14:44   Re : Un entretien étonnant
Je crains qu'accepter une invitation à participer à des émissions de divertissement ne soit devenu une condition pour publier chez les éditeurs "qui comptent". Me trompé-je ? Il doit y avoir quelques rares exceptions, mais je ne serais pas surpris si cela figurait en toutes lettres sur les contrats... Alors, que faudrait-il faire ? Ne pas publier ? La "poubellication", comme disait Lacan, la compromission avec les logiques de marché étaient déjà dénoncées par Chateaubriand, sous la Monarchie de Juillet...
03 octobre 2011, 05:22   Re : Un entretien étonnant
Mon cher Francmoineau, loin de moi de parler d'un "complot". Il est probable que MD soit l'auteur réel de son livre. Il n'est pas impossible qu'il ne le soit pas. Ce qui me gêne dans les extraits que j'ai lus, outre leur enflure stylistique, c'est qu'ils ont déjà un air de pastiche.
03 octobre 2011, 12:35   Re : Un entretien étonnant
Tout à fait d'accord avec Kiran. L'air de pastiche, le côté ballon de baudruche, hélas, sont très apparents... J'attends le roman que mon Amazon doit me livrer incessamment...
Il me semble que ce côté un peu artificiel, il est vrai, provient simplement de la jeunesse de l'auteur. Il a encore l'embarras du choix devant la richesse de la langue et il transmet sa vision de manière un peu maladroite. Il y a comme un trop-plein de connaissances que ses dix neuf ans ne peuvent contenir. Il faut de l'expérience.
En revanche, il s'exprime très bien à l'oral.

J'ai commandé le livre également.
26 janvier 2012, 17:44   Notes de lecture
Il fut un temps où l’entrée en matière dans la carrière des Lettres passait par la composition presque obligée, pour ainsi dire naturelle, d’un beau recueil de vers. Pour les uns, il resterait simple carte de visite du temps où l’on poétisait avant de passer aux choses sérieuses, pour les autres, il serait témoignage premier (et qui deviendrait parfois embarrassant) d’un engagement sans retour pour la littérature ou, plus largement, les œuvres de l’esprit.

Il fut un temps où Marien Defalvard eût sans l’ombre d’un doute couru sa jeune chance au moyen d’un tel recueil (et, soit dit en passant, il ne serait venu à l’idée de personne de le présenter comme un monstre de foire, attestant par là que, désormais, il est entendu que 19 ans n’est pas l’âge des prouesses littéraires, de l’inspiration, du goût de lire et d’exagérer avec les mots.) Mais on ne « sacrifie plus aux Muses », l’expression ayant perdu pour beaucoup jusqu’à son contenu d’ironie désuète, faute d’être encore simplement comprise. Aujourd’hui, c’est au roman que l’on sacrifie, à l’hégémonique roman que tout prétendant à l’attention du public se doit de sacrifier, qu’il opte pour le roman-roman, le vrai-faux roman auto-fictionnel, le faux-vrai roman de contre-enquête, le roman trash ou le gnangnan, costume d’époque ou tenues d’anticipation, le roman. Alors Marien Defalvard sacrifie au roman plutôt qu’il ne propose un recueil de poèmes. Et cependant, c’est bien à l’enseigne des Muses qu’il place son livre, sans que l’on puisse décider si une œuvre suivra ou s’il s’en tiendra à cet envoi.

Il sacrifie aux Muses, dans le plus classique des choix de ses thèmes : le passage du temps, la mélancolie, la nostalgie, la mort, l’amour, l’innapartenance au monde, l’expulsion du Paradis (ici, l’enfance), l’attrait des ciels et des nuages, la nature, l’horreur du naturel, la magie évocatoire des noms de lieux, inventaire non exhaustif mais dont chacun reconnaîtra l’orthodoxie poétique, surtout de la part d’un jeune homme. Et comme pour parer à cette accusation de jeunesse, sinon d’adolescence, l’auteur adopte le « je » d’un homme né en 1960 et qui aborderait la cinquantaine au moment où il écrit. Le « roman » s’achève ainsi en 2009. Jamais pourtant le jeune homme qu’est l’auteur ne parvient à se faire oublier derrière le quinquagénaire de fiction, censé coucher sur le papier son itinéraire existentiel. Les étapes de ces cinquante années de vie se mesurent plutôt en quelques années de jeunesse, artificiellement dilatées, en quoi l’auteur ne fait que trop voir son âge, porté à croire qu’une vie d’homme ne se remplit plus après la vingtaine. C’est sans importance. On peut passer outre à cette fiction des âges, presque naïve, et goûter sans restrictions l’enchaînement des phrases, à condition de se placer dans l’état d’esprit de qui s’apprête à lire de la poésie et non de la prose. A partir de là, c’est affaire de goût personnel, comme en musique tel se délecte aux cuivres, tel autre au clavecin.

La prose poétique de Marien Defalvard fait beaucoup pour se rendre détestable aux yeux de certains. On peut rejeter sa manière, ses manières, la moindre de ses tournures. Il me parait sans intérêt de préciser pourquoi, et tout aussi vain de donner les raisons qui ont fait pour moi de cette lecture un moment très particulier, voisin de l’envoûtement. J’ai beaucoup aimé ce livre. Tout cela, et la détestation et l’envoûtement, ne se discute pas.

En revanche, redescendu sur le plancher des vaches de la critique littéraire, on peut toujours aventurer quelques hypothèses de filiation auxquelles associer l’auteur du temps où l’on existait. Celle d’avec Proust me parait une erreur de jugement. Il ne suffit pas qu’une phrase soit longue pour qu’elle soit réputée proustienne, évidemment, non plus qu’il ne suffit de voir paraître le mot « temps » dans un titre pour imaginer partir à sa recherche sur un même chemin. Marien Defalvard fait l’impasse, dans ce « roman », à dessein ou non, je ne saurais dire, de l’art de la narration et voilà qui suffit à le séparer radicalement de Marcel Proust, maître en la matière. Defalvard raconte son écriture et c’est tout.

Une des filiations contemporaines qui me paraît plus juste, c’est celle d’avec Houellebecq. Cela pourra sembler étrange, eu égard à la profusion métaphorique, aux effets de lexique, aux tournures archaïsantes, qui abondent chez Marien Defalvard (sans compter la quantité d’alexandrins et d’octosyllabes qui émaillent le texte et dont on ferait un joli centon), tandis que Houellebecq s’est fait l’adepte de la forme plate. Et cependant, du côté de la « tournure d’esprit », ces deux-là sont bel et bien cousins, par la branche d’un pessimisme froid à l’égard de l’existence, de « la vie », sans s’interdire une forme de compassion à l’égard des vivants.

Dans un autre registre, s’aperçoit nettement l’ombre tutélaire de Renaud Camus à travers les évocations essentielles de la province française, le goût des randonnées en voiture, les paysages, les noms de lieux, le goût des expressions, le sentiment de la perte d’un monde et l’impossible saisie du temps.
Centon en rimes libres, composé à partir des alexandrins glanés à la lecture dans le roman de Marien Defalvard :

Mes traits comme affinés et rendus plus charmeurs
Je me rendais alors très souvent au musée.
J’abusais du passé pour me garder de vivre
Et l’envie de mordant me dévorait aussi,
Mais je la trouvais niaise, je ne l’écoutais pas.

D’une main identique aux ongles bien lavés,
J’aurais aimé mourir comme le soir le ciel.
J’étais coureur et tendre, je buvais du vin doux
Je regardais l’étoile, un jour j’aurais mille ans,
Et cela suffisait à me rendre joyeux.

Il convient de lutter contre l’arrachement.
La fenêtre, fermée offrait sa liberté
Et le soir de juillet au couchant qui s’expose.
Le ciel n’était pas bleu, pas roux, pas gris, mais noir,
Le malheur et sa canne et la joie dans sa jupe.
Rien ne s’était passé, et nous attendions tout.

Alors nous baroudâmes en souvenirs crémeux
Qui se méditent bas et saignent au grand jour,
Songeant naïvement aux années magnifiques.
Comme elles étaient loin, les odeurs disparues,
Ma bonne vieille sœur aux yeux d’eau de canal.
D’ici la mer coulisse, s’étiole et se retire,
Je bloque et me limite, et je souffre de tout.

Il aimait les voyages, le monde, les pays,
Le musicien suave d’un orchestre ridé
Qui ne coûtait pas cher mais qui s’usait très vite.

Aux plaisirs compliqués qui font la vie facile
Ils couraient de travers avec de petits bonds,
Leurs feulements chétifs, sifflants à l’unisson,
Leurs immeubles poudrés qui fronçaient les sourcils,
Les huit pièces parées de façon identique,
Tous les jours maintenant, je me couchais ravi.
28 janvier 2012, 13:00   Re : Un entretien étonnant
Serait-il un disciple d'Anatole France ?
Mes traits comme affinés

Et l’envie de mordant me dévorait aussi,

Alors nous baroudâmes en souvenirs crémeux

Comme elles étaient loin, les odeurs disparues,

Les huit pièces parées de façon identique,



Est-ce un éloge du camembert ?
Utilisateur anonyme
03 février 2012, 17:18   Re : Notes de lecture
Ah, je vois que grâce à l'In-nocence l'âme française a encore de beaux jours devant elle ; et je m'en félicite. La France, en effet, n'est-elle pas ce pays où tout homme de valeur juge de ses lectures non d'après ce qu'il pense (expédié en deux lignes) mais d'après ce qu'il sent que les puissants, et les puissants du jour (fût-il fieffé réactionnaire), pensent.

C'est que qu'un patriote appellerait, non sans fierté, "les traits éternels de la race."
03 février 2012, 17:51   Re : Notes de lecture
Tiens, cher Marien Defalvard, puisque vous passez par là, nous feriez-vous la grâce d'une glose et nous dire si, quand vous écrivez "l'un se plaignait de tel boulon, l'autre des instructions, l'autre de la garantie, et le dernier, derrière, avec la moustache, du prix des réparations." vous pensez à un auteur en particulier dans le passage en italique ou si cet attribut pileux est pure fantaisie de votre part.
04 février 2012, 08:32   Re : Notes de lecture
Cher Marien,

vous êtes lu ici avec beaucoup d'intérêt, de bienveillance,
pourquoi vous insurger à propos de remarques qui ne vous sont pas toujours agréables, votre grande jeunesse doit se montrer patiente.
Utilisateur anonyme
04 février 2012, 17:59   Re : Un entretien étonnant
Pour revenir au message de Virgil du 27 septembre 2011 , je voudrais signaler que notre jeune auteur parle des "jeunes gens" alors que tous les autres intervenants ne cesse de répéter "les jeunes". Renaud Camus a souvent relevé la dérive de cet adjectif dans le "parler" contemporain.
06 février 2012, 03:42   Re : Un entretien étonnant
Mon cher Marien, il me semble que les "puissants" ont été, ces derniers mois, plutôt bienveillants envers vous. Que je sache, aimer ou ne pas aimer un livre reste une question de goût, de sensibilité, d'état d'esprit au moment même de la lecture. Votre roman, parce qu'il repose avant tout et presque uniquement sur un style, peut envoûter ou laisser indifférent (voire agacer) le lecteur. Dans mon cas, l'envoûtement n'a pas du tout eu lieu. Cela ne remet pas en cause la valeur des éloges qui vous ont été faits ailleurs. Vous avez un grand talent en devenir. J'espère que la petite gloire médiatique dont vous avez bénéficié ne l'empêchera pas de se développer.

(Je suis par ailleurs tout à fait d'accord avec le message d'Orimont du 26 janvier. En d'autres temps, vous eussiez publié une plaquette de vers, qui vous eût attiré quelques sympathies. En d'autres temps, plus récents, des passages de votre livre, mais non le livre lui-même, eussent été publiés dans une revue respectée.)
Utilisateur anonyme
10 février 2012, 13:04   Re : Un entretien étonnant
Comme vous êtes charitable ! Je dirais plutôt : en d'autres temps, on eût refusé ma contribution dans la revue de mon lycée.
10 février 2012, 13:10   Re : Un entretien étonnant
Et les Cahiers de l'In-nocence, cela vous tenterait ?
Utilisateur anonyme
10 février 2012, 13:18   Re : Un entretien étonnant
(Message supprimé à la demande de son auteur)
10 février 2012, 13:46   Re : Un entretien étonnant
"En d'autres temps, vous eussiez publié une plaquette de vers, qui vous eût attiré quelques sympathies."

Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai voulu dire et le début de mon message est dépourvu de l'espèce de condescendance qui s'entend dans les mots "plaquette" et "quelques sympathies". Ce qui m'importait c'était de relever l'obligation qui est faite aux auteurs, désormais, d'en passer de gré ou de force par le roman pour avoir une chance de se faire entendre, fussent-ils, à ce moment de leur carrière ou nativement, tout désignés à écrire de la poésie, ce que je crois être le cas de Marien Defalvard (mais je peux me tromper), tout comme, d'ailleurs, celui de Houellebecq de qui on peut se demander s'il ne s'est pas donné tant de mal pour se faire un nom dans le roman à seule fin de pouvoir publier à coup sûr des poèmes (genre auquel, à mon avis, il reviendra sans faute si les petits cochons ne le mangent pas.)
11 février 2012, 00:52   Re : Un entretien étonnant
J'ai lu attentif le "Du temps qu'on existait" de Marien Defalvard. J'ai beaucoup souffert, mais, in fine, je trouve ça superbe. Ce garçon devrait arrêter d'écrire, il a déjà tout fait à cet égard. Il pourrait se faire trafiquant d'armes quelque part ailleurs ; comme l'Autre...
Je ne sais.
J'aimerais lire son prochain, pour être sûr, quand même.
Bien à vous.
Utilisateur anonyme
12 février 2012, 17:44   Re : Un entretien étonnant
Citation

un groupe d'homophobes obtus et méchants,

En est-il d'autres ?
Utilisateur anonyme
12 février 2012, 19:16   Re : Un entretien étonnant
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

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