Vincent Peillon : "Aucun enfant ne sera hors de l'école avant 16h30"
LE MONDE
Mardi 9 octobre, le chef de l'Etat a refermé les trois mois de concertation et énoncé ses priorités pour l'école. Le ministre de l'éducation, Vincent Peillon, sa feuille de route en main, expose dans une interview exclusive au "Monde" sa méthode et son calendrier pour mettre en œuvre la refondation de l'école.
Du discours de François Hollande, l'opinion retient la fin des devoirs à la maison. Qu'est-ce que cela dit de notre société ?
Vincent Peillon : Ce n'est pas le seul sujet retenu, et heureusement! Si celui-là a particulièrement marqué, c'est sans doute parce qu'il montre concrètement qu'un projet pour l'école est, comme l'a dit le président de la République, un projet de société. Parce que nous souhaitons une société juste, nous voulons une école qui offre à tous les mêmes chances de réussite. Cela passe par le fait d'accompagner tous les élèves dans leur travail personnel, plutôt que de les abandonner à leurs ressources privées, y compris financières, comme c'est trop le cas aujourd'hui.
On aurait aussi pu retenir les efforts que nous allons produire pour améliorer les résultats des élèves dès le début de la scolarité obligatoire, ou l'"orientation choisie", cette idée qu'un enfant doit construire son parcours plutôt que de le subir, avec l'expertise et les conseils avisés de ses enseignants et des professionnels de l'orientation, mais aussi avec sa famille. C'est une question de justice: aujourd'hui, on n'oriente pas de la même manière les élèves selon leur milieu social. Mais c'est aussi une question d'efficacité économique et de cohésion sociale.
Ces faiblesses de notre orientation provoquent un grand gâchis humain, c'est la raison de beaucoup de décrochages, mais aussi économique, puisque beaucoup de métiers peinent à recruter. Le service public territorialisé de l'orientation porte cette ambition [en lien avec les régions].
Vous avez désormais votre feuille de route. Comment allez-vous la mettre en œuvre ?
La concertation a permis de partager un diagnostic et de dégager des propositions. Il faut désormais concrétiser un certain nombre d'avancées dès la rentrée 2013 et poursuivre dans la durée une action résolue.
Ce matin, j'ai exposé au Conseil supérieur de l'éducation le calendrier qui doit être le nôtre. Lundi, j'ouvrirai des discussions approfondies avec les syndicats d'enseignants, les collectivités locales, les représentants de parents d'élèves, les associations et mouvements d'éducation populaire.
J'expliquerai nos choix, j'écouterai leurs avis, j'enrichirai ma réflexion des leurs. A la fin de la semaine, à l'issue de ces rencontres, s'ouvriront les discussions interministérielles. Si l'on veut que la loi d'orientation et de programmation sur l'école soit examinée en conseil des ministres avant Noël, nous devons la transmettre aux différentes instances consultatives, début novembre.
Qu'y aura-t-il dans cette loi ?
L'intérêt d'une loi d'orientation, c'est qu'elle nous permet, au-delà de ce qui ressort strictement du domaine législatif, de fixer les objectifs à moyen terme et d'expliquer l'esprit qui préside à notre action commune. La représentation nationale doit aussi se prononcer sur les instruments qui permettront dans la durée cette refondation de l'école : c'est pourquoi figureront, notamment dans la loi, la création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation [en remplacement des IUFM] et celle des instances d'élaboration des programmes et d'évaluation de l'école.
Les programmes comme le contenu du socle commun doivent en effet changer. Ce sera le rôle d'une instance placée auprès du ministre et qui comprendra des gens de terrain, des universitaires... Quant à l'évaluation de notre système éducatif, nous avons besoin d'un organisme indépendant, irréprochable. Et puis il faudra aussi un institut des hautes études de l'éducation nationale pour que la connaissance de l'école soit partagée avec toute la nation.
La loi de programmation permettra de sanctuariser les moyens afin que l'école ne soit plus une variable d'ajustement budgétaire et que l'on puisse agir dans la durée.
La rentrée 2013 sera la première rentrée de gauche ; qu'est-ce qui va changer ?
Les écoles du professorat et de l'éducation accueilleront, dès septembre, les futurs professeurs et personnels de l'éducation. Nous aurons la première génération de professeurs ayant une entrée progressive dans le métier, avec seulement six heures devant les élèves.
Dès cette année également, la priorité accordée au primaire se traduira par la relance de la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les zones difficiles, les débuts de l'application du "plus de maîtres que de classes" et, bien sûr, par la réforme des rythmes.
Comme l'a annoncé le chef de l'Etat, la semaine comptera quatre jours et demi. La journée de classe sera allégée et mieux articulée avec les temps périéducatifs, qui comprendront l'aide aux devoirs – qui se feront désormais à l'école –, ainsi que des activités culturelles et sportives. Aucun enfant ne sera hors de l'école avant 16h30. Et toutes les ressources doivent être mobilisées pour garantir à tous, sur tous les territoires, y compris les moins riches, une prise en charge périéducative de qualité : Etat, collectivités, caisses d'allocations familiales et –pourquoi pas – fondations d'entreprise participeront à son financement.
Par ailleurs, le service public territorialisé de l'orientation prendra forme dans les régions tandis que la grande ambition numérique à l'école que nous portons commencera à se déployer.
Nous donnerons plus de responsabilités aux collectivités locales et nous permettrons aux équipes éducatives de pouvoir mieux développer leurs initiatives, favorisant en particulier les projets permettant une meilleure articulation entre niveaux d'enseignement.
Les nouvelles orientations pédagogiques retenues par le président – devoirs du soir faits à l'école, évaluation des élèves plus constructive, limitation du redoublement – devront progressivement entrer dans les pratiques.
Et ensuite... Quelle école la refondation aura-t-elle dessiné en 2017 ?
Le temps de l'éducation est un temps long. La loi est un moment essentiel, mais ne résume pas à elle seule la grande tâche que nous devons conduire. La refondation, ce sont des réformes immédiates, une ambition de moyen terme et un profond changement dans les mentalités, qui prendra nécessairement du temps.
Si l'on prend l'exemple du numérique : dès 2013, nous aurons créé des contenus pédagogiques nouveaux, amélioré le raccordement et l'équipement des écoles et permis aux parents un meilleur suivi de leur enfant par Internet.
Pour que tous les enseignants soient formés, pour qu'une industrie nationale de production de contenus pédagogiques numériques voie le jour et qu'un service public de l'aide aux devoirs soit en ligne pour les élèves du secondaire, nous nous fixons l'objectif du quinquennat.
D'autres chantiers vont être ouverts. La question essentielle des programmes est devant nous, comme l'articulation du lycée et des études supérieures. Nous aurons à reparler du temps de l'année scolaire comme du baccalauréat. Il en va de même pour l'éducation artistique ou l'enseignement de la morale laïque. J'ouvrirai aussi le chantier qui concerne les évolutions du métier d'enseignant.
Retenez-vous cette idée issue de la concertation qu'un enseignant en début de collège peut enseigner deux disciplines ?
Nous pouvons créer du lien entre le CM2 et le collège en développant la coopération entre les établissements, l'échange de services, le travail en commun... Mais agiter le chiffon rouge de la remise en cause des identités disciplinaires à un moment où les professeurs vivent légitimement une crise de confiance, blesser les acteurs dont nous avons le plus besoin pour avancer n'a pas beaucoup de sens. C'est le contraire de ma démarche qui veut le respect pour chacun et la construction d'une volonté partagée qui entraîne et responsabilise tous les acteurs.
En revanche, il faut travailler autrement sur les carrières. Un enseignant devrait pouvoir devenir chef d'établissement, inspecteur, former les jeunes enseignants, avoir des responsabilités de coordination et continuer à enseigner, ou revenir à l'enseignement sans perdre ses avancées de carrière. Je veux ouvrir une réflexion ambitieuse sur le cadre d'emploi avec un principe: n'oublions jamais que le cœur du métier, c'est la rencontre entre un maître et un élève, c'est cela le plus difficile et le plus précieux.
A court terme, allez-vous supprimer les zones d'éducation prioritaires, les ZEP, c'est-à-dire détricoter ce que la gauche à mis en place en 1982...
On ne peut pas faire le constat de l'accroissement des inégalités – des évictions, de la concurrence et de la ségrégation – entre les établissements, et s'accrocher a des mécanismes qui ne font pas leurs preuves.
En France nous donnons plus à ceux qui ont plus. C'est vrai dans le système universitaire, c'est vrai aussi dans le système scolaire. La Cour des comptes vient de le rappeler avec force, et une certaine cruauté. Nous devons en tenir compte. La République ne peut pas l'accepter.
Et cela peut se faire au moyen d'une "aide" apportée directement aux établissements en fonction de leurs spécificités territoriales, scolaires et sociales. Bien entendu, et je veux rassurer tous ceux qui se dévouent aujourd'hui dans les écoles et établissements de l'éducation prioritaire, cela s'accompagnera d'un dispositif de pilotage et d'animation pour venir en appui aux équipes éducatives dans les établissements en difficulté.
Et pour que cela marche, le chef de l'Etat a rappelé que les volontaires pour y enseigner bénéficieraient d'améliorations de leurs conditions de travail. Il ne s'agit pas d'abandonner les territoires en difficultés, mais exactement de l'inverse, et j'associerai à cette nouvelle politiques tous les acteurs.
Par ailleurs, nous devons reconstruire une carte scolaire, l'assouplissement de cette dernière ayant aggravé les difficultés. Il revient à l'école de la République de bâtir du commun entre les enfants de France. Pour cela il ne faut pas craindre d'organiser la mixité scolaire et sociale. C'est une erreur de considérer que l'excellence de quelques uns doit se construire sur l'échec des autres. C'est l'inverse. La réussite de tous doit permettre au contraire de mieux recruter nos élites.
Le chef de l'Etat se veut le garant que tous les enfants du pays maîtrisent le socle commun de connaissances et de compétences. Quel socle ? Les deux grandes fédérations ne sont pas d'accord sur sa définition. En faveur de qui allez-vous trancher ?
Je n'aborde pas ce sujet essentiel en ces termes. La vraie question est de savoir ce que nous voulons transmettre à tous nos enfants. Il ne s'agit surtout pas de le penser comme un minimum, mais tout au contraire un ensemble constituant pour tous un tremplin pour des études futures, quelles qu'elles soient. Je veux que l'on continue d'élever le niveau de connaissance, de culture, les compétences de tous. Je vois là non une capitulation ou une soumission à des exigences du marché, mais au contraire une exigence à mettre en œuvre.
Sur cette base, nous pouvons nous rassembler. Par contre, et nous avons déjà pris des décisions de simplification, nous reviendrons sur le livret personnel de compétences et nous rendrons cohérent, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, cette approche aves les programmes et avec le brevet.
Et pourquoi réussiriez-vous là où tous vos prédécesseurs ont échoué ?
Il me semble que pour réussir il faut avoir une idée claire de ce que l'on veut, c'est-à-dire des convictions et un idéal. Il faut que vos interlocuteurs sentent que vous êtes animé d'abord par l'amour de l'école – j'ose le mot –, l'amour des élèves, des professeurs, de la connaissance et de la transmission, ce qui commande un respect pour chacun mais ce qui autorise aussi une exigence à l'égard de tous.
Sans doute n'est-il pas inutile non plus de connaître un peu l'histoire de l'école, qui se confond avec celle de la République, et aussi sa réalité présente, complexe, nuancée. L'homme d'école que je suis a la chance que beaucoup de mes prédécesseurs n'ont pas eu: servir sous un président qui a fait de l'école sa priorité, partager avec lui, avec le premier ministre et le gouvernement une certaine idée de la France et de la responsabilité politique qui est inséparable d'une grande ambition pour notre jeunesse et pour l'école de la République.