Concernant les institutions politiques, quel que soit leur niveau d'exercice (national, local, supranational), il est d'usage de distinguer trois dimensions :
- les organes (on parlera de droit institutionnel) ;
- les compétences de ces organes (on parlera de droit "matériel") ;
- les politiques conduites par les organes dans leurs champs de compétences.
Si cette classification ne pose de problème à personne, nous pourrions nous y référer pour essayer de "localiser" nos désaccords.
1° Les institutions de l'UE :
J'en ai donné une brève description ci-dessus. Sont-elles démocratiques ou pas ? Si griefs il y a, que leur reproche-ton précisément en tant qu'
institutions, c'est-à-dire de cadre démocratique, de "constitution" (il n'est pas question à ce stade des compétences, ni des politiques que ces institutions conduisent) ?
Cassandre me répond que ces institutions sont belles et bonnes, si j'ai bien compris, mais quelles ont pour défaut de n'être pas admises par les "peuples".
Ne faut-il pas alors considérer que ces institutions sont très jeunes et qu'il a fallu beaucoup de temps aux Etats-nations pour se former et être acceptés par les peuples, de sorte qu'il faudrait laisser le temps aux institutions européennes d'être comprises ?
Par ailleurs, j'observe que tous les partis "souverainistes" de droite comme de gauche admettent la nécessité d'institutions européennes. Je ne crois donc pas que l'UE soit mise en cause en tant qu'institution. Ce qui signifie que les peuples ne demandent pas le retour pur et simple aux Etats-nations.
Didier Bourjon considère lui que l'UE est "un bricolage hybride de fédération et de confédération, technocratique, a-démocratique, bref : un directoire technique et une structure d'approbation idéologique à prétention morale" : en quoi la structure que j'ai décrite plus haut est "a-démocratique" (un "monstre froid "pour parler la langue de Mme Véra) ? Le suffrage universel n'est-il pas la source de légitimité du Parlement et du Conseil tandis que la Commission est responsable politiquement devant ces institutions ?
2° Les compétences de l'Union européenne
Didier Bourjon prétend que l'Europe opère "une dilution dans le marché global et la standardisation technique" : or toutes les analyses, y compris celles qui viennent du camp le plus profondément anti-capitaliste (cf. les analyses précitées de Ch. Ramaux)- montrent qu'en Europe l'effet sur l'emploi des "privatisations" a été compensé par une extension d'autres formes d'administration publique (en France par les emplois des collectivités locales notamment) et que la privatisation des Etats-providence est une fable, les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques qu'ils financent restant à un niveau considérable.
Didier Bourjon reproche à l'Europe d'être "le vecteur de l'uniformisation technique jusque dans les détails les plus stupides". Or, si l'UE est intervenue pour uniformiser la taille des mailles des filets de pêche ou "la libération de N-nitrosamines et de substances N-nitrosables par les tétines et les sucettes en élastomère ou caoutchouc" [
www.contactalimentaire.com], ce n'est pas pour le plaisir de se ridiculiser ou d'emmerder les peuples européens de souche, c'est pour deux raisons (A et B) :
A) Avant de devenir UE, l'Europe était uniquement une "communauté économique et européenne" parce que les Etats membres / les peuples refusaient qu'elle soit compétente dans des matières "politiques", refus "souverainiste" : l'action de la CEE devait rester sur le seul terrain économique et commercial. Il s'agissait seulement d'éviter que les Etats ne pratiquent un protectionnisme dissimulé en posant des contraintes techniques artificielles qui n'avaient pour seul but que de protéger les rentes de situations des producteurs nationaux. Parce que tous les Etats procédaient par protectionnisme dissimulé ou assumé (par des tarifs douaniers élevés), le développement économique était entravé, chacun des Etats se spécialisant sur des segments de marché qui étaient progressivement condamnés par les progrès techniques qui s'opéraient dans les pays, comme les Etats-Unis, où la libre circulation des produits garantissait le jeu (tempéré) de la concurrence et la modernisation des appareils de production ;
B) "L'uniformisation technique jusque dans les détails les plus stupides", selon D. Bourjon, a été opérée afin de protéger la santé du consommateur : l'UE n'a jamais empêché de produire selon les traditions nationales (cf. par ex. les fromages au lait cru) mais a imposé des réglementations qui protègent les consommateurs contre les pratiques qui tuaient une partie d'entre eux. C'est à l'UE que l'on doit par exemple l'interdiction de l'usage de l'amiante alors que l'Etat français s'y refusait (il fut condamné par les juridictions nationales pour avoir tardé à transposer les directives européennes dont l'application rapide aurait pu sauver des milliers de salariés (et Mme Aubry risque d'être mise en examen pour n'avoir pas pris les mesures qui s'imposaient lorsqu'elle n'était encore qu'une haut fonctionnaire au ministère du travail))
C) Didier Bourjon prétend que L'UE est fondée sur "l'abandon de toutes ou presque les prérogatives régaliennes à la "machine européenne" (à commencer par la plus grande part du pouvoir législatif)" : or, c'est totalement faux.
Quelles sont les "prérogatives régaliennes" traditionnelles des Etats-nation ?
La défense ? L'UE n'est pas compétente, les Etats peuvent prendre l'initiative de coopérer entre eux sur le plan militaire mais rien ne leur impose : l'emploi des armes conventionnelles et de l'arme nucléaire (pour la France et le Royaume-Uni) reste de la seule compétence des Etats membres. C'est bien la raison pour laquelle l'UE est et doit rester une "confédération", dans ce domaine ;
La fiscalité ? Les décisions ne peuvent être prises qu'à l'unanimité, chaque Etat-nation pouvant ainsi empêcher toute forme d'harmonisation, sauf en matière de TVA. Et comme les Etats-nation sont souverains en la matière, certains, comme l'Irlande, font du "dumping" fiscal et tire donc la fiscalité des autres vers le bas sur certains segments de production ;
La justice ? Le droit pénal et le droit civil restent, pour l'essentiel, de la compétence des Etats : par exemple, la consommation de canabis est dépénalisé en Hollande et pas en France ; le PACS existe en France mais pas en Italie ; le mariage "gay" existe en Belgique et pas en France, pour le moment...
La politique étrangère ? Elle reste de la compétence des Etats de l'Union, lesquels n'hésitent pas à prendre des positions souvent différentes, voire opposées... ;
La monnaie ? Oui bien sûr, sur ce seul sujet il y a bien eu transfert de souveraineté pour une partie des Etats de l'Union européenne, puisqu'il y a eu suppression de monnaies nationales et création de l'euro. Est-ce pour autant un abandon du pouvoir de création monétaire ? Certes non, puisque les dettes abyssales contractées par les Etats qui ont adopté l'euro ne sont rien d'autre que de la création de monnaie, qui a été rendue possible précisément parce qu'il y avait une solidarité entre Etats détenteurs de la même monnaie. Les Etats ont-ils été sanctionnés par la méchante Europe pour ces dérives financières ?... Et c'est précisément parce que les Etats sont restés totalement souverains en la matière qu'ils se trouvent aujourd'hui à la merci des créanciers c'est-à-dire des marchés dont D. Bourjon déplore la toute-puissance...
3° Les politiques
Sur ses domaines de compétences, l'UE conduit des politiques qui sont éminemment critiquables, spécialement dans le domaine de l'immigration non européenne. Mais ces politiques sont conformes aux mandats qu'ont reçus les parlementaires européens et les chefs d'Etat et de gouvernement qui siègent au Conseil.
Aussi, ne faut-il pas critiquer les institutions de l'UE qui sont un cadre, perfectible certes, démocratique. Il faut envisager d'étendre même les domaines de compétences de ces institutions parce qu'une politique écologique ou migratoire "in-nocente" ne pourra jamais être menée de façon efficace au seul niveau des Etats-nation. Ce sont les orientations politiques de l'UE qui doivent être critiquées.
Ne nous trompons pas d'adversaire.