Citation
Concernant les juifs : "Pour eux, la conquête musulmane ne signifia qu'un changement de maîtres qui, presque partout, se traduisit par une amélioration de leur situation" (idem p. 33)
C'est vrai mais en terre d'islam rien n'est jamais acquis et une période de tolérance ne dure jamais longtemps.
Ci-après un extrait remarquable d'un livre de l'historien suisse Jacob Burckhardt écrit vers 1855. Tout y est dit !
MAHOMET ET L’ISLAM
Un peuple supportant les privations, doué d’une vive intelligence et d’une immense fierté individuelle et nationale devait être appelé à adopter une nouvelle foi et, au nom de cette foi, à établir sa domination sur une notable partie du monde.
Il régnait en Arabie une grande variété de religions : à côté de toutes les nuances du paganisme, existait une ancienne croyance à Allah ; de plus, des tribus juives et des Chrétiens d’origine diverse étaient établis dans le pays; en face se trouvaient les Byzantins qui se querellaient à propos des natures du Christ et les Sassanides avec leur religion dualiste; les deux empires étaient politiquement et militairement ébranlés.
Mahomet se trouva en présence d’une coutume particulière, celle du pélerinage à la Kaaba, qui, depuis des temps anciens, dèterminait toute l’existence de la Mecque. Il ne se dressa pas contre cet usage et ne chercha pas à créer un sanctuaire rival: l’antique Kaaba n’avait besoin que d’une «purification» ; la Pierre noire subsista en tant que mystère indispensable.
Bien que la Kaaba et le pèlerinage ne fussent pas nécessairement liés á sa foi, il ne put les éviter ; il fut obligé non seulement de les intègrer à son système, mais d’en faire même le centre de tout le culte. Il devra provisoirement s’enfuir de la Mecque, mais tous ses compagnons exigèrent alors avec d’autant plus d’ardeur le retour à la Kaaba et, plus tard, sa victoire décisive devait être la prise de la Mecque. Il ne pouvait guère prévoir que, par la suite, l’ardent désir de voir la Kaaba se communiquerait comme une contagion á tous les peuples musulmans. Pour l’instant, il interdit ce pèlerinage à tous les Infidèles.
Sa maigre prédication n’aurait pu lui valoir à elle seule que des succès limités et passagers, mais, à partir de l’hégire, il assigna des buts concrets à la foule de ses partisans : il leur promit, outre la Mecque, le pillage des caravanes et les conquêtes en Arabie avec le butin qu’elles comportaient. A quoi se rattache, comme allant de soi, la guerre sainte à l’extérieur, dont la domination universelle est une simple conséquence.
Mahomet est, personnellement, un fanatique : c’est là sa force essentielle. Son fanatisme est celui du simplificateur à outrance et, à ce titre, il est parfaitement authentique. C’est un fanatisme de l’espèce la plus coriace, la rage doctrinaire, et c’est ce fanatisme-là qui, allié à la banalité, remporta la victoire, une des plus grandes qu’il ait jamais remportées. Tout le paganisme, tous les mythes, tout ce qu’il y a de liberté dans la religion, toutes les ramifications possibles des anciennes croyances mettent le Prophète dans une véritable fureur. Il survient à un moment – et son génie fut de le sentir – où de larges couches de sa nation étaient sans doute particulièrement accessibles à l’idée d’une simplification extrême des doctrines religieuses. Il se peut d’autre part que les peuples qu’on attaqua les premiers aient été las de leur théologie et de leur mythologie. – Dès sa jeunesse, il passe en revue, avec l’aide de dix personnes au moins, la religion des Juifs, celle des Chrétiens et celle des Parsis ; il en tire les lambeaux qui lui conviennent et les combine à sa fantaisie. N’importe qui trouvait ainsi dans les prédications de Mahomet un écho de son ancienne foi.
Le plus étonnant, c’est que, de cette manière, il ait non seulement obtenu le succès sa vie durant et la soumission de l’Arabie, mais qu’il ait pu fonder une religion universelle capable de subsister jusqu’à nos jours et qui a d’elle-même une très haute opinion.
Dans cette religion nouvelle, tout devait être accessible à l’entendement du peuple arabe. C’est pourquoi l’Islam a le catéchisme le plus simple qui soit. Les principaux éléments en sont : unité de Dieu et de ses attributs ; Allah n’est pas engendré et n’engendre pas ; - révélations par les prophètes Adam, Noé, Moïse, le Christ et Mahomet, celui-ci étant le dernier d’entre eux, mais il est fait allusion à un Mahdî (envoyé attendu d’Allah) ; - décrets irrévocables de Dieu, d’où le fatalisme (que Mahomet appelle soumission), stimulant efficace pour les aspirations des Arabes ; devant une contrariété, on dit : «Mektoub» («C’était écrit») ; - croyance aux anges, reposant sur la croyance antérieure aux divs, aux djinns et aux péris ; - immortalité et jugement dernier, Ciel et Enfer («le paradis se trouve à l’ombre des épées») ; - loi morale, préceptes de toute sorte, entre autres celui de ne pas mentir (le mensonge étant réservé au Prophète) ; à ces préceptes se rattache la loi civile du Coran qui est toujours en vigueur ; - enfin prière, jeûne, pèlerinage.
Indépendamment de la valeur absolue qu’elles peuvent avoir, il faut reconnaître que cette religion et les conceptions qui s’y rapportent sont fort bien adaptées à la nature humaine à un certain degré de son développement intellectuel et moral. Il peut s’y allier – et il s’y est ellié – une véritable ferveur, un mysticisme, une philosophie. Mais ce qu’il y a de profond dans l’Islam lui vient de l’extérieur.
Que cela fût ou non selon les intentions de Mahomet, l’Islam donne aux âmes et aux esprits une forme qui ne leur permet de produire que certains types d’Etats et de civilisation, et non pas d’autres.
Cette religion étriquée a détruit dans de vastes contrées deux autres religions infiniment plus hautes et plus profondes, le christianisme et le dualisme, parce qu’elles étaient toutes deux en état de crise. L’Islam règne de l’Atlantique jusque bien loin vers l’Inde et la Chine et pénètre de nos jours chez les Nègres. On n’a pu lui arracher qu’un petit nombre de pays, et non sans de grands efforts ; les Etats chrétiens qui ont sous leur autorité des populations mahométanes ont eu la sagesse de leur laisser pratiquer leur religion. Le christianisme n’a aucune prise sur l’Islam.
Döllinger pense à tort que l’Islam contient des «germes d’anéantissement» (et notre Europe, n’en contient-elle pas ?) et en donne les raisons suivantes : «L’Islam est une religion aux préceptes fixes et immuables embrassant toutes les sphères de la vie et entravant tout perfectionnement (c’est-à-dire tout «progrès» ; l’Islam serait-il vivant parce qu’il exclut le progrès ?) ; en tant que produit d’un peuple particulier et d’un stade inférieur de culture, ces préceptes, à la longue et en se transmettant à d’autres nations, ne peuvent que se révéler insuffisants et nuisibles et finalement se briser sur les contradictions qu’ils engedrent et sur les exigences de la vie.»
En attendant, il a déjà tenu bien longtemps, et c’est par son etroitesse même qu’il se conserve. les Mahométans, quoi qu’il puisse leur arriver, considéreraient comme un immense malheur de ne pas appartenier à cette religion et à cette civilisation. Dans leur orgueil, ils n’éprouvent que pitié pour les mécréants.
La tendance générale de notre esprit est de conclure des grands effets à de grandes causes, - dans le cas particulier, de l’œuvre de Mahomet à la grandeur de son auteur. (Le moins qu’on veuille lui accorder, c’est de n’avoir pas été un imposteur, d’avoir pris son rôle au sérieux, etc.) Mais il peut arriver que semblable conclusion soit erronée et qu’on prenne pour de la grandeur ce qui n’est que de la puissance. En l’occurrence, ce sont surtout les qualités inférieures de la nature humaine qui ont été mises ein pleine évidence. L’Islam représente une victoire de la médiocrité – qui es le propre de la grande masse des hommes. (Les admirateurs actuels de Mahomet se décernent à eux-mêmes un piètre brevet.) Or la médiocrité est volontiers tyrannique : elle aime à imposer son joug à l’esprit qui lui est supérieur. L’Islam a tenté de dépouiller d’anciens et nobles peuples de leurs mythes, les Perses de leur Livre des Rois, et depuis mille deux cents ans, a interdit, de fait et par la force, à d’immenses populations la peinture et la sculpture.
Mahomet fut-il un devin ? un poète ? un magicien ? Il n’est rien de tout cela ; il est le Prophète.
22. LE DESPOTISME DE L’ISLAM.
Toutes les religions sont exclusives, mais tout spécialement l’Islam ; il est devenu très vite un Etat qui semblait ne faire qu’un avec la religion. Le Coran est un code religieux et laïque. Ses prescriptions embrassent tous les domaines de la vie, ainsi que le dit Döllinger, et gardent une immuable rigiditè. La mentalité des Arabes impose son étroitesse à une foule de nations et les transforme à tout jamais (vaste et profond asservissement des esprits !). C’est là la force propere de l’Islam.
En même temps, la forme de son empire universel aussi bien que celle des Etats qui s’en détachent petit à petit ne peut être que celle d’une monarchie despotique. D’ailleurs le fondement et le prétexte de toute son existence, la guerre sainte et la conquête éventuelle du monde, ne souffrent pas d’autre forme, et les peuples soumis, tels que les Byzantins ou les Sassanides, n’offraient pas d’autre tradition que l’absolutisme. Et, bien vite, se manifeste le vulgaire «sultanisme».
Ce n’est guère que lorsque éclate à nouveau la véritable guerre de religion que l’Islam reprend par moment quelque éclat. Alors surgissent des chefs qui ne vivent que pour la cause ; alors la communauté des Musulmans, bien qu’elle ne puisse ni voter ni élire, redevient la maîtresse de l’Etat. Alors, comme ce fut le cas de Nour ed-Din, le prince n’est que le trésorier des Croyants. Et dans les batailles il ne cherche que le martyre.
Mais, aussitôt que cet élan a cessé, c’est le despotisme ordinaire qui réapparaît. L’Islam tolère la prospérité matérielle et parfois la désire, mais il n’accorde jamais au profit une vraie sécurité. Il lui arrive de prendre plaisir à la culture de l’esprit, mais d’autre part les préceptes religieux lui tracent des sentiers dont elle ne peut sortir. Il exclut totalement le «progrès» moderne de l’Occident, et cela sous ses deux formes, l’Etat constitutionnel et le développement illimité du commerce et de l’industrie. C’est ainsi que, contrairement à l’Occident, il garde sa vigueur et qu’il èvite deux écueils : 1°) la transformation de l’Etat constitutionnel en un Etat majoritaire, 2°) la course générale après les places et le travail n’ayant pour but que les jouissances. – Il a appris, il est vrai, à faire des emprunts, mais s’il en vient à rejeter un jour tout le système du crédit et à faire banqueroute, la grande masse de la population ne s’en apercevra peut-être même pas.
23. L’ISLAM ET SES EFFETS.
L’Islam tolère la prospérité matérielle et parfois la désire, mais il n’accorde jamais au profit une vraie sécurité. Il lui arrive de prendre plaisir à la culture de l’esprit, mais d’autre part les préceptes religieux lui tracent des sentiers dont elle ne peut sortir.
Mahomet donne bien sa mesure par sa façon matérielle de dépeindre l’au-delà.
L’Islam est une religion peu élevée, ne faisant guère appel à des sentiments profonds, quoiqu’elle puisse s’allier à l’ascétisme et à la ferveur religieuse qu’elle trouve à l’occasion chez tel ou tel peuple.
Ce qui est très particulier et qu’on ne rencontre guère ailleurs dans l’histoire des religions, c’est l’immense orgueil qu’elle inspire à ses adhérents, le sentiment d’une supériorité absolue par rapport à toutes les autres, qui la rend complètement rebelle à quelque influence que ce soit, - et cela malgré l’absence de toute vraie culture et le manque de jugement dans la conduite ordinaire de la vie.
Le despotisme de l’Etat, qui, des califats, a passé dans les territoires issus de leur démembrement, a eu pour conséquences d’autres traits de caractère. Si l’on peut constater çà et là un vif attachement pour le pays, c’est-à-dire pour le cadre et les habitudes de l’existence, il n’y a pas de véritable patriotisme, d’enthousiasme pour l’ensemble de la nation, ou même de l’Etat (la langue n’a pas de mot signifiant «patriotisme»). L’avantage, c’est que le Musulman se sent partout chez lui dans le monde islamique. L’appel à la guerre ne se fait donc pas au nom d’une patrie politique, mais uniquement au nom de la foi, «ed-Din». Celui qui prêche la guerre sait que ses auditeurs ne peuvent être entraînés que par le fanatisme, alors même que le but réel de la guerre n’a rien à voir avec la foi.
Mais il est d’autres faits qui, du moins pour l’essentiel, résultent du despotisme : en toutes choses, on préfère à la voie droite les chemins tortueux ; on tergiverse, on tire tout en longueur ; au lieu d’avouer franchement ses motifs, ce qui passerait pour de l’arrogance, on recourt à la flatterie et aux intrigues pour atteindre son but ; partout on se mèfie les uns des autres : le mobile par excellence, l’ègoïsme, vise moins les honneurs et les distinctions que l’argent et le profit ; aucune reconnaissance pour les bienfaits reçus.
Parmi les causes de l’esclavage dans l’Islam, il faut compter notamment l’usage du harem, qui ne saurait exister sans eunuques et sans serviteurs noirs. Ceux-ci ont toutefois un sort plus enviable que les Noirs employés naguère dans les plantations américaines. L’eunuque est le meilleur ami du maïtre ; il est craint des femmes qui recherchent la faveur de ce dernier. Les domestiques noirs sont traités comme les enfants de la maison et ont un rang bien supérieur à celui de leurs camarades arabes, les «chadams».
La meilleure preuve de la puissance qu’exerce le despotisme de l’Islam est le fait qu’il pu annihiler tout le passé des peuples qui se sont convertis à lui, coutumes, religion, manière de voir les choses et de les imaginer. Il n’est arrivé à ce résultat qu’en leur inoculant un nouveau sentiment de supériorité religieuse qui a été plus fort que tout et les a amenés au point d’avoir honte de leur passé.