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Lecture in-nocente du “Seigneur des Anneaux” et des “Malheurs de Sophie”

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Ces temps-ci, je me passionne pour Le Seigneur des Anneaux et pour Les Malheurs de Sophie.

Vers l’ouvrage de John Ronald Reuel Tolkien je suis revenu parce que les semaines passées France II a diffusé le dimanche soir les films que Peter Jackson a réalisés en 2000 : La Communauté de l’Anneau, Les Deux Tours & Le Retour du Roi (certainement à l’occasion de la sortie au cinéma du Hobbit, nouvelle adaptation d’un autre livre de Tolkien). Longtemps, pour moi, cet ouvrage a fait partie (et était au cœur) de ce qu’on pourrait appeler “la culture geek” (la sous-culture des “petits blancs” as opposed to la sous-culture “gangsta” des rappeurs et de leur public). En revoyant ces films et en me plongeant dans les livres, j’ai mieux compris l’admiration qu’on pouvait leur porter. Les films sont très bien, techniquement, visuellement. Bon, évidemment, c’est un genre. Je suis certain que bien des lecteurs de ce Forum ne sont pas adeptes de la fantasy. Mais tout de même. Les paysages que l’on voit sont superbes. Vierges. Préservés de toute salissure humaine. Peter Jackson a reconstitué en Nouvelle-Zélande (il est Néo-zélandais) la Terre du Milieu qui est le cadre des aventures des Hobbits, des Elfes, des Nains et des Hommes. Mais l’histoire est censée se dérouler dans une Europe mythologique et oubliée. Il est très intéressant de relever ce que dit des paysages du film l’acteur Ian McKellen, qui interprète le rôle du magicien Gandalf. Il explique que logiquement, le tournage aurait dû se faire en Angleterre, qu’il aurait beaucoup aimé qu’il se fît en Angleterre, mais que c’était impossible parce que l’Angleterre médiévale qui correspond aux descriptions de Tolkien avait disparu à cause de la présence envahissante de l’homme.

Le début du premier film se passe dans le pays des Hobbits, appelé la Comté. C’est un endroit merveilleux où ces êtres vivent en parfaite harmonie avec la nature. Leur architecture s’intègre parfaitement aux paysages. Leurs maisons sont des galeries creusées dans les collines. Pour le coup, voilà de la vraie campagne, et à perte de vue encore ! Dans le making of du film, on voit l’endroit où ont été tournées ces scènes. C’est très “Loin”.

De nombreux aspects des films (qui présentent quelques différences avec les livres) méritent d’être traités à travers le prisme de l’In-nocence. Le Seigneur des Anneaux est une œuvre assez binaire. Les “bons” (Hommes, Elfes, Nains et Hobbits) s’opposent aux “méchants” (le terrifiant Sauron et ses serviteurs les Orcs). Mais ce sont aussi deux modèles de société qui s’affrontent. Les “gentils” ont le sens des responsabilités, de la parole donnée, de l’engagement pris et respecté, du courage. Les “mauvais” ne vivent que dans le chaos, la dispute perpétuelle, l’affrontement, le rapport de force, le désordre (la laideur, les cris, la crasse). La morale est illustrée par une esthétique. Les Elfes, les créatures les plus incorruptibles, les plus en accord avec leur élément naturel, les plus sages, sont aussi les créatures les plus belles. Les Orcs, féroces et nocents, sont hideux. Le rapport à la nature est très in-nocent, lui aussi, dans l’ensemble.

Au-delà de ces questions, on peut faire une lecture politique du Seingeur des Anneaux et dire de cette œuvre (films comme livre) qu’elle est identitaire (un ami belge m’a fait cette remarque qui me semble parfaitement fondée), et ce à deux niveaux. Au niveau interne, tout d’abord. Les races existent en tant que telles, sont clairement identifiées et définies (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Tolkien a été accusé d’être raciste et eurocentriste...). Les Hommes cherchent à défendre leur terre et leur mode de vie face au danger que représente Sauron et le Mordor. Pour nous, Européens, ensuite. En effet, Tolkien (qui était professeur de langue et de littérature anglaises à Oxford) s’est inspiré de différents mythes de la culture européenne (en particulier de la mythologie germanique et anglo-saxonne ainsi que des sagas nordiques).

*


Vers le livre de Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur, je suis venu par la série télévisée d’animation réalisée en 1997 par Bernard Deyriès et diffusée à partir de 1998 sur France III (c’est là que je la regardais étant enfant). Les épisodes de cette série sont visibles sur YouTube et je les ai revus récemment. Je crois qu’elle ne plaît pas beaucoup à M. le Président mais je pense qu’elle a tout de même quelques qualités, surtout si on considère le fait qu’il s’agit d’un spectacle destiné à être vu par de petits enfants. Pour commencer, la langue y est tout à fait correcte. Le dessin est plutôt agréable, lui aussi (rien à voir avec les affreux “dessins animés” diffusés de nos jours) et relève de la ligne claire (le “style Hergé”). L’environnement où la petite Sophie commet ses bêtises (les châteaux de Fleurville et de Réan, en Normandie, et les paysages environnants) est très plaisant et illustre à merveille ce que fut la campagne dans la France d’avant. On pourrait dire que tout l’objet du livre est de montrer le chemin que parcourt Sophie vers l’in-nocence et de faire de ce parcours un exemple (l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, souvent (et dans ce cas, ce sont Camille et Madeleine de Fleurville qui sont l’exemple à suivre)).

Bref, ces deux ouvrages (et les adaptations qui en ont été tirées) me reposent bien de la laideur et de la fatigue du sens actuelles.
Monsieur,
vous laissant bien volontiers in-nocentiser Les Malheurs de Sophie, que je ne connais que par les Cinémastok de Gotlib, je souhaiterais légèrement contrebalancer votre lecture du Seigneur des Anneaux par la mienne, qui, autant le dire d'emblée, s'engage résolument vers la laideur contemporaine et la fatigue du sens.
Vous n'avez pas remarqué tous ces personnages fatigués, d'ailleurs ? Grimma Wormtongue, le stewart de Gondor, le roi Théoden au début ? C'est fou ce qu'il est facile de se fatiguer, dans l'univers de Tolkien : les visages changent, se déforment, les corps évoluent, se tassent. Le meilleur dans ce domaine, évidemment, c'est Gollum. C'est drôle, moi, celui auquel je m'étais vite identifié en lisant, c'est Gollum... avant de savoir que c'était lui qui par hasard allait sauver la Terre du Milieu au moment où Frodon allait lui aussi devenir définitivement un serviteur de l'Anneau, parce que je ne tiens pas tant que ça à ce titre. Donc les corps évoluent tellement qu'il faut vraiment avoir un champ de vision strictement synchronique pour croire que les “races” sont nettement délimitées dans l'univers de Tolkien. Le malheureux s'est pourtant donné du mal : dans mon souvenir, c'est un récit extrêmement lent, prêt à chaque instant à verser dans des descriptions ou des digressions archéologiques à faire passer Hérodote pour un chroniqueur de “20 minutes”. Il est vrai que je n'ai lu le roman qu'une fois, à 16 ans, sous un climat équatorial bien lourd : ça a dû ralentir. Mais je me disais justement en en entrevoyant des bouts récemment rediffusés que ces films de Jackson vieillissaient bien mal : il n'a pas trouvé le bon équilibre entre le spectaculaire Disney pour attirer les enfants trop sucrés, et la lenteur, qu'il a bel et bien cherchée aussi.
Bref : le Seigneur des Anneaux est une fable catholique sur la tentation du pouvoir, et je voudrais rappeler que, victoire ou pas des gens courageux et sains (au fait, en dehors de ceux qui ont reproché à Tolkien d'être raciste et wagnéro-nordicolâtre, il y en a qui sont allés voir dans son oeuvre une allégorie des heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, genre Saint-Georges contre le Dragon), c'est bel et bien la fin du 4ème Âge : les Elfes s'en vont : l'enjeu était de savoir s'ils allaient partir en hurlant ou tranquillement.
Si je me risque à intervenir ici, c'est par affection pour le roman du Seigneur des Anneaux, que j'ai eu la chance de relire maintes fois en anglais, après une lecture décevante en traduction française. Bien sûr, roman et film peuvent se prêter à des interprétations politiques : c'est même le sort commun et normal de toute oeuvre publiée. Toutefois le premier volume de la trilogie date de 1954, et l'auteur met en garde le lecteur contre toute tentation allégorique (guerre froide), écrivant en substance que s'il avait voulu composer une fable allégorique du XX°s, l'anneau aurait été utilisé et non détruit. Quant aux races, elles se voient et se disent très clairement (ce qui permet de dater l'oeuvre d'une époque très antérieure à la nôtre), mais aucune cloison absolument étanche ne les sépare : les Orques, un détail du texte le dit, seraient des Elfes déchus et déformés, Gollum partage avec les Hobbits non seulement une culture, mais des origines communes, et les héros humains les plus remarquables sont issus d'unions entre Elfes et Hommes. Enfin, toujours au plan idéologique, l'auteur, catholique fervent, était un spécialiste de la première culture chrétienne d'Europe du Nord (ou d'une des premières) celle des Anglo-Saxons d'avant la Conquête (et aussi des langues scandinaves), au point de composer dans les langues qu'il enseignait et d'en fabriquer d'autres de son cru. D'où la lenteur de son roman, qui fit hésiter Unwin à le publier : Tolkien aime décrire la merry old England, raconter la généalogie d'un paysage, d'un peuple qui l'a marqué, d'un ancien monument, et "s'attarde dans la diachronie" avec un tel plaisir qu'on se demande comment ses trois romans ont pu obtenir un tel triomphe (si j'étais blasphémateur, je dirais que Tolkien est dans le domaine imaginaire ce qu'est Renaud Camus dans ses Demeures de l'esprit et ses descriptions du Journal). M. Jolibert a raison de rappeler que l'ensemble du roman raconte la mort d'un âge de l'histoire et l'avènement d'un autre, la fatigue et le désespoir (on pense à Denethor, l'Intendant de la dernière ville, ou bien à Bilbo que la possession de l'Anneau épuise en lui ajoutant d'interminables et épuisantes années de vie). Il serait intéressant d'étudier les résonances de l'Apocalypse dans le roman, bien que la tradition catholique semble être moins sensible à cet aspect que la protestante.

Le film de Peter Jackson ne manque pas de qualités, mais à vrai dire, je me suis plus intéressé aux suppléments qui vont avec les DVD et qui détaillent minutieusement toute la fabrication de l'ouvrage : c'est une lecture par les objets, les acteurs, les images, etc ...
Merci beaucoup, Henri Bès, pour ces apports précis.
Il va de soi que les différences sont très vives et nettes, et se voient et se vivent, dans l'univers de Tolkien. Si je peux risquer une analogie entre ce dernier et celui d'un autre romancier lent, on peut dire que ces deux univers sont faits d'univers clos de diverses tailles : la Comté/Combray, par exemple. Et les Nains et les Elfes sont aussi nettement distincts que ne le sont le clan de Mme Verdurin et le monde d'Oriane. Chez Proust, la fusion des mondes va quand même plus vite.
À propos de la 1ère culture chrétienne d'Europe du nord, il me semble qu'un autre grand Anglais de la même époque (et suspect de catholicisme, je crois bien, mais je ne sais rien sur le sujet), Arnold Toynbee, parle de “civilisation (le mot race n'est pas son truc) extrême-Occidentale”, à distinguer farouchement de la “civilisation occidentale”. En bon Anglais, Toynbee reste sans doute marqué par l'absolue nécessité de compter à partir de l'absolue rupture du XIème siècle : 1066, c'est la fondation d'un nouveau monde. (Mais je crois qu'il distingue aussi ce monde extrême-occidental, celui des moines irlandais par exemple, du monde scandinave)
Merci, Messieurs, pour vos messages très intéressants. Je ne tiens pas spécialement à “in-nocentiser” une œuvre, à la tirer vers l’In-nocence, simplement il me semblait que l’on pouvait voir dans ces deux ouvrages des éléments “in-nocents”, des illustrations de ce que cette morale propose. Par exemple, dans Le Seigneur des Anneaux, le personnage de Samsagace Gamegie (Samwise Gamgee), le jardinier de Frodon, montre à merveille ce que peut être le respect de la parole donnée et de l’importance du serment. Il a promis à Gandalf de « ne pas perdre » Frodon et il s’efforcera, tout au long du livre, d’accorder son comportement à cette promesse, même quand Frodon le chasse (je crois que ce passage-là ne figure que dans le film de Jackson, d’ailleurs).

Je crois que le succès du Seigneur des Anneaux vient du fait que c’est un livre et une histoire résolument anti-moderne. Cette fiction plaît massivement car elle constitue une échappatoire à notre monde ultra-moderne. C’est un passage vers un autre monde, vers tout un autre monde (puisque la grande prouesse de Tolkien, c’est d’avoir constitué tout un monde, avec ses peuples, ses territoires, ses langues, ses cultures, son histoire...). Je ne sais pas si tous les lecteurs de Tolkien sont bien conscients de ça quand il le lisent, mais ils échappent totalement à leur monde, à ses codes, à ses réflexes (et c’est d’autant plus vrai de nos jours : le décalage entre le quotidien d’un lecteur de Tolkien et ce qu’il lit est encore bien plus grand qu’il y a cinquante ans).

En ce sens, je trouve que les films de Jackson sont assez fidèles à l’esprit du livre. J’en profite pour dire que ce n’est pas vraiment le cas dans l’adaptation en “dessins animés” des Malheurs de Sophie. En effet, le voyage en Amérique au cours duquel périt Mme de Réan et au retour duquel Sophie est livrée à la cruauté de sa nouvelle belle-mère, Mme Fichinni n’est qu’évoqué dans le livre et Sophie n’y prend pas part. Dans la série d’animation, Sophie part en Amérique et vit quelques années dans le domaine et la plantation de Mme Fichinni, d’abord avec son père, puis seule avec sa belle-mère quand il meurt. Les épisodes qui montrent cette époque sont l’occasion pour leurs créateurs d’ajouter quelques éléments très “politiquement corrects” : l’amitié entre Sophie et le jeune Jim, le fils d’un planteur de canne à sucre, le rapport entre Sophie et la domestique noire de Mme Fichinni, l’admiration de Sophie pour les danses des planteurs (très belles et naturelles en comparaison de celles de la “bonne société” de La Nouvelle-Orléans, qui est ridiculisée) etc. Ces éléments sont sympathiques, en eux-mêmes, mais on sent bien la volonté orwellienne des concepteurs de la série de soumettre une œuvre du passé aux codes du présent — et c’est détestable.
Citation
Jean-Michel Leroy

Je crois que le succès du Seigneur des Anneaux vient du fait que c’est un livre et une histoire résolument anti-moderne. Cette fiction plaît massivement car elle constitue une échappatoire à notre monde ultra-moderne. C’est un passage vers un autre monde, vers tout un autre monde (puisque la grande prouesse de Tolkien, c’est d’avoir constitué tout un monde, avec ses peuples, ses territoires, ses langues, ses cultures, son histoire...). Je ne sais pas si tous les lecteurs de Tolkien sont bien conscients de ça quand il le lisent, mais ils échappent totalement à leur monde, à ses codes, à ses réflexes (et c’est d’autant plus vrai de nos jours : le décalage entre le quotidien d’un lecteur de Tolkien et ce qu’il lit est encore bien plus grand qu’il y a cinquante ans).

En ce sens, je trouve que les films de Jackson sont assez fidèles à l’esprit du livre..

C'est d'autant plus juste que Tolkien, m'a-t-on dit, s'est retrouvé (à sa grande surprise) parmi les auteurs de référence de la contre-culture américaine, qui refusait le machinisme, l'industrie, le productivisme, la destruction de la nature et des paysages (ce que font les Forces du Mal dans le roman, dont le premier acte est toujours d'abattre les arbres). Bien que son roman relate l'agonie d'un monde, d'un âge, et la naissance d'un autre, les longs chapitres finaux (et les brouillons et pages rejetées que son fils, Christopher Tolkien, publie) décrivent ce nouvel âge en termes de restauration d'un ordre ancien, plutôt que de changement progressiste. Voyez le volume IX de The History of Middle-Earth (C. Tolkien, HarperCollins, Sauron Defeated). C'est moins sensible, peut-être, dans les films.
Les scènes qui montrent l’abattage des arbres par les Orcs en Isengard et la transformation des environs de la tour d’Orthanc en vaste zone industrielle et infernale sont assez impressionnantes, dans les films. Et puis, on entend Saroumane qui annonce le début d’un âge nouveau, où règnera la machine.
Entièrement d'accord pour le caractère anti-moderne, et pour dire que c'est la raison (à moitié avouée) du succès.
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Je crois que le succès du Seigneur des Anneaux vient du fait que c’est un livre et une histoire résolument anti-moderne. Cette fiction plaît massivement car elle constitue une échappatoire à notre monde ultra-moderne.

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En ce sens, je trouve que les films de Jackson sont assez fidèles à l’esprit du livre

Il est amusant et paradoxal de constater que la trilogie du Seigneur des Anneaux est un enfant de la modernité...
Alors tous ceux qui ont aimé les films de Peter Jackson peuvent répéter après moi : vivent l'informatique, les mathématiques et la modernité !

Je conseille à ces derniers d'aller voir le nouveau film : Le Hobbit : un voyage inattendu. Il y a quelques longueurs, mais on se retrouve avec plaisir dans l'univers de Tolkien : des paysages magnifiques et envoûtants, de l'action et de l'aventure et, il m'a semblé moins de laideur que dans les films précédents.
Citation
Jean-Michel Leroy

De nombreux aspects des films (qui présentent quelques différences avec les livres) méritent d’être traités à travers le prisme de l’In-nocence. Le Seigneur des Anneaux est une œuvre assez binaire. Les “bons” (Hommes, Elfes, Nains et Hobbits) s’opposent aux “méchants” (le terrifiant Sauron et ses serviteurs les Orcs). Mais ce sont aussi deux modèles de société qui s’affrontent. Les “gentils” ont le sens des responsabilités, de la parole donnée, de l’engagement pris et respecté, du courage. Les “mauvais” ne vivent que dans le chaos, la dispute perpétuelle, l’affrontement, le rapport de force, le désordre (la laideur, les cris, la crasse). La morale est illustrée par une esthétique. Les Elfes, les créatures les plus incorruptibles, les plus en accord avec leur élément naturel, les plus sages, sont aussi les créatures les plus belles. Les Orcs, féroces et nocents, sont hideux. Le rapport à la nature est très in-nocent, lui aussi, dans l’ensemble.

Permettez moi de corriger un petit peu votre approche, peut être trop binaire justement.
Le seigneur des anneaux est une œuvre beaucoup plus subtile qu'on ne pourrait le croire, et certaines scènes des films tendent à respecter cette mentalité.
On reproche souvent aux livres d'être noirs et blancs, gentils incorruptibles contre méchants indécrotables.
Cependant, laissez moi vous rappeler quelques faits :

-Les orcs, (comme l'explique Saruman dans les deux tours) ont été créés par Morgoth, en torturant et en avilissant des elfes capturés. Les orcs ont peur, sont incertains, font parfois preuve d'humour, au delà de leur cruauté et de leur laideur. Ils étaient bons à l'origine.
-Sauron était une divinité mineure tout ce qu'il y a de plus adorable avant d'être perverti par Morgoth, lui même sorte d'Archange déchu.
-Les peuples "in-nocents" ne sont pas si angéliques que cela : les elfes et les nains se détestent cordialement, les nains ne volent jamais au secours de personne, et les elfes quittent massivement la terre du milieu devenue trop invivable pour eux.
-Ces derniers étaient venus en Terre du Milieu avec une mission, et ils ont échoué. Même eux succombent parfois à la jalousie, l'orgueil et au désir de vengeance. Si vous avez lu le Hobbit, vous pourrez difficilement me venter le caractère adorable et mondain de Thranduil, le roi elfe de Mirkwood, qui emprisonne les 12 nains de la compagnie.

-Le livre en lui même comporte de nombreux personnages "gris" : Gollum, Isildur et Boromir, Frodo, qui échoue dans sa quête, et fini par succomber au pouvoir de l'anneau, comme Boromir !
-L'anneau lui même si on le considère comme un personnage à part entière permet vraiment à Tolkien d'exposer une vision du bien et du mal et de la prédétermination très intéressante.

Personnellement je trouve que les films ont très bien rendu cette vision du bien et du mal, plus subtile qu'on ne pourrait le croire. Le combat patriotique est exalté mais de façon désespérée. La modernité est vue comme une menace inévitable, comme un carnage de toutes les formes les plus nobles de la nature... Bref, vraiment une grande œuvre.

Je seconde Philippe Versini en invitant tous les amateurs à voir Le Hobbit : le ton y est plus léger, plus humoristique, plus fantastique aussi (mais le livre veut cela). Les paysages restent parfaitement époustouflants, les acteurs sont parfaits de bout en bout, et la technologie rend Gollum presque trop réaliste.
La seule critique que je peux faire au film c'est l'extension de la vie d'un antagoniste obsédé, normalement décédé depuis quelques centaines d'années dans le livre, et qui ajoute un peu trop à un film débordant bien assez d'action.
(Et concernant la 3D, si elle vous tente, je vous encourage vivement a choisir un cinéma offrant de la 3D active avec lunettes à cristaux liquides donc, qui sont louées et pas vendues. La qualité est infiniment meilleure qu'en passive.)

Cher Jolibert, Denethor, aussi fatigué soit il, reste le steward of Gondor.
Je vous recommande vivement de vous procurer le cours donné à Oxford par Stuart Lee "J.R.R. Tolkien 'Beyond the Shoreless Sea" : il devrait vous aider à voir l’œuvre de Tolkien sous un aspect plus positif, car ce dernier était un grand adepte de l' "ucatatastrophy" et de son effet de consolation.
Noémie ? Comment ça, Noémie ? Ce n’est pas un nom ça... Que fait la police ?
Ah tiens donc, ça y est, l'in-nocence s'est enfin doté de sa propre police de la pensée?

En effet, Noémie n'est pas un nom. C'est un prénom, le mien en l’occurrence.

Rassurez vous maître, j'ai déjà reçu deux messages comminatoires sur ma boite mail, et je réfléchis activement à un nom de plume qui puisse me permettre de continuer mes maigres contributions à votre forum sans risquer le peu d'emploi que je trouve dans la presse nationale.

J'espère que mes explications à vos fonctionnaires de police suffiront à m'épargner la fusillade dans la cour de garde de votre parti.
Oh oui, je pense que ça va aller... Mais on ne saurait être trop rigoureux dans la guerre à mort contre la “civilisation du prénom” — vous comprenez, il ne faudrait pas qu’on puisse nous confondre avec une intervention du médiateur sur France Culture (« Et p’is alors y a Marie Claude qui nous écrit de Rive-de-Giers pour nous dire qu’à son avis... »)
(Notons au passage que dans Le Seigneur des Anneaux, justement, tous les personnages se présentent ou sont présentés par un tiers comme “Untel, fils de Untel” (par exemple, « Aragorn, fils d’Arathorn » ou « Gimli, fils de Glóin ») — c’est-à-dire que le patronyme a là toute son importance.)
Ah, merci, mon cher Leroy, de ramener la conversation au fil.
Citation
Jean-Michel Leroy
(Notons au passage que dans Le Seigneur des Anneaux, justement, tous les personnages se présentent ou sont présentés par un tiers comme “Untel, fils de Untel” (par exemple, « Aragorn, fils d’Arathorn » ou « Gimli, fils de Glóin ») — c’est-à-dire que le patronyme a là toute son importance.)

Certes, mais il ne s'agit pas là de notre "nom patronymique" traditionnel, mais d'un nom changeant à chaque génération.
Les deux s'observent dans le Seigneur des anneaux, mais de mémoire je crois que seul les Hobbits ont des noms de famille non?
Frodo Baggins, Peregrin Took, Sam Gamgee ect.
Ne parlons pas de Gandalf qui change de nom presque comme de robe, en fonction des peuples qu'il fréquente, cela donnerait le mauvais exemple...
Citation
Renaud Camus
Oh oui, je pense que ça va aller... Mais on ne saurait être trop rigoureux dans la guerre à mort contre la “civilisation du prénom” — vous comprenez, il ne faudrait pas qu’on puisse nous confondre avec une intervention du médiateur sur France Culture (« Et p’is alors y a Marie Claude qui nous écrit de Rive-de-Giers pour nous dire qu’à son avis... »)

Marie Claude: à la limite, quand le prénom est joli et d'ici... Mais d'habitude, le prénommé, dans les colonnes de Libération et du NouvelObs, c'est Malik (Oussekine, leur frère à tous), Zyed et Bouna. La victime, quoi, avec qui je me dois de fraterniser.
À Noémie Lemay,
ah... être corrigé par vous à la fin de ce développement profond et pointu, Jean-Michel Leroy et moi nous sentons un peu devant la reine Galadriel tentée par l'anneau, scène fort vantée par les admirateurs de la façon dont Jackson a transposé le thème des personnages “gris”. Pour le coup c'est vraiment les 50 Shades !
Merci beaucoup pour la référence. Ma propre fatigue est déjà consolée.
Et ah oui, la nomination “enfant de”, point commun à tant de cultures : -sen, -son, ibn x, ben y, -ovitch/ovna, etc., Megawati Soekarnoputri ?
Le prénom et le lieu, ça sonne comme l'antique : et nous avons un appel d'Artémise, d'Halicarnasse, qui...
Vous vous allez vous faire choper par la garde pour absence d’espace avant le point-virgule, ça va être cellule de dégrisement vite fait, comme disent les élèves de M. Pierre (Jolibert) pour les cellules de soutien psychologique...
Cher Jolibert, vos moqueries me semblent un peu déplacées, je croyais les gens de ce forum attaché au bon orthographe, peu importe la langue?
En tout cas votre mépris me fait de la peine vraiment, surtout quand on voit la façon dont vous faites vos critiques littéraires. Au moins vos références permettent de mieux comprendre le genre de littérature qui ne vous tasse pas.

Je ne savais pas que vous étiez en colocation avec Jean-Michel Leroy et qu'il vous autorisais à parler en son nom, mais dans ce cas, passez lui donc mes excuses : je ne cherchais nullement à l'intimider à coup de filtre numérique abusif et de voix ténébreuse, mais uniquement à contribuer sur un point qui me tient à cœur et qui semblait coller au sujet de l'in-nocence dans l’œuvre de Tolkien.
Allons, allons... Écoutons plutôt ceci :



Ce ne sont pas les digressions musicales qui régleront les problèmes d'ironie agressive sur ce forum.
(Écoutez, il est stipulé partout que CECI N’EST PAS UN FORUM SUR LE FORUM et en permanence, on est contraint de contrevenir à cette règle parce que tel ou telle y contrevient. Si le message d’un contributeur vous déplaît, expliquez-vous donc avec lui par messages privés, ainsi qu’il est possible de faire en cliquant sur [Répondre par message privé]. Les lecteurs de ce Forum (dont on suppose que tous ne publient pas) n’ont pas envie d’assister à des querelles dont l’intérêt politique, intellectuel et culturel est quasi toujours nul et qui, souvent, semblent naître d’une interprétation de type paranoïaque des messages des autres par une personne qui se sent alors visée — mais j’imagine que ce mal est inhérent à l’écriture et, encore plus, à l’écriture de type webmatique. J’ajoute que j’ai un peu de mal à concevoir une ironie autre qu’« agressive » et qu’en aucun cas il n’existe des « problèmes » liés à une telle ironie ici (ou alors très très marginalement — et ils deviennent centraux parce que d’aucuns les mettent sur le tapis (parce que, justement, ils se sentent visés)). Qu’on se le dise.)
Madame, veuillez m'excuser,
ces mauvaises habitudes me viennent des forums que je fréquente habituellement, aussi mal tenus que des antres d'orques. Je me retire sans plus de bruit.
Sur les noms dans Le Seigneur des anneaux : un aussi fin liguiste que Tolkien s'est longuement penché sur le choix des noms de ses personnages, les a souvent changés, et a tenu compte, je suppose, de la longévité de chaque type de porteur. Les Elfes (et aussi les Nains, je crois) étant peu concernés par la mort naturelle, n'ont guère besoin d'un nom double distinguant les individus du groupe, tandis que les Hobbits, regroupés en clans, mais ne vivant pas plus d'une centaine d'années, ont besoin d'un prénom et d'un gentilice. Peregrin Took finit par devenir "the Took", le chef de clan, l'ancien (ceci ne se pratique-t-il pas en Ecosse ?), à la fin du roman, mais il cédera la place à un successeur quand il mourra. Quant aux Hommes, l'attention se focalise sur les descendants des Atlantes (les Numénoréens), et ils portent des noms signifiants, tirés de racines elfiques pour la plupart : Aragorn, Denethor, etc ... Je présume que le choix de ces noms signale l'origine ethnique, sociale et historique de ces réfugiés, ainsi que leur histoire personnelle en Terre du Milieu. Enfin, il est avéré que les membres du peuple des chevaux, les Rohirrim, sont nommés d'après des racines anglo-saxonnes, elles aussi signifiantes, un peu comme les noms persans de l'Antiquité zoroastrienne en -aspa (le cheval). Le menu fretin, Nob, Mr Butterbur, etc, ajoute la touche traditionnelle de "comique bas" que l'on trouve parfois dans les épopées.
Le nom d’Éomer, chef des hommes de la Marche et neveu du roi du Rohan Théodène, est même présent dans le poème Beowulf, que Tolkien a traduit et étudié.
Une nouvelle traduction en vers de Beowulf est parue en 2002 chez l'éditeur américain Norton, et c'est une édition critique, commentée, et accompagnée de nombreux suppléments sur l'Angleterre anglo-saxonne (à commencer par l'article de Tolkien lui-même, "Beowulf : the monsters and the critics"). Elle se recommande d'autant plus que le texte en anglais moderne est de la plume de Seamus Heaney, qui explique en introduction ses choix de traduction poétique : il est lui-même un fort intéressant poète originaire d'Ulster, qui avoue sa dette envers les conteurs et l'accent particulier de sa région, et envers son poète "de référence", Gerard Manley Hopkins.

Ceci conduira le lecteur curieux de cette première (ou presque) culture vernaculaire et savante d'Europe au magnifique Companion to Anglo-Saxon Literature, édité par Philip Pulsiano et Elaine Treharne, aux éditions Blackwell. Ce gros livre composé de multiples articles ne contentera pas que les médiévistes, car on y trouve de remarquables études générales sur les littératures orales, sur la notion d'auteur, sur les différents degrés d'illettrisme au haut Moyen-Age, sur la pratique de l'écriture, etc, etc ...L'ouvrage complète très bien le petit livre de Michel Banniard, Genèse culturelle de l'Europe (V°-VIII°s) qui se limite au Sud roman et à la très lente prise de conscience de la fin du latin comme langue vivante, donnée a priori en pays germanique.
Utilisateur anonyme
01 février 2013, 13:23   Re : Lecture in-nocente du “Seigneur des Anneaux”
Je viens de revoir la scène des Deux Tours (Peter Jackson, 2002) où Frodon rappelle son vrai nom à Gollum. Gollum, à cause de l’attrait qu’à exercé sur lui l’Anneau de Pouvoir, a oublié qui il était, s’est oublié. Autrefois il s’appelait Sméagol. En ramenant ce nom à la surface des souvenirs, Frodon mène une action très cratylienne. Il nomme les choses avec leur vrai nom, leur nom premier, avec le nom qui est leur nom. Gollum est un nom hermogénien, lié aux circonstances, aux apparences, aux événements. La vérité de Sméagol, on le verra, se trouve dans ce nom-là. Son bonheur, sa bonté sont là. Gollum n’est qu’une perversion, le nom d’un être torturé. Cette scène — qui m’avait un peu échappé jusqu’à présent — est très bien faite car elle illustre à merveille la force de la vérité et du dévoilement d’icelle. Dire le vrai, le chercher, le trouver et l’affirmer, tout cela engendre du bien. Gollum, en redevenant Sméagol, devient bon (pas totalement, bien sûr, car Gollum est toujours là — et ce tiraillement entre Cratyle et Hermogène partout se retrouve).
Permettez-moi de suggérer, cher Jean-Michel, que le Gollum est encore plus originel que Sméagol, en ce sens que l'informe et l'indifférencié précèdent toute "vérité" possible des êtres, et qu'Hermogène, se réservant l'infinie virtualité de la puissance modelable à volonté au gré des circonstances, est premier : en effet, on ne peut ignorer l'homophonie entre Gollum, Goïlem, Golem ; or la racine dont est tiré le mot "Golem" est en hébreu gelem, désignant l'informe, l'incultivé, la friche — chomer gelem signifie "matière première" — bref, sorte de substance ductile d'avant l'attribution d'essence ou de forme, hylé.
En fait Gollum, homoncule précédant l'homme, est l'illustration d'une régression en des stades antérieurs d'existence, comme le Golem n'est qu'une ébauche, et dans le Talmud une sorte d'ectoplasme infigurable qui annonce Adam.
Cratyle, bien entendu, est très en aval de tout cela...
Utilisateur anonyme
02 février 2013, 08:03   Re : Lecture in-nocente du “Seigneur des Anneaux”
Merci pour cette remarque très intéressante, cher Alain Eytan. Je n’ai peut-être pas assez bien rendu, dans mon précédent message, tout l’incertitude où je me trouve quant à ces considérations : je me tâte, je cherche des pistes, j’émets des idées en n’étant sûr de rien.
On remarque dans Le Seigneur des Anneaux que la possession prolongée de certains anneaux conduit les êtres fragiles à oublier leur propre nom, à savoir leur essence intime, et les place dans l'asservissement total au maître de l'Anneau unique. Dix personnages secondaires sont dans ce cas : les neuf seigneurs humains (devenus Nazguls, fantômes de l'Anneau) à qui Sauron donna des anneaux, et celui qui se nomme à la fin du troisième tome "la Bouche de Sauron" (et le narrateur précise qu'il avait oublié son propre nom). Qu'il reste un souvenir du Sméagol d'antan, malgré les longues années de sujétion à l'Anneau unique, est commenté dans le livre par le fait que les Hobbits et apparentés sont plus solides (made of a sterner stuff, je crois, d'une plus solide étoffe) que les Hommes (cela se voit aussi quand Boromir est rendu fou par la seule tentation de posséder l'anneau, comme Phèdre meurt de honte de désirer seulement Hippolyte), alors que Frodon souffre et tient le coup, presque jusqu'à la fin. Ainsi l'identité que recueille le nom, ou que le nom construit par-delà l'informe originel, est-elle détruite par le fantasme du pouvoir absolu qui ramène l'être à la pulsion primaire, instrument aveugle que le Seigneur des Anneaux utilise à ses propres fins. L'instinct, la pulsion archaïques, ne sont jamais des forces de libération de l'être, mais d'esclavage. Tolkien fut bien surpris d'apprendre son succès auprès des "radicaux" américains hippies des années 60, adeptes du retour du refoulé et ennemis de toute éducation, un peu comme Freud avec les Surréalistes français.

Cf Dictionnaire Tolkien, sous la direction de Vincent Ferré, CNRS éditions, 2012.
Gollum semble surtout dérivé du vieux norrois, qu'avait appris Tolkien, où l'on trouve les mots gull ou goll qui peuvent désigner l'or, un trésor, un objet précieux au sens large, voire un anneau comme dans le mot composé fingr-gull, c'est-à-dire finger-ring.
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