Cette semaine ressort sur les écrans de Paris,
Joli mai de Chris Marker. Ce documentaire, rythmé par la musique musette de Michel Legrand et la jolie chanson d'Yves Montand, tourné pendant le mois de mai éponyme de l'année 1962 se veut une sorte d'état des lieux du quotidien des Parisiens de l'époque, une sorte d'exploration sociologique couronnée d'une critique radicale, Chris Marker est marxiste (groupe Medvekine et Potemkine productions !!!), du gaullisme et de la société de consommation naissante : une sorte d'équivalent sur ce thème du
Deux, trois choses que je sais d'elle de Godard. Ce tableau du Paris et des Parisiens de 1962 est passionnant et bouleversera celles et ceux que dégoûte le devenir ville-monde de la capitale de la France.
On sera frappé de voir combien Paris était encore une ville du XIX
e siècle au début des années 1960. Avec ses industries ; ses quartiers populaires sans guillemets (500000 personnes pour les funérailles de Charonne), son univers balzacien (l'interview des petits grouillots de la Bourse (15 ans) travaillant pour les agents de change est un moment d'anthologie) ; ses logements sans eau courante ni électricité (1 sur quatre à l'époque) ; ses taudis d'Aubervilliers et sa banlieue rouge (Thorez alter ego de De Gaulle). On sera frappé aussi par les Parisiens et les banlieusards. Avides de tourner la page de l'Algérie (le procès de Salan n'intéresse plus grand monde) ; de profiter de l'abondance qui vient (scène très drôle avec deux ingénieurs qu'on croirait sortis tout droit d'un film de Jacques Tati) ; d'avoir accès au confort (le logement est une obsession et les cités en construction sont le Graal) ; on voit un peuple râleur (les salaires, le temps (le mois de mai est glacial comme le nôtre aujourd'hui : c'est la faute aux essais nucléaires qui perturbent le climat)) et profondément touchant. Touchant comme ce jeune Algérien de 20 ans à l'accent parigot, sensé incarner pour Marker l'archétype du jeune immigré, incroyant, ouvrier, militant du FLN du bidonville de Nanterre qui dit à Marker que ce qu'il souhaite est une Algérie libre, étroitement associée à la France, car dit-il "La France est aussi notre mère". Une France où il veut faire sa vie. Sans ressentiment, sans haine. On se sent très très loin de la France d'aujourd'hui et du Paris du grand remplacement, du Paris des terranovistes.
Une leçon bathmologique aussi : ce film qui se voulait une critique de la société française de son temps (aliénation, réification, racisme, autoritarisme gaulliste) devient cinquante ans plus tard, à la lumière du sinistre aujourd'hui, une ode à la France d'avant. Cela dit, dans cinquante ans, il ne fait pas de doute que la France d'aujourd'hui nous apparaîtra comme un paradis perdu. Quoi qu'il en soit, on sort de cette séance avec un coeur un peu mélancolique.