« Je sors jaten le bus mes il n’arrivent pas. Donc je vai an vélo jusqu’à l’école mais il y a tros de nège. Alors je repose le vélo dans le carrage et jivai à pied. Quand j’arrive à l’école tout le monde est dans la cour pourtant je suis enretard. Je demande à mes copin il me dise se qui se passe il me dise que l’intérieur de l’école est recouverte de neige. Il y a eu une avallanche. Donc toute la journée il niora pas école. »
Voilà un extrait de la production écrite, glanée récemment dans une classe de CM2, à l’occasion d’un atelier d’écriture que j’ai animé. La consigne était d’imaginer une journée de panne générale d’électricité.
En voici un autre :
« Je sorre pour aller à l’école, je me ranconte qu’il avait de la neige, bizarrement je ne voix pas le bus, dabitude il est la. Je me dis que c’est domage car je vais me jelais pendant tout chemin. Aureusement que je connait la route, les lampadère ne marche plus, mais tout dincou de la neige recouvrie le chemin je me di que je vais marché tout droit. »
Et un troisième :
« Maintenant à l’école personne était là apare mon meillure ami. Ils ont vu la fenetre allumé mais personne dedans. Ils vont dedans, les enfans entend du bris, ils vont voir ce que c’est. Ils entre dans la classe mais ils se conyent de partous sur les bureau et sur les chaisse. »
(Encore ces recopiages ne rendent-ils pas compte des graphies…)
L’écrasante majorité du reste est à l’avenant.
Peut-être pensez-vous que j’étais en mission dans un quartier « sensible », « défavorisé », « divers », or c’est exactement le contraire. Les écoles où je suis « intervenu » avaient pour particularité d’accueillir des enfants de milieux aisés, dans un cadre idéal. Ces élèves étaient d’ailleurs fort bien élevés, levant le doigt pour prendre la parole, s’exprimant sans la moindre intonation banlieusarde pourtant si répandue et, d’ailleurs, ces classes n’étaient pas le moins du monde « mélangées » quant aux origines de leurs élèves. Sur un total de quatre-vingt élèves (soit quatre classes), j’ai relevé UNE enfant maîtrisant l’orthographe, une moitié en ayant une pratique chaotique, une autre moitié dans une
sorte d’illettrisme.
Or, ces enfants sont on ne peut plus normaux dans leurs comportements, ils ne manquent pas d’intelligence ni de vivacité, paraissent absolument à l’aise, n’ont pas le commencement d’un soupçon qu’il leur manque un petit quelque chose et, de fait, il ne leur manque rien, ils s’en sortiront très bien dans la vie, un certain type de vie, j’en suis certain, ils feront leur chemin sans problème, un certain type de chemin, ils seront cadres, comme leurs parents, cadres du monde de demain.
Cette expérience qui m’a parue inouïe et à laquelle je ne croirais pas si je n’avais ces feuilles sous les yeux, m’a donné à réfléchir. Il ne m’a plus paru suffisant d’incriminer les méthodes (aucune méthode ne peut être à ce point mauvaise pour qu’un enfant, écrive : « Alors je repose le vélo dans le carrage et jivai à pied », immédiatement suivi par un tronçon de phrase correct : « Quand j’arrive à l’école tout le monde est dans la cour ») ; insuffisant aussi de relever la présence d’élèves étrangers à la langue française car ce n’est absolument pas le cas, en l’occurrence ; la question de l’appartenance sociale échoue elle aussi à expliquer quoi que ce soit.
Je n’ai pu tirer d’autre conclusion que celle d’une révolution anthropologique à l’œuvre, un changement de paradigme, un nouveau rapport au monde qui passe, chez ces enfants, par une pratique très intense de l’électronique, pratique qui est incompatible avec une certaine forme de raisonnement, une certaine approche du monde, les nôtres, et qui seront lettre morte pour ces "bouts de chou" quand ils seront aux affaires, car rien ne fera qu'un jour ils n'y soient pas.