Je ne sais s’il y a lieu de poser la liberté comme illusoire ou de la supposer illusoire par nature. Ce qui est sûr cependant est le fait que la chimère, elle,
est toujours organiquement libre. Sa liberté de conception a pour corollaire son terrible désordre organique et se paye de ce prix. La liberté est accessible, en effet, à qui veut la prendre par la dés-organicisation/désorganisation du corps-organe-de-l’Un quand cet organe est offert sous la forme d’une corporéité organisée dans et par le don biologique (ou « providentiel », selon Pic).
L’homme-(t/l)i(g/b)re s’est enfermé dans une cage mortelle parce qu’il a reculé devant la chimère, il n’a pas su, pas osé, pas été suffisamment affranchi du donné culturel pour se façonner chimère (tête de tigre, pieds de bouc, queue reptilienne et ailes de chauve-souris) indéchiffrable. Sorti du donné naturel/providentiel modulable et réversible – qui permet, qui donne licence, d’être différents « celui-qui-comme-tel-animal » dans la même journée –, l’homme-(t/l)i(g/b)re, instance noétique en partance, a été mis au pied d’un mur porteur d’inscriptions arrêtées, irréversibles, indélébiles et non modulables et s’est trouvé de la sorte emmuré dans une cage culturelle (sous-culturelle) dès sa sortie du donné biologique. Son pas en arrière face à la perspective de la liberté organique totale qu’eût signifiée sa constitution en chimère (confronté, donc, à la dissolution absolument définitive de son unicité organique), ce pas en arrière, cette once de modestie en trop, cette manière timorée de vouloir être cohérent, l’ont fatalement condamné à la trappe et à la mort.
Il faut par conséquent ne pas craindre d’affirmer que la liberté organique absolue ne peut être que chimérique (et non "illusoire") en ce sens-là : se substituant à la liberté nue et confiante de l’Un dégagé du devoir de s’assigner ses propres limites définitionnelles, l’instance noétique prométhéenne s’autorisant (se faisant "auteur d’elle-même") ne dispose, pour tout échappatoire à la cage paramétrique, pour toute issue à l’enfermement que consacrera le premier coup d’arrêt mis à son transformisme, que celle de devenir
chimère organique, en mime ou comme concrétisation-actualisation et réduction holomorphique et temporelle de l’éventail infini des possibilités inconnues et simultanées qui lui avaient été accordées par l’instance divine, duquel le sujet a voulu se détourner ou se distraire. La chimère (animal composite) est le point ultime de la liberté d’auto-dissolution de l’Un et hors d’elle, il y a plus rien que la cage aux fauves/folles sur-paramétrée par des stéréotypes sous-culturels.
L’auto-taggage, le tatouage dans le
gender et par apparente libre volonté étant contraints dans la culture/sous-culture qui fait la loi du genre, ils n’atteindront jamais le point ultime de la libre chimère, le point d’authentique rupture d’organicité qui consacrerait un total affranchissement, et dans cet échec n’aboutissent qu’à bâtir une cage organique nouvelle, plus étroite que celle du donné, et sans issue autre que la mort ou la désorganisation du sujet (la folie clinique, la démence).
L'affranchissement et l'échappée hors le donné organique et biologique se révèlent
pure chimère en ceci qu'ils ne sont concevables et envisageables que dans et par l'avènement du composite et immuable monstre chimérique, soit un être protéiforme théorique qui doit pour exister
exposer toutes ses formes en même temps, contrairement à l'homme ordinaire qui, investi de l'image du Divin, est pourvu d'une plasticité et d'une modularité non soumises à l'enfermement séquentiel -- qui l'autorise à être tel-le-loup, tel-la-loutre, tel-le-tigre, l'amant, le criminel, le saint, le sage dans l'ordre qu'il se donne ou que la Providence lui choisit sans qu'une interversion dans cet ordre séquentiel ne soit fatale au programme ---, que lui vaut son accointance avec l'Eternel et l'a-temporalité ainsi que la confiance qu'il accorde à celui-là.
Et pour en revenir au "désir", il se trouve que chez l'homme il n'est point de désir d'être chimère, il n'est point de désir d'être un monstre insignifiant. Par timidité, par peur, le désir d'être un monstre se trouve chez lui limité
à la catégorie des monstres signifiants, scriptés (porteur d'un tag) et donc
stéréo-scriptés. Les apprentis affranchis, en général, manquent d'imagination.
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