J'au lu ce livre, qui vient de paraître.
Les deux premiers tiers du livre sont consacrés à quarante ans de débats sur l’immigration et de montée du Front national. Là Closets prend surtout pour cible ceux qui dénonçaient comme raciste toute mise en cause des bienfaits de l’immigration. Il s’exprime vigoureusement, me semble assez juste et par ailleurs devenu assez banal.
Quelques points.
Il conteste l’argument démographique (« l’immigration pour payer nos retraites »).
Il conteste l’importation de travailleurs non qualifiés (« les emplois dont les Français ne veulent plus »), et celle de travailleurs qualifiés au motif qu’elle est ruineuse pour les pays pauvres qui voient partir ceux dont ils ont le plus besoin pour leur développement.
Et il conteste le multiculturalisme : les Français, dit-il, on le droit de vouloir rester eux-mêmes, comme c’est leur volonté, en particulier quand ils n’appartiennent pas à l’élite mondialisée et ne vivent pas dans des ghettos de riches purs d’allogènes.
Le principal reproche qu’on pourrait lui faire, me semble-t-il (reproche qu’on peut faire aussi à Finkielkraut) : il devrait remercier le Front national d’avoir, au moins, « posé les bonnes questions ». Mais non…
Le dernier tiers du livre est consacré à la situation économique, financière et politique.
La France continue à vivre au-dessus de ses moyens. Elle peut se le permettre encore sans crise majeure parce qu’elle emprunte à des taux d’intérêts très faibles. Cela n’aura qu’un temps. Le retournement peut se produire n’importe quand et être très brutal. Alors, elle ne pourra plus emprunter sur les marchés. Elle sera contrainte de s’adresser aux institutions étrangères (il ne précise pas si ce seront des institutions européennes ou internationales, ou les deux), comme la Grèce de nos jours.
À ce moment-là, il n’est pas impossible que le traumatisme de la crise fasse que Marine Le Pen l’emporte.
L’autre possibilité, ce sera un gouvernement contraint de faire les réformes depuis toujours différées et qui seront impopulaires. Il est souhaitable et possible que ce gouvernement soit issu d’un rassemblement civique, soit un gouvernement de salut public, Ump-Ps, sans les deux extrêmes qui refusent les sacrifices : le Front national et le Front de gauche. Il est souhaitable que ce gouvernement soit composé de personnalités de la société civile et non d’hommes politiques (il sera soutenu par l’Ump et le Ps, sans que les ministres en soient membres).
Dans cette deuxième partie, j’ai aimé et trouvé instructif et parlant ce qui se rapporte à la situation économique et financière.
Le reste m’a semblé essentiellement des balivernes. La France s’endette, certes, mais ça peut durer longtemps sans catastrophe : elle est par exemple beaucoup moins endettée que l’Italie, laquelle n’est pas aux abois.
Par ailleurs, même en cas de crise majeure, la France ne peut pas connaître une coalition Ump-Ps parce qu’elle a des institutions électorales qui organisent la lutte entre ces deux formations – elle n’a pas la proportionnelle qu’ont la plupart des pays européens, dans lesquels effectivement des coalitions de ce genre se forment à l’occasion : imagine-t-on un président Ump, élu sur la dénonciation de la présidence Hollande nommer un Premier ministre qui s’appuierait à l’Assemblés sur une majorité Umps ? Cela serait suicidaire.
Ce scénario, par ailleurs, repose largement sur une grave faiblesse du livre quant aux politiques vis-à-vis de l’immigration. L’auteur fait comme s’il n’y avait pas toute une gamme de politiques possibles entre celle du Front national et celle, disons, de LO (« c’est un droit du Congolais d’immigrer en France, les patrons paieront »), des politiques les plus dures aux plus laxistes. Or, comme pour toutes les questions politiques ou à peu près, il y a effectivement toute une gamme de politiques possibles, et l’Ump et le Ps se situent assez loin de l’un de l’autre sur l’immigration. Un gouvernement « technique », « ni de droite, ni de gauche », « apolitique » cela n’existe pas sur l’immigration, laquelle est une question politique majeure. Cela n’existe d’ailleurs pas vraiment non plus sur la politique de réduction des dépenses publiques : c’est la droite qui a vocation à cette réduction, parce qu’elle est le camp des riches, et celui de l’effort. L’intérêt de la gauche, ce sera d’être dans l’opposition quand un gouvernement de droite fera les réformes nécessaires, et de dénoncer bruyamment celles-ci. Puis, quand elle reviendra au pouvoir, à la prochaine élection probablement, de conserver les réformes faites, et de distribuer un peu de l’argent dû aux réformes. Cela est vieux comme la gauche de gouvernement.
Pourquoi Closets, qui est intelligent, écrit-il ce qui me paraît de telles âneries ?
Difficile à dire…
D’abord, en fait, quand on le lit attentivement, on se rend compte qu’il ne les écrit pas si nettement que ça : il dit que la crise financière est probable – et non pas certaine – et décrit uniquement ce qui se passera au cas où cette éventualité se réalise, ce qui donne l’impression au lecteur superficiel qu’il la croit certaine.
Il y a certainement une volonté de sensationnalisme : le journaliste se nourrit de catastrophe.
Et il y a que les gouvernements d’union des modérés sont la pente de Closets, et aussi les gouvernements apolitiques, de techniciens.
La lecture du livre m’a laissé donc inébranlé quant à ce qui me paraît probable : en 2017, l’Ump gagnera les élections, et on aura une réédition de Sarkozy : un discours de réduction de la dépense publique, et de lutte contre l’immigration.
La question, évidemment, est de savoir jusqu’à quel point ces politiques seront menées de façons radicales, ou seulement de façons superficielles, cosmétiques, ou même verbales.
En ce qui concerne le volet immigration, l’ampleur du succès du Front national poussera à des réformes radicales, pour éviter que le Fn ne croisse encore. La lâcheté devant le monde médiatique poussera à ne rien faire.
Et je crois probable aussi ceci : un gouvernement Ump adoptant une posture vigoureuse contre l’immigration, compte tenu de la mort de Le Pen ou en tout cas de son effacement relatif devant sa fille, rendra intenable la politique Ump de non-alliance électorale avec le Fn. Il y aura des alliances au niveau local, et probablement aussi, pour les élections législatives (la forme minimale de l’alliance consisterait, là, à réserver le second tour aux deux candidats arrivés en tête) : la vie politique française sera de nouveau organisée en deux camps, avec, dans chacun, plus d’un parti, comme il est naturel avec les institutions que nous avons.
Pourquoi Closets fait-il l’erreur d’écrire implicitement qu’il n’y a entre celle du Fn et celle de l’extrême gauche, qu’une seule politique possible en matière d’immigration ?
Je vois deux raison : d’un part, il est assez fortement pro-immigration, donc il veut fermer toute évolution possible. Et, deuxièmement, il a besoin de cette position pour donner de la crédibilité à son vœu de gouvernement Umps.
Parvient-il là à croire ce qu’il écrit ? Je respecte tellement son intelligence et son bon sens que j’en doute.
Le point où la faiblesse de cette sienne position est le plus éclatant : il dénonce dans la première partie du livre comme scélérat le fait que cinq ou six millions d’emplois publics ou para-publics soient réservés aux nationaux. Voilà une position qui ne fait pas l’unanimité à l’Ump, ni au Ps, ni au Front de gauche ! Quand je vous disais qu’il y avait sur l’immigration toute une gradation de politiques…
Un autre reproche important qu’on peut faire à Closets : il dénonce le Fn comme un parti démagogique, refusant les sacrifices nécessaires, sans dire que tout parti tend à être démagogique ; que tout parti qui est dans l’opposition tend à l’être encore plus ; et que, plus rejeté dans l’opposition que ne l’est le Fn, cela est impossible ; il est donc naturel qu’il soit démagogique. Il ne l’est pas plus que le Ps ne l’était en 1981. La démagogie du Fn ne tient pas à son essence, mais à sa situation. Le jour où l’Ump lui proposera de participer au gouvernement, s’il refuse, il sera relativement disqualifié. S’il accepte, il cessera de pouvoir promettre monts et merveilles.