La phrase ci-dessus :
L' Un germanique qu'opèrent et qu'accomplissent deux cours historiques opposés et d'apparence antagoniques dans un même espace civilisationnel fait évidemment référence au kalergisme et à l'aryanisme, soit deux voies ethnocidaires opposées (comme pouvaient l'être le stalinisme et le trotskysme) pour une même ontologie, ainsi que j'ai tenté de le développer dans une discussion récente (et récurrente) avec plusieurs intervenants dont Jean Sercy :
Ce qui reste frappant du point de vue historique : Coudenhove-Kalergi était à Hitler, mutatis mutandis, ce qu'était Troski à Staline, une espèce de dissident félon, un traitre à éliminer ou à défaut à pousser à l'exil et comme pour les deux Russes, leur dispute se déroulait au sein d'un même camp idéologique et philosophique.
J'ai dû briser des lances ici même il y a quelques semaines avec un européiste pouffant et raillant à cette seule idée, pourtant attestée et documentée comme on le voit, que l'Europe de la noyade génocidaire émerge et se met en place à la faveur de la déchéance des deux grands monstres que furent le 3ème Reich et l'Urss dont elle véhicule l'idée: elle reprend leur programme par des voies contournées, dissidentes et en demeurant fidèle à l'objectif final que le 3ème Reich avait conçu (celui d'une unité ethnique originale pour un continent politiquement unifié) et qui avait été concurremment et simultanément concocté dans les années 20 et 30 du siècle dernier par des hommes comme ce Coudenhove-Kalergi dont la biographie est très éloquente, ou un Alexandre Kojève s'emparant de Hegel.
Le décalage historique de Merkel-Hollande, leur porte-à-faux pacifiste et passif face au monde tel qu'il est et tel qu'il devient dans l'espace européen, s'expliquent par cette vieille reprise européenne dissidente de l'hitlérisme que les deux chefs d'Etat font leur aveuglément avec presque cent ans de retard sur le train de l'histoire.
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Toujours sur ce même
front théorique et à propos du traitement eurogermanique de l'Idée, j'ai retrouvé ce passage d'un ouvrage de François Jullien dont je recommande la lecture :
L'Invention de l'idéal et le destin de l'Europe (septembre 2009), pp. 79-80.
Bien que dérivées de l'enseignement confucéen, ces réflexions de Jullien pourraient s'appliquer avec pertinence à l'Union européenne (qui serait le "savoir en débord") et aux nations qui la composent qui seraient représentées ici par
la saveur. Pour Jullien commentant Confucius, la régulation (celle par exemple des mécanismes régulateurs des relations internationales au sein de l'UE) a pour notion antinomique et force antagonique
la force de l'Idée se sachant laquelle, comme l'énonce Jean-Marie Vaysse de l'Absolu chez Hegel
advient à soi et part de soi, après avoir étouffé puis abandonné toute
saveur nationale (je mets en exergue en bleu les énoncés les plus directement pertinents à notre propre réflexion et qui ont pour vertu de donner du relief au texte de J.M. Vaysse) :
Pourquoi le savoir, tout savoir, nous place-t-il déjà de lui-même dans une position de débord par rapport au juste équilibre : celui de la "régulation" de la conduite à mettre en oeuvre "de façon ordinaire" ? Si ce n'est que le savoir, tout savoir, déjà inévitablement charge -- surcharge -- et de ce fait dévie. De même que toute "sagesse", si modeste soit-elle, est déjà une pose. Sans qu'il le veuille, tout savoir appuie [est emphatique], nous dit Confucius -- il est déjà
en dépassement.
Non pas qu'il s'agisse ici d'un faux savoir ou que ces savants soient des demi-savants ou ces sages des demi-habiles. Mais c'est que cet équilibre de la régulation la plus ordinaire, du cours des choses ou de la conduite, en lui-même, ne se "connaît" pas, mais s'éprouve et s'apprécie ; ou, si je le "connais", j'en force déjà les traits et le raidis : il en devient une règle (modèle), tant soit peu figée, et n'est plus la régulation se découvrant -- s'innovant -- dans chaque situation rencontrée. Je ne vois à vrai dire rien de plus simple que cette formule, qu'on prendrait volontiers pour un truisme, mais n'imagine pas non plus de critique plus pertinente du savoir et du théorique. S'y dit au fond ce que tout le monde sait, ou plutôt
sait bien -- ce "sait bien" n'étant pas savoir par ce qu'il sous-entend de tacite --, et qui, dans l'opinion commune, a toujours rendu suspecte la théorie : le sage (savant) en fait (sait) trop -- ce savoir indéniablement souligne ; à peine il se forme que déjà le savoir est trop pressant -- rehaussant, insistant, catégorique -- vis-à-vis de cet affleurement si discret, en variation continue, de la "voie".
Y aurait-il quelque issue ou voie médiane entre cet excès que constitue en elle-même la connaissance et ce défaut qu'est l'ignorance : entre ce "trop" du savoir et de la sagesse et ce "trop peu" de la paresse (de l'inertie et de l'incurie) ? Au savoir, Confucius propose de préférer "la saveur" (
wei,味). Entre ces deux termes, qui se succèdent étrangement dans le dictionnaire en français, la perspective aussitôt bascule. Sur quoi se conclut en effet laconiquement ce propos : c'est la
saveur, précisément que, se construisant, le savoir recouvre et par suite occulte. Tel est le déplacement à opérer, ou plutôt le "retrait" (de l'excès), ou retour en amont, qui va de pair avec "le retrait" de la voie, d'où découlent son continuel essor et son "étalement".
Si, s'affirmant, tout savoir déborde inéluctablement de la plénitude éprouvée et la perd, c'est qu'il advient par et pour lui-même, se constitue en pouvoir et fonction autonomes et toujours se superpose [cf. l'Idée et l'architectonique des institutions supranationales européennes], en effet, comme le dit Platon de l'idée; tandis que, en se mettant en retrait de cet ébruitement, à l'abri de son appuiement, la saveur demeure à la source, au stade de la prégnance, dans l'inhérence et se rend par là-même "inépuisable".