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Le grand écrivain contre l'écrivaine "bobo".

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
04 mars 2016, 09:21   Le grand écrivain contre l'écrivaine "bobo".
Richard Millet "bientôt licencié " de chez Gallimard pour un article hostile à Maylis de Kerangal (tout cela rappelle étrangement "l'affaire Camus"...) :


[m.nouvelobs.com]
Utilisateur anonyme
04 mars 2016, 09:45   Re : Le grand écrivain contre l'écrivaine "bobo".
Rions un peu : petit portrait de la charmante écrivaine (que j'imagine "engagée") :

(...)"Le sens du bon mot, l'esprit français, je n'ai pas ça en magasin. Je cherche à décrire les choses telles qu'elles se manifestent. Je n'aime pas la complexité gratuite. Pour moi, le cauchemar de la pensée, c'est "Desperate Housewives": la ménagère psychorigide qui est secrètement salope au lit, l'idée que les apparences sont forcément trompeuses, les tricotages psychologiques grossiers. Tout n'est pas mensonger, ça n'est pas vrai, et puis n'est pas Henry James qui veut."

Elle passe son écriture à la centrifugeuse, mêle la poésie et l'action, le discours technique et la langue orale, sans perdre de vue qu'un roman doit raconter quelque chose, «racler la réalité», sous peine de devenir prodigieusement ennuyeux. Dans le paysage littéraire français, c'est rafraîchissant, et ça marche. «Naissance d'un pont» a obtenu le prix Médicis en 2010. Le livre était dense: il s'est vendu à 100.000 exemplaires.

Ça a tout changé. Un film est en préparation. La première année, j'ai enchaîné les sollicitations, au point de ne plus pouvoir travailler: dans la même semaine, tu fais une lecture en prison, une rencontre dans une médiathèque rurale, puis un salon très chic à Jérusalem ou des conférences en Chine.

Sarkozy l'a invitée à l'Elysée. Elle n'y est pas allée. «Non que Sarkozy soit Satan. Mais je voyais mal ce que je pouvais faire là-bas.» Puisqu'on parle de Sarkozy: elle a gagné plus. «Les précédents se vendaient bien, mais ne me permettaient pas de vivre. "Naissance d'un pont", c'est autre chose. J'ai adoré gagner cet argent. Ce n'est pas une question anodine.»

En septembre dernier, elle a reçu un coup de fil de Gallimard. On lui a proposé d'y intégrer le très prestigieux comité de lecture. Elle qui est publiée chez Verticales, le laboratoire à fiction de la maison, elle qui travaille ses phrases façon Claude Simon, la voilà qui siège à la table ronde où se décide le sort de la littérature mainstream, réaliste et goncourable.

Trahison ? «Je ne vois pas pourquoi un écrivain devrait préférer la marge. J'aime bien l'idée d'être dans la matrice. Antoine Gallimard m'a demandé de lire, sans m'occuper du potentiel commercial des textes. Je porte la casaque Verticales, dont je suis très fière. On verra comment ça se passe sur la longue durée.» Les systèmes ont un cœur: elle est dedans."

David Caviglioli (BiblioObs).
Utilisateur anonyme
04 mars 2016, 11:21   Re : Le grand écrivain contre l'écrivaine "bobo".
"l'omnipotent ne connaissant pas la contradiction, il n'éprouve aucun besoin de se montrer méchant, de lutter. Il a l'évidence pour lui" (Francis sur un autre fil).

La aussi. Millet va certainement se faire lourder et cela sans violence aucune ni même une seule pointe de méchanceté de la part de notre écrivaine et désormais lectrice chez Gallimard (ça promet). Ces choses se font d'elles-mêmes, il ne suffit que d'appartenir au Système. Derrida écrivait "Je ne philosophe que dans la terreur...". Il bien clair qu'aujourd'hui nous ne pensons et nous n'écrivons tous "que dans la terreur".
Utilisateur anonyme
05 mars 2016, 12:33   Re : Le grand écrivain contre l'écrivaine "bobo".
Richard Millet est un grand écrivain ?
Utilisateur anonyme
05 mars 2016, 14:23   Re : Le grand écrivain contre l'écrivaine "bobo".
Je crois que c'est Dostoïevski qui a dit que ce qui était avant tout indispensable à un écrivain, c'était sa force de conviction... Une force de conviction fondée avant tout, chez Millet (comme chez Renaud Camus), sur l'usage de la langue. Une langue "inactuelle", loin du style débraillé des asyntaxiques d'aujourd'hui, qui nous arrache à la facilité du bavardage, au divertissement (et à la " diversité"), à la prose journalistique, en clair à la doxa. Alors oui, je le maintiens : pas un (ou si peu) qui fasse le poids face à lui.

Trois grands écrivains contemporains selon moi : R. Millet, R. Camus, P. Quignard.


NB : tant pis si l'étiquetage " grantécrivain" prête parfois à sourire.
J'échangerais volontiers tous les livres de Richard Millet, y compris ceux que je n'ai pas lus, contre L'Œuvre des mers d'Eugène Nicole, vrai grand écrivain. Et, pendant que je suis là, je remplacerais, sur votre podium, Pascal Quignard par Michel Chaillou (sauf, bien sûr, si on ne parle que d'écrivains contemporains et vivants…).
06 mars 2016, 13:07   Du souffle et de la forge
« "Il n'y a pas de divinité en toi" (Mirabeau à Barnave). Un critère de ce genre décloisonne singulièrement la littérature (l'idée de génie qui a trop roulé s'est rassise, mais avec celle-là on triche moins). Comptons les têtes qui dépassent les nuages. La poésie française tout entière après Rimbaud s'en trouve décapitée (même Apollinaire, hélas!). Balzac s'enlève comme une montgolfière bien renflée, laissant Stendhal sur le trottoir et Flaubert dans le marécage [!]. Hugo reprend singulièrement du poil de la bête : il avait tout au moins les signes extérieurs : il écrasait les noyaux de pêche entre les dents. À ce trébuchet, Proust même est jugé trop léger ; parmi les contemporains, tandis que Gide et Valéry mordent la poussière sans appel, on compte ceux, non qui passent l'épreuve (de toute façon il est encore trop tôt) mais du moins qui ne s'en trouvent pas brusquement ridiculisés : Claudel, Breton... Passons sur le dix-septième siècle, où cette variante de l'incarnation n'était pas homologuée. Le dix-huitième siècle est raccourci en totalité (sauf peut-être Rousseau) un seul tout à coup sur ce terrain se fait connaître et reprend ses distances : le "divin" marquis.

Ce petit jeu en vaut un autre. Cela n'a que peu à voir avec la "valeur littéraire". Mais une autre catégorie secrète et de toute importance (dans un autre domaine, pour le meilleur et pour le pire, un artiste comme Wagner ne relève lui, que de cette catégorie) se dessine quand on s'avise — pourquoi pas ? — de faire l'épreuve sur la littérature de ces langues de feu auxquelles le Moyen âge a reconnu Virgile, l'Italie Dante, et les romantiques allemands Novalis. »
Julien Gracq, Lettrines
Comptons les têtes qui dépassent les nuages. La poésie française tout entière après Rimbaud s'en trouve décapitée (même Apollinaire, hélas!)

C'est Mallarmé, c'est Jules Laforgue, c'est le Paul-Jean Toulet de la Princesse de Colchide, et le prodigieux Benjamin Perret de La Brebis galante et l'Audiberti de Rempart et des Tonnes de Semence, et l'Antonin Artaud du Pèse-nerf qui se voient obligés d'accueillir ça avec un sourire d'indulgence.

Et Balzac qui s'envole en ballon en laissant Flaubert dans le marais. Mouais.... Lettrines, en effet.
Vous n'avez pas tort, Francis, c'est un peu restrictif, et je n'ai pu m'empêcher de glisser un point d’exclamation après le piétinement de Flaubert dans le ruisseau ; notez cependant que Balzac est bel et bien décapité, mais sa tête ne retombe pas ; dans ces registres j'aurais de toute façon ajouté Marcel Schwob, ne serait-ce que pour les incandescentes Vies imaginaires, et Hölderlin et Kleist, au moins.

Mais ne débinez pas trop rapidement les Lettrines, qui sont souvent très bien, fourmillantes de remarques extrêmement sagaces, je pense, et instructives et amusantes...

« Breton me parle assez longuement de ses rapports avec Proust (il corrigeait pour lui les épreuves du Côté de Guermantes). De son appartement, où il y avait des comestibles cachés dans les placards — des choses "très délicates" qu'il offrait à ses visiteurs. Il le décrit plein d'attention et feignant pour tous ceux qui l'approchaient une extrême attention.

Il parle aussi des visites du jeune Aragon à Barrès : le nom de Rimbaud venant à être prononcé, le visage de Barrès se ferma net : il voulut bien ne pas cacher son étonnement de ce qu'on fît grand cas de ce galopin sans conséquence. »
Utilisateur anonyme
06 mars 2016, 14:36   Re : Du souffle et de la forge
Ce petit jeu en vaut un autre. Cela n'a que peu à voir avec la "valeur littéraire".

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Ouais... Ces décapitations d'écrivains jugés " mineurs" sont un peu comme l'expulsion du bouc émissaire, elles ont une fonction culturelle de stabilisation. Ce sacrifice peut être regardé comme un moyen de mettre fin à ce que Girard considère comme un cercle vicieux de la violence - ici la "compétition littéraire", la lutte pour la première place - dans la société.
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