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Il n'y a pas de divinité en toi" (Mirabeau à Barnave). Un critère de ce genre décloisonne singulièrement la littérature (l'idée de
génie qui a trop roulé s'est rassise, mais avec celle-là on triche moins). Comptons les têtes qui dépassent les nuages. La poésie française tout entière après Rimbaud s'en trouve décapitée (même Apollinaire, hélas!). Balzac s'enlève comme une montgolfière bien renflée, laissant Stendhal sur le trottoir et Flaubert dans le marécage [!]. Hugo reprend singulièrement du poil de la bête : il avait tout au moins les
signes extérieurs : il écrasait les noyaux de pêche entre les dents. À ce trébuchet, Proust même est jugé trop léger ; parmi les contemporains, tandis que Gide et Valéry mordent la poussière sans appel, on compte ceux, non qui passent l'épreuve (de toute façon il est encore trop tôt) mais du moins qui ne s'en trouvent pas brusquement ridiculisés : Claudel, Breton... Passons sur le dix-septième siècle, où cette variante de l'incarnation n'était pas homologuée. Le dix-huitième siècle est raccourci en totalité (sauf peut-être Rousseau) un seul tout à coup sur ce terrain se fait connaître et reprend ses distances : le "divin" marquis.
Ce petit jeu en vaut un autre. Cela n'a que peu à voir avec la "valeur littéraire". Mais une autre catégorie secrète et de toute importance (dans un autre domaine, pour le meilleur et pour le pire, un artiste comme Wagner ne relève lui,
que de cette catégorie) se dessine quand on s'avise — pourquoi pas ? — de faire l'épreuve sur la littérature de ces
langues de feu auxquelles le Moyen âge a
reconnu Virgile, l'Italie Dante, et les romantiques allemands Novalis. »
Julien Gracq,
Lettrines