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Les "matheux"

Envoyé par Thomas Rhotomago 
13 mai 2016, 15:07   Les "matheux"
Quiconque a eu l'occasion de feuilleter des copies d'élèves ou de collégiens dans les matières littéraires a pu constater que le niveau de maîtrise de la langue française a désormais atteint un seuil de "déconstruction" presque absolu et sans doute irrémédiable pour plusieurs générations. Récemment, j'ai pu jeter un œil sur une de ces copies (une dissertation de français de classe de première) où se détachait un coruscant "il aurait mourru" et où les mots étaient visiblement confondus les uns avec les autres : transporter à la place de transposer (l'auteur analysé y transportait la réalité), résoudre à la place de rétablir (on y voyait la justice résoudre la loi...) le tout sous la mitraille ininterrompue de fautes qu'on pourrait qualifier d'ordinaires et qui n'étaient même plus corrigées. Note : 15/20. Mais un autre devoir, de même facture, avait obtenu un 6/20, comme si les notes ne traduisaient plus que l'humeur du moment de la professoressa.

Mais, dans le même temps, j'observe que les causettes de la vie sociale, quand elles tournent autour des études des enfants ou des jeunes, livrent très souvent la constatation suivante : "Oh, lui (ou elle), le français, c'est vraiment pas son fort, mais alors par contre il (ou elle) est très bon en maths.", ce qui est un baume au cœur de ces braves naïfs et leur permet de garder espoir. C'est bien simple, les cohortes d'illettrés se sont changées en colonnes de "matheux"...

Il va sans dire que cela tient simplement au fait que les parents sont incapables de juger du niveau des mathématiques en question dans lesquelles leur progéniture excelle prétendument, tandis qu'ils voient bien (encore) que quelque chose cloche avec le français. Or, il suffit de discuter avec un professeur de mathématiques à l'Université pour apprendre que la première année de fac se passe presque exclusivement en reprise du programme des trois années de lycée, après quoi le gros des troupes des "matheux" chimériques sont vite réorientés vers ce à quoi leur "esprit scientifique" les a en réalité préparés : une quelconque formation de techniciens, de lecteurs de modes d'emploi, de surveillants de la bonne marche des robots qui feront le vrai travail à la place de leurs petits esclaves humains, privés de tout l'esprit critique qu'auraient pu leur infuser la maîtrise de la langue, de la littérature et de l'histoire.
13 mai 2016, 17:19   Re : Les "matheux"
Il suffit de se promener sur les forums où les "citoyens" s'expriment anonymement pour constater les ravages causés par l'abandon de mission dont se sont rendus coupables les fonctionnaires de l'éducation en France. Sur Yahoo.fr par exemple, un "com" sur quatre est illisible, indéchiffrable, deux autres sont ambigus dans leur formulation, porteur d'un sens incertain, et un intervenant sur quatre, en moyenne, parvient à faire entendre à ses concitoyens ce qu'il a voulu dire ou cru pouvoir penser grâce à sa maîtrise relative de l'expression écrite, fût elle fruste et privée de nuances.

Outre la grammaire -- ne parlons plus de l'orthographe, qui n'existe plus, et bien entendu n'évoquons pas le style -- c'est le vocabulaire de base qui fait défaut à la plupart, vraisemblablement l'écrasante majorité, des moins de 35 ans. Ils mettent un mot pour l'autre, comme vous le soulignez, sans montrer le moindre signe d'en avoir conscience ou d'en être gênés. La langue française écrite par les francophones de ce pays est en train de retourner à toute allure à l'état qui était le sien dans les masses paysannes au XVe siècle : des patois, des baragouins mais aujourd'hui privés de terroirs, délocalisés, télé-déréalisés. Je persiste à croire qu'aucun pays d'Europe occidentale ne connaît de phénomène comparable. Les "professeurs des écoles" de ce pays, et les politiques, devraient se terrer de honte.

J'ajoute que je ne comprend guère que ce sujet ne soit pas porté sur la place publique, qu'il ne fasse l'objet d'aucun débat public dans les médias en France, qu'il ne soit jamais mis sur la table basse des "plateaux télés", qu'on ne l'entende pas évoqué sur France Culture (mais il est vrai que je n'écoute plus cette radio), que personne, si ce n'est sur notre minuscule forum, ne s'en émeuve. La langue nationale est devenue un champ de ruines, une capitale bombardée où plus aucune rue familière et aimée n'est discernable sous les décombres.
Utilisateur anonyme
13 mai 2016, 18:51   Re : Les "matheux"
La France et l'Europe peuvent bien périr, cela n'a aucune importance, aussi longtemps que le dogme antiraciste aura été suivi et l'extrêmedrouate combattue. Là réside l'essentiel.
De même, la langue peut bien périr elle aussi, cela n'a aucune importance, aussi longtemps que la règle bourdieusienne aura été appliquée.

Organisez les noces funestes de ces deux phénomènes — même pas : laissez-les simplement se rencontrer —, revenez quelques années plus tard, et voyez le résultat.

Le dogme, Francis, tout le dogme et rien que le dogme !
13 mai 2016, 19:23   Re : Les "matheux"
"J'ajoute que je ne comprend guère que ce sujet ne soit pas porté sur la place publique, qu'il ne fasse l'objet d'aucun débat public dans les médias en France, qu'il ne soit jamais mis sur la table basse des "plateaux télés", qu'on ne l'entende pas évoqué sur France Culture [...]"

C'était un peu pour répondre à cette question que j'ai écrit ce message. Il est bien possible que ce qui se passe dans la tête des parents naïfs rassurés que leur rejeton soit prétendument "matheux", se passe à l'échelle d'un pays.

Il faut avoir assisté à des réunions de parents d'élèves au collège pour mesurer à quel point l'apparition du "prof de maths" est la seule qui suscite le respect auprès des parents et combien sa parole est parole d’évangile, non sujette à interruptions, quand mille interventions absurdes, récriminations, demandes de précisions oiseuses, bavardages parallèles attendent les autres professeurs avec qui personne ne se gêne, à commencer par le plus bafoué de tous : le professeur d'histoire que l'on ne craint pas de prier, comme je l'ai entendu, de faire de l'histoire un peu plus actuelle parce que hein, les rois, tout ça, c'est du passé, hein...
Utilisateur anonyme
13 mai 2016, 20:50   Re : Les "matheux"
Grande illusion de notre époque : croire que l'on peut être bon en mathématiques tout en étant mauvais en français. C'est du reste du même ordre que croire que la forme, la grammaire et la syntaxe n'ont aucune importance, du moment que l'on arrive à faire passer le fond du message (or c'est la grammaire et la syntaxe qui peuvent, éventuellement, permettre cela).

Laurent Lafforgue, lauréat de la médaille Fields, avait en son temps dénoncé cette bêtise qui consiste à croire que l'on peut faire des mathématiques sans français. Il avait eu l'occasion de se rendre compte que ses étudiants ne comprenaient rien aux énoncés des problèmes mathématiques, précisément parce qu'ils étaient rédigés en... français, langue devenue incompréhensible pour la plupart.

http://www.en-aparte.com/2013/06/28/laurent-lafforgue-mathematicien-leducation-nationale-est-devenue-un-vaste-mensonge/
13 mai 2016, 22:03   Re : Les "matheux"
le professeur d'histoire que l'on ne craint pas de prier, comme je l'ai entendu, de faire de l'histoire un peu plus actuelle parce que hein, les rois, tout ça, c'est du passé, hein...

Toute l'aporie du Moderne -- je suis en train de lire Nous autres, modernes, de Finkielkraut, que j'avais eu le tort de ne pas lire quand ces conférences parurent en 2005 -- qui, en niant la survivance, fût-elle fantômatique, du passé dans le présent, frappe d'invalidité son propre credo qui veut que le futur se forge dans le maintenant.

La cause de la langue, ou plus précisément, la cause qui voudrait que sa perte fasse débat, est enterrée par le corporatisme enseignant et le dogme d'infaillibilité de l'Education nationale, institution étatique suprême en France (plus gros poste budgétaire de l'Etat). Une remise en cause fondamentale de cette institution, sa mise en procès public, reviendrait à faire un procès à l'Etat lui-même. Et ça, la théologie républicaine l'interdit. Nous coulerons en silence, dans le mutisme, interdits dans les deux sens du terme.
08 juin 2016, 22:16   Entendu
Une jeune caissière se retourne vers une collègue et lui demande : "Magali, de 3 euros 50 pour aller à 5, ça fait combien ?"

A coup sûr, cela ne fait pas d'elle une littéraire.

Notons qu'une cliente n'a pu réprimer l'expression de son effarement devant cette question. Mais c'est cette dame qui a paru bizarre...
09 juin 2016, 10:05   Re : Les "matheux"
Thomas Rhotomago évoque les mots que l'on prend pour d'autres mots. Ce phénomène de confusion linguistique est un des plus fascinants. Il entraîne notamment, parmi les personnes à peu près éduquées, la formulation d'impayables mixtes d'expressions, de véritables concaténations lexicales. Au lieu de dire, par exemple, "pour la petite histoire" ou "pour l'anecdote", on dira incorrectement: "pour la petite anecdote". D'autres mésusages du même type abondent -- "en pleine santé" au lieu d' "en plein forme" ou "en bonne santé". Deux expressions correctes synthétisées en une qui est fausse, c'est tout de même très fort comme production ! Perdre conscience, aussi, etc.
09 juin 2016, 12:16   Re : Les "matheux"
"Perdre conscience" en effet, alors quand en plus le diagnostic vital est engagé...
09 juin 2016, 12:24   Re : Les "matheux"
J'ai noté aussi que la mort recule sur tous les fronts linguistiques. Il y a un bon bout de temps déjà qu'on ne l'appelle plus que "fin de vie", mais je note qu'en outre le corps médical (lui même grand corps malade) pour dire d'un patient qu'il est en arrêt cardiaque ne dit plus que "il est en arrêt", comme si le sujet était "en arrêt maladie", absent temporairement, en quelque sorte.

Quand on songe que l'hominisation, selon plusieurs écoles d'anthropologie, eut pour point de départ la conscience de la mortalité et de l'irrévocabilité du trépas... Les sociétés post-modernes, mine de rien, avec leurs "prises en charge psychologiques", nous ramènent en douceur à l'état de la bête ignorante de sa mortalité en s'appliquant avec acharnement ("acharnement thérapeutique" par une mise en condition psychologique générale) à occulter et à nier la solennelle irrévocabilité du trépas.
09 juin 2016, 12:32   Re : Les "matheux"
Dire d'un patient qu'il est en arrêt cardiaque était de toute manière déjà un peu du charabia.
09 juin 2016, 14:00   Re : Les "matheux"
Est apparu il y a peu, l'étonnant "en état d'urgence absolue". De manière générale ce "en" a complètement envahi le jargon médiatico-politique: "en responsabilité", "en capacité" et j'en passe.
09 juin 2016, 14:03   Re : Les "matheux"
En effet. Le cochon de patient n'est tout de même pas un chien d'arrêt.


L'Im-patient en arrêt cardiaque
09 juin 2016, 14:09   Re : Les "matheux"
Il y a une trentaine d'années encore (qui s'en souvient ?) on disait "le patient est en réanimation". Ce qui était limite-fout-la-trouille, depuis lors, le corps médical (un grand malade) a ajouté du sucre et de la technicité à son vocabulaire et sous l'influence du globish ne dit plus que "le patient est en soins intensifs".

Le blouse-blanche de service :

"Votre mère est en unité de soin intensif depuis ce matin".

Le brave plouc venu du village en car à l'hôpital du chef-lieu de département, tenant des deux mains ce qui lui tient lieu de casquette ou de chapeau de paille, soit son smart phone, la voix chevrottante :

"Ah ben si c'est que ça tant mieux. J'avais peur qu'elle soit en réanimation".
09 juin 2016, 15:02   Re : Les "matheux"
Et il y eut cet autre soir, au JT de 20 heures, ce jeune et fringant anchorman, rendu sur le terrain "des luttes avec occupation" tenant son micro comme glace à la vanille et nous gratifiant d'un "Outre la présence de quelques piquets, l'occupation se déroule sans heurts ni violence".

Il avait placé son "outre" en lieu et place de "hormis". Quelqu'un pour l'asseoir sur une chaise et lui expliquer gentiment, posément, avec moult pédagogie, la différence de sens et d'usage qu'il y a entre "outre ceci cela" et "hormis ceci cela" ? Si personne ne s'y met, sa confusion vaudra bientôt loi et nous aurons nous-mêmes perdu un petit bout de langue de plus, comme un brin d'ivoire à une dent cariée qui s'effrite.
10 juin 2016, 00:07   Re : Les "littéraires"
"Quelqu'un pour l'asseoir sur une chaise et lui expliquer gentiment, posément, avec moult pédagogie, la différence de sens et d'usage qu'il y a entre "outre ceci cela" et "hormis ceci cela" ?"

Inutile et trop compliqué. Quand ce reporter aura l'opportunité de publier un livre comme tout le monde, il sera beaucoup plus simple de s'adresser à des rewriters, chargés de faire le ménage dans les cossidetti "connecteurs logiques" et voilà tout.

Cela passera pour une galéjade et cependant l'anecdote est authentique : il y a quelques années, il m'est arrivé d'avoir pour mission de "reprendre" le texte d'un "auteur" qui, dans le doute (somme toute louable), avait laissé tous les verbes à l'infinitif, à charge pour les services éditoriaux de les conjuguer...

Ce n'est d'ailleurs plus qu'au nom du maintien du mythe du "créateur" qu'un nom d'auteur et lui seul figure encore sur quantité de livres publiés - et cela dans tous les genres littéraires. Si on se décidait à être sincère, il faudrait imprimer sur la couverture des livres, à la suite d'un patronyme quelque peu abusif dans son unicité, un générique complet, comme on le fait pour les films, tant sont nombreuses et diverses les interventions qui ont lieu entre le manuscrit original et le livre finalement mis en circulation.
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