Vouloir une économie circulaire, ou circulariser l’économie, autrement dit la fermer comme une orbite c’est tout à la fois vouloir imiter la nature, se conformer aux normes de la cyclicité qui la règlent et l’animent (orbite terrestre, qui si elle n’est pas circulaire est bien fermée, cyclicité des saisons et des éléments, cycle de l’eau, etc.) mais c’est aussi, parce que cette économie est celle de l’espèce humaine, distincte des économies du monde naturel par le déport et le départ artificiel des besoins qui distinguent cette espèce, vouloir la quadrature du cercle.
La raison en est si simple et si banale qu’elle semble encore échapper à certains, comme Luc Ferry pourtant philosophe très averti : tant que la question du passage humain dans l’élément fini, sphérique et les systèmes fermés de la nature (laquelle, dit Ferry « est sans poubelles ni décharges ») trace un trait borné et non courbe close, la déchirante contradiction persistera : nous entrons dans le monde sublunaire en un point par lequel nous ne repasserons pas (la naissance) et nous quittons ce monde dans un trépas qui lui non plus est sans réédition. L’existence humaine est par conséquent à la fois trajectoire ouverte (l’inconnu règne en amont et à l’aval de cette existence) et bornée par des portes d’entrée et de sortie qui n’admettent pas d’être empruntées plus d’une fois, et elle n’a rien de cyclique car à la différence des animaux – chez lesquels on voit l’araignée engendrer une araignée dénuée de toute volonté de s’extraire de la condition d’araignée, et de même l’ours et son ourson qui n’évoluent pas vers une créature autre qu’ursine, à telle enseigne que la cyclicité de l’existence des animaux, qui comme nous ne naissent et ne meurent qu’une fois, peut cependant se concevoir dans cette permanence et naturalité stable de l’espèce : l’ourson, comportementalement, répète et répètera l’ours à la perfection ,sans perte, jeu ni échappement – l’horreur humaine et la damnation de son économie face au monde naturel sont à la mesure de l’évolution (celles des êtres et des sociétés) qui porte cette espèce : l’impermanence artificielle, intégralement artificielle, du goût (alimentaire, meursal, sociétal, comportemental) rendent la transmission et la répétition, et la permanence des traits de l’espèce, problématiques et excluent toute hypothèse d’une cyclicité dans son économie. Nous ne sommes pas des animaux parce que nous savons, par expérience et intuitivement, que nos progénitures sont autres que nous, nous savons que sortant de nous elles le font doublement, issues de nos chairs qu’elles quittent pour exister, voilà la lignée spécifique, qui en eux, s’échappe, dérive, fuit, nous déserte, nous méconnaît comme à dessein ou par plaisir. A chaque nouvelle génération, l’humanité fuit l’humanité. L’espèce humaine est en fluence, et les déchets anti-naturels qu’elle laisse et qu’elle produit en sont le signe et la condition, comme la trainée de gaz toxiques s’échappant de la fusée qui s’élève est la condition habilitante du mouvement et du départ de l’objet.
Il y a croissance parce qu’il y a spirale sortante, cyclicité tridimensionnelle (le trait de la spirale figure la tridimensionnalité pyramidale, hors le plan simple du cercle ou de l’ellipse où évoluent les corps célestes) et la trajectoire humaine, très logiquement conduit cette espèce si particulière à s’échapper de la sphère planétaire, corps et espace enclos, autant que du plan de son elliptique, et c’est la « conquête spatiale », formidable usine à déchets qui transforme tout aussi logiquement l’espace interplanétaire en décharge, en dépôt d’ordures, signe et trace de la condition artificielle qui met cette espèce dans l’incapacité de se tenir quiète dans un espace fermé, abouti, constant et animé de cyclicité pure.
Y a-t-il fatum ? Cette espèce est-elle condamnée à dégrader et souiller tout le donné naturel où elle surgit par effet de sa « croissance économique » avant que de périr fatalement dans son déchet. ? Peut-être ou peut-être pas, mais dès lors que l’on sait (et les philosophes comme Ferry, à n’en pas douter, savent) qu’elle est soumise au régime de l’artificialité et qu’elle demeurera telle tant que sa connaissance de quelque méta-cycle naturel hypothétique auquel elle est peut-être partie restera aussi faible et incertaine, son insertion par consensus dans un cycle économique où facticement écologique qu’elle s’imposerait par choix politique, demeurera une impossibilité, une utopie naïve et grossière.
L’option « capitalisme » à cet égard, est le dernier des paris qu’elle tente aujourd’hui (le marché, affirme Ferry, est l’avenir de l’écologie) : d’une plaie l’autre (de l’économie dirigée au libéralisme), l’espèce tourne en rond dans sa cage en s’occupant de lécher ces deux plaies économiques, alternativement, pendant que la forêt brûle et que les fleuves sortent de leur lit.