J’en accepte l’augure, cher Alain. M’est avis, cependant, que votre
Happy end n’est pas pour demain, dans un contexte de lutte ouverte pour l’hégémonie entre la Chine et les Etats-Unis.
Au XXe siècle, chacun sait que les Etats-Unis ont assis leur domination sur le marché du confort, du loisir, de l’accès à des biens matériels qui rendraient la vie plus agréable à vivre, plus facilement
consommable. On allait faire un rêve, en oubliant les cauchemars qu’il pouvait aussi entraîner. Au moins dans les pays développés, le job a été fait et bien fait, et on voudrait qu’il continue, en dépit du formidable obstacle de la saturation qui a fini par se dresser sur le chemin enchanté de l’
American Way or Life.
Pour la Chine, l’espoir de faire mieux que Mickey, Coca-Cola, Hollywood et tout le bazar n’est guère réaliste. L’enrichissement de la population chinoise n’en reste pas moins une ambition puisque, à travers lui, se mesurerait la puissance du pays. Le marché de la santé se présente alors comme une évidence, un air du temps. Tout compte fait, n’est-il pas plus prometteur que celui de l’
Entertainment ou de l’esprit d’entreprise ? Car avant de penser à mordre à belles dents dans le gâteau du monde, encore faut-il rester en vie, ne pas être menacé par le surgissement de telle ou telle maladie par définition mystérieuse, la maladie du moment, ou une autre, la prochaine, celle qui sera plus mystérieuse encore et nécessitera la mise sur le marché de nouveaux accessoires, de nouveaux équipements, de nouvelles « applications », toutes choses que la Chine est prête à fabriquer et à commercialiser à l’échelle planétaire.
La seule vente d’un vulgaire bout de tissu à placer sur la bouche (et le nez ! n’oubliez pas le nez ! il y a toujours, dans nos contrées, un autochtone pur sucre, généralement jeune et propre sur lui, pour vous le rappeler), a d’ores-et-déjà permis à la Chine d’engranger 71 milliards de dollars et, le temps de l’écrire, il serait étonnant que ce chiffre n’ait pas augmenté. Certes, il n’y a pas que le masque dans la vie, bien que cet accessoire demeure de première importance en tant que signalétique et signalétique éminemment chinoise. Aux Américains, naguère, la télévision dans tous les foyers comme signe de ralliement, aux Chinois, aujourd’hui, le masque sur toutes les gueules comme acte d’allégeance préalable au
Chinese way of life – masque qui ne demande bien sûr qu’à devenir
intelligent en vue d’un bonheur universel mesurable en crédit social, foi de Xi Jin Ping.
A vrai dire, depuis le début de cette extraordinaire pandémie, il parait impossible de ne pas prendre modèle sur la Chine. D’où est sorti le mal doit nécessairement sortir le remède. Une dictature sans le moindre complexe donne ainsi le la au monde entier et personne ne sait qu’imaginer d’autre, sinon s’accorder à cette note, bon gré mal gré et avec plus ou moins de réussite.
Il fut un temps où la stupéfaction admirative du public mondial était réservée à l’érection prométhéenne de gratte-ciels qui poussaient « comme des champignons » dans les villes américaines. En février 2020, c’est la construction d’un grand hôpital ultramoderne, sorti de terre en à peine dix jours dans la région de Wuhan, qui a médusé les nations et illustré l’idée d’une puissance capable de relever tous les défis. Il importe peu de savoir ce qu’est devenu cet hôpital, maintenant qu’en Chine le problème sanitaire est officiellement réglé. On y reçoit peut-être encore des malades ordinaires, tout simplement, mais quiconque souhaiterait en avoir le cœur net et, pour cela, chercherait des infirmations sur la toile, le fait en acceptant d’avance l’éventualité d’apprendre que cet hôpital a été démonté en une semaine ou réorganisé en usine de fabrication de masques, logements pour les ouvriers qui l’ont édifié, laboratoire pharmaceutique ou centre de dépistage, on peut s’attendre à tout.
Ne vient-on pas d’apprendre que la totalité des
neuf millions d’habitants de la ville chinoise de Qingdao va être testée
en cinq jours, au motif qu'une
douzaine de « cas » ont été signalés positifs. Douze « cas », neuf millions de tests, cinq jours. Cette fois encore, on est confronté à des chiffres qui semblent désigner une autre réalité que celle qui a cours « chez nous », tout comme, au milieu du XXe siècle, d’autres chiffres en provenance des Etats-Unis donnaient l’idée d’un pays où la démesure était l’ordinaire.
Chez nous comme ailleurs, les voix autorisées ne manqueront pas pour
marteler que c’est exactement cela qu’il est indispensable de faire : tester absolument tout le monde, seul moyen pour combattre la pandémie. Moyennant quoi, tout se passe comme si la population de Qingdao avait été engagée d’autorité dans un formidable spot publicitaire en faveur de la production de tests chinois et de l’indépassable logistique des autorités sanitaires du pays, campagne promotionnelle qui n’aura eu que faire des trouvailles des « agences de pub » du bon vieux temps de la « création artificielle de besoins ». L’injonction sanitaire est de celle qui peut faire l’économie de la séduction.
En Europe, les Italiens font désormais figure de bons élèves, après avoir été sévèrement châtiés. Ils portent le masque absolument dans toutes les circonstances de la vie, y compris à domicile, bien qu’on hésite encore sur les méthodes à mettre en œuvre pour le vérifier. Dans ces conditions, il n’y aurait pas à s’étonner que l’Italie devienne le premier pays à s’engager dans une politique de tests intégraux façon Qingdao. Il est vrai qu’en mars 2019 (- 1 av. Covid) le gouvernement italien recevait en grandes pompes le président chinois et sa suite puis, sans égard pour l’U.E ou le G7, signait des accords commerciaux bilatéraux, ouvrant aux Chinois « les nouvelles routes de la soie » qui passeraient par le nord de l’Italie. Un an plus tard, la Lombardie, promue épicentre de l’épidémie, en était réduite à demander de l’aide sanitaire à la Chine…
Car ces Chinois-là sont bien gentils et serviables, ils ne cherchent pas bêtement à nous « remplacer », ils donnent l'exemple voilà tout, indiquent simplement la marche à suivre, sans déranger personne, avec l'index du vieux sage levé, façon Xi Jin Ping s'adressant à la foule de Wuhan, fin mars 2020 pour lui annoncer que la vie allait reprendre son cours
normal.
Reste à savoir si ce « cours normal » est susceptible de s’imposer en tant que rêve désirable, condition
sine qua non pour asseoir durablement toute domination. Personnellement, je ne crois pas. Mais, comme on dit, ou disait, dans le Sud de la France, ça va
charcler, ça c'est sûr...